Un fleuve indocile
Publié le 22 octobre 2024, par Charles-Erik LabadilleUn fleuve indocile
Continuons notre lente descente, toujours plus bas, plus bas, ou plutôt toujours vers le sud, pas encore celui de Nino Ferer mais, à la réflexion, on se dit que le Massif Armoricain est tout de même bien vaste…
Toujours plus bas, plus bas, c’est bien vrai parce que, sans parler de « traversée du désert », on ne peut pas non plus dire que le relief fasse vraiment parler de lui ! En effet, notre « descente» s’effectue dans les roches briovériennes, les roches d’avant l’Ère primaire (du Précambien encore appelé Protérozoïque), dans ce qu’il reste des assises de la grande Chaîne Cadomienne, littéralement la chaîne de Caen (mieux représentée au nord, par exemple dans le Calvados, les Côtes-d’Armor…), grande chaîne de montagne presque totalement démolie par l’érosion, arasée jusqu’au plus profond, bien souvent plate, désespérément plate, sauf lorsque les cours d’eau viennent égratigner un peu la surface de cette « pénéplaine » (presque plaine) déjà largement aplanie il y a 540 millions d’années avant nos jours !
Continuons donc, toujours plus bas, plus bas, toujours plus plat, plus plat, Laval, Château-Gontier… Ça ne s’arrange pas vraiment, sauf quelques ressauts très localisés. Ça commence à s’améliorer pour nous, les « chasseurs de montagnes », à partir de Landé et Bécon-les-Granits la bien nommée, mais ne nous réjouissons pas trop, rien de bien magistral… Et ça pourrait encore durer un moment si on ne tombait pas bientôt sur un « os », une barrière ouest-est, un obstacle qu’il n’est pas question de sauter car il présente deux intérêts majeurs : paysager mais également géologique, car c’est un des meilleurs ambassadeurs de l’histoire de la Chaîne Hercynienne qui, de nos jours encore, donne tout son cachet au Massif Armoricain.
Mais quel est donc cet obstacle, qualifié d’infranchissable, d’indocile, d’indomptable…
Le reconnaissez-vous ? Le voilà à ses souces… C’est un petit ruisseau comme bien d’autres qui va se renforcer au fil de ses « rencontres » ou, si vous préférez, au fil de ses confluences…
Non ? Ses sources situées vers le Mont Gerbier de Joncs, ça ne vous rappelle rien ? Au moins l’école primaire et les sources de…
Arrêtons-nous sur les berges du fleuve si large, si imposant qu’à sa traversée du Massif Armoricain on pourrait croire un « lac en mouvement » ; en mouvement lent, solennel car le fleuve le plus long de France, majestueux, a déjà parcouru 860 kilomètres au sortir d’Angers où nous arrivons, soit près des six septièmes des 1013 kilomètres qui séparent sa source de son large estuaire, entre Saint-Nazaire et Saint-Brevin-les-Pins à une soixantaine de kilomètres à l’ouest de Nantes.
Sa superbe, le fleuve royal la doit également à son passage en Anjou blanc (calcaires et tuffeau du Bassin Parisien) qu’il vient d’achever en amont d’Angers, à la traversée de son célèbre « Val de Loire » avec châteaux et belles demeures qui lui ont valu en 2000 d’être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO au titre de paysages culturels d’exception. Le classement rejaillit un peu sur le Massif Armoricain, puisque sa limite occidentale s’arrête à Chalonnes-sur-Loire, une vingtaine de kilomètres au sud-ouest d’Angers, et donc déjà dans l’Anjou noir.
Mais ne nous y méprenons pas ! Le long fleuve indolent est toujours indocile, indompté et même encore aujourd’hui, les riverains vivent dans la crainte de ses colères, ou plutôt de ses débordements qui peuvent être catastrophiques : la vallée en garde les traces sous forme de marques gravées dans la pierre qui indiquent les niveaux atteints lors des crues passées. Il faut dire qu’en plus des eaux de son haut bassin, cet étonnant collecteur doit évacuer celles de ses nombreux affluents de plaine, entre autres l’Indre, la Vienne, le Cher, la Maine qui elle-même draine le Loir, la Sarthe, la Mayenne, l’Huisne et l’Oudon.
Très tôt, l’homme a voulu se prémunir des caprices de la Loire, tout en souhaitant s’approprier son lit majeur pour faciliter la navigation et gagner des terres limoneuses cultivables. Dès le 12e siècle, sous l’impulsion des rois Plantagenêt, les « turcies » sont érigées pour contenir le fleuve et deviendront, au fil des temps, de véritables digues continues : c’est le cas de la « Grande Levée d’Anjou » construite en rive droite de Saumur à Angers. Vers Brain-sur-l’Authion, Saint-Clément-des-Levées…, l’aménagement permet en amont de l’agglomération angevine la poldérisation de milliers d’hectares ; par la même occasion, le champ naturel d’expansion des crues est réduit d’autant et les risques d’inondation augmentés dans d’autres secteurs sensibles. Ainsi, malgré ses avantages incontestables, la bonification de la vallée de l’Authion, résolue dans les années 70 par la mise en œuvre d’une station de pompage aux Ponts-de-Cé (au sud d’Angers), n’est donc pas sans poser problèmes de sécurité, notamment par transfert des risques d’inondation d’une zone à l’autre. À l’aval, la Maine présente également une aggravation des phénomènes de crues certainement liée aux travaux de suppression de certains bras secondaires.
Mais de ces mêmes Ponts-de-Cé où elle fait son entrée dans le massif ancien pour aller rejoindre Nantes à 88 kilomètres, le fleuve royal, adulé, sauvage… devient également une Loire d’abord contrainte, puis oubliée, délaissée jusqu’à la fin du siècle dernier !
Contrainte et profondément modifiée, elle l’a été depuis la fin du 19e siècle pour suivre l’évolution du trafic maritime par « chenalisation » de l’estuaire et adaptation des profondeurs en aval de Nantes. A l’amont, la Loire est navigable jusqu’au port d’Angers (rejoint par l’intermédiaire de la Maine) et d’autres aménagements ont donc concerné l’amélioration du parcours fluvial : pose d’épis transversaux, suppression des seuils originels (zones de moindre profondeur) qui ne sont pas sans répercussions sur le cours naturel du fleuve…
Intimement transformée, la Loire l’a été aussi par les extractions massives de granulats du fond de son lit : durant le siècle dernier, plus de 450 millions de m3 de sédiments ont été extraits, soit quatre fois plus que ce que le fleuve a pu en apporter naturellement.
Il résulte de ces bouleversements des déséquilibres durables et un état de santé du fleuve devenu précaire, principalement par abaissement de la ligne d’eau d’étiage, d’un à trois mètres en moyenne à l’amont de Nantes et jusqu’à 3,5 mètres à Nantes en basse mer : il se traduit par un assèchement généralisé de toute la vallée, par endroits par un colmatage des fonds, à d’autres par des reprises d’érosion dues à l’accélération des courants, enfin, par la remontée du bouchon vaseux et de la salinité. Si le coin salé dépasse rarement Nantes, l’onde de marée se propage aujourd’hui jusqu’à Ancenis, à 95 kilomètres de l’embouchure, alors qu’elle n’atteignait que Mauves au début du 20e siècle (soit une progression d’environ 30 kilomètres vers l’amont).
Cet état préoccupant de la Basse-Loire depuis la Maine jusqu’à l’estuaire a été analysé par le GIP (Groupement d’Intérêt Public) Loire Estuaire qui, dans le cadre du programme « Plan Loire Grandeur Nature » (2007-2013), a poursuivi les études de suivis, proposé les projets de restauration à long terme de l’estuaire et soutenu les travaux d’un SAGE (Schéma d’Aménagement et de Gestion des ressources en Eau).
Ainsi, tantôt débordante d’énergie, tantôt filet d’eau entre ses bancs de sable, tantôt altière et tantôt douloureuse, cette Loire navigable, qualifiée par certains « d’estuaire amont » présente un patrimoine paysager, naturel et culturel remarquable : avec un cours diversifié fait de resserrements aux parois parfois abruptes, comme à Champtoceaux, et de larges varennes (évasements) ; avec ses bancs de sables, ses chapelets d’îles et ses dépendances humides à aquatiques : bas-marais, prairies inondables, bras et boires, ces anciens émissaires plus ou moins comblés qui se remplissent essentiellement à l’occasion des crues ; avec, juste en amont d’Angers vers la Grande Levée et les fonds de l’Authion (en rive droite), ses « vallerots » habitant les basses terres et, en rive gauche, ses « berlots » installés les pieds au sec sur les coteaux !
Ces coteaux de rive gauche (en regardant vers la mer, dans le sens du courant) ont un grand intérêt paysager en sortie d’Angers, de Rochefort-sur-Loire à Chalonnes-sur-Loire (Maine-et-Loire). Ils dominent et offrent de beaux points de vue sur le cours du fleuve qui se partage, depuis les Ponts-de-Cé, en une multitude de zones humides, de bras d’eau et de terres, d’îles dont celle de Béhuard qui mérite le détour, avec ses sentiers, sa plage de sable et son village aux maisons des 15e et 16e siècles.
Ouvrant les portes de l’Anjou noir, une petite route sinueuse, presque en lacet, longe sur une dizaine de kilomètres une barre de grès ferrugineux et de schistes houillers. La Corniche Angevine correspond à la limite occidentale du périmètre « Val de Loire » classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et nous ramène, un court instant, à nos montagnes ! Elle nous rappelle également que la région est renommée pour ses vignobles : du village de la Haie Longue (Saint-Aubin-de-Luigné), un remarquable panorama s’ouvre sur la vallée encaissée du Layon (qui conflue à Chalonnes-sur-Loire) et ses « coteaux » réputés…
Un peu plus à l’ouest, la Loire des Mauges ne manque pas non plus de caves à visiter, de curiosités à découvrir et de « hauts-lieux » : Saint-Florent-le-Viel avec les ruelles de sa vieille ville et son église abbatiale perchée sur le Mont Glonne ; Champtoceaux, toujours en Maine-et-Loire, avec les vestiges de sa citadelle et son jardin du Champalud perché 70 mètres au-dessus du fleuve, sans oublier les ruines de son « Moulin pendu » (deux roues à aube étaient « pendues » sous des arches), longtemps confondu avec un péage fortifié qui, néanmoins, exista également sur le fleuve avec sa « porte marinière ».
Enfin, en rive droite et cette fois en Loire-Atlantique, quelques derniers reliefs restent à conquérir par les visiteurs infatigables : Oudon et sa tour campés sur un éperon métamorphique faisant face à celui de Champtoceaux et obligeant la Loire à s’encaisser dans ce resserrement ; Le Cellier et ses « balcons » rocheux dominant le fleuve et, encadrées par les vignes, ses « Folies Siffait », sorte d’aménagement monumental et démesuré réalisé par Maximilien et Albert-Oswald Siffait entre 1819 et 1829 : il s’agit d’un « jardin extraordinaire » à la Trénet, donc d’un jardin à l’architecture plutôt folle, composé, dans un esprit très romantique, de terrasses et de tours de pierre accrochées à flanc de coteau, comme pour dominer la Loire qui en serait les douves…
Outre ses paysages esquissés brièvement, la Basse-Loire offre une mosaïque de milieux naturels qui trouve, bien entendu, son expression la plus originale au travers de la grande diversité des zones humides. Cet important complexe de milieux aquatiques et de zones palustres est dû, sur une distance relativement courte, à de multiples facteurs : les nombreuses confluences (Sarthe, Mayenne, Loir, Maine, Erdre…) ; la présence d’un fleuve connu pour son régime particulièrement irrégulier ; le caractère fortement inondable d’un grand nombre de secteurs revêtant une importance capitale pour la régulation des crues et la protection des implantations humaines ; la proximité de l’océan ayant fait de sa rencontre avec la Loire un vaste estuaire.
Sans entrer dans le détail, la vallée et ses dépendances présentent un large éventail de milieux humides, des basses zones tourbeuses constamment engorgées aux végétations des niveaux moyens à supérieurs moins trempés, soumises à une période d’inondation plus courte (moins de 4 à 5 mois par an). Ce sont certainement ces prairies « méso-hygrophiles », classiquement fauchées, qui ont fait la réputation du secteur avec, notamment, la présence d’importantes populations de fritillaires pintades (Fritillaria meleagris), ces fleurs très originales aux corolles à damiers roses et blancs.
Une autre spécificité mérite encore d’être signalée, c’est le patrimoine des boires souvent étonnant (flore, insectes, amphibiens…). Certaines d’entre elles comptent d’ailleurs au nombre des Zones Naturelles d’Intérêt Écologique Faunistique et Floristique (ZNIEFF), comme par exemple : la boire de Champtocé-sur-Loire (jusqu’à Ingrandes, Maine-et-Loire), avec ses haies à frêne oxyphylle (Fraxinus angustifolia) et son « dolmen immergé » apparu durant la grande sécheresse de 1976 ; ou encore la boire Torse à l’amont d’Ancenis (du Fresne-sur-Loire à Anetz, Loire-Atlantique), avec ses vanneaux huppés (Vanellus vanellus), ses râles des genêts (Crex crex)… et qui fut source d’inspiration d’un roman (« Au nom du fils ») de l’écrivain angevin Hervé BAZIN.
Passé Nantes, du Pellerin à Saint-Nazaire, l’estuaire s’ouvre en un long triangle ouvert à l’ouest, limité par le Sillon de Bretagne au nord et le léger bombement du Pays de Retz au sud. Cette zone humide de plus de 21 000 hectares, sillonnée de chenaux, ponctuée d’îles et accueillant d’innombrables oiseaux, forme en relation avec le lac de Grand-Lieu, les marais de Guérande et de la Brière, un complexe estuarien d’intérêt écologique majeur sur lequel nous allons nous attarder maintenant.
De Nantes à Saint-Brévin-les-Pins
Quittons Angers, l’Anjou noir pour rejoindre l’estuaire de la Loire, Nantes et son pont (Guy Béart…), Nantes et ses prisons (Tri Yann…), Nantes et son château des ducs de Bretagne pour en dire quelques mots. C’est le père d’Alix de Thouars qui fait construire à partir de 1207, à Nantes, le premier château dit « de la Tour Neuve », embryon du futur château des ducs de Bretagne situé de nos jours à l’est de la vieille ville, en contrebas de la cathédrale Saint-Pierre (-et-Saint-Paul). Il est bordé au nord par le cours John Kennedy qui, jusqu’aux années 1930, était un bras de la Loire alimentant les douves du château. Au fil des siècles, l’ouvrage va s’agrandir et les fortifications s’étendre. Entre autres, au 14ème siècle, Jean IV développe ce « chastel de la Tour Neuve » dont l’unique vestige encore visible de nos jours est la « tour du Vieux Donjon » (construction polygonale). Au 15ème siècle, François II de Bretagne fait reconstruire l’édifice qui doit à la fois remplir les rôles de résidence de la cour ducale et de forteresse militaire : côté cour, un palais résidentiel en tuffeau blanc (le Grand Gouvernement, la tour de la Couronne d’Or, le Grand Logis) s’oppose, côté ville, à sept tours massives en schiste et granite reliées par des murailles coiffées par 500 mètres de chemin de ronde (circuit des remparts aujourd’hui ouvert au public). À la mort son père, Anne de Bretagne continue l’ouvrage (la tour du Fer à Cheval) qui s’enrichit encore par la suite (le Petit Gouvernement) et accueille au fil des siècles aussi bien princes bretons que rois de France, militaires que prisonniers (Gilles de Rais y séjournera). Après avoir été prison, caserne, arsenal…, l’ensemble abrite aujourd’hui des collections muséographiques dont certaines retracent l’histoire de Nantes et de la Bretagne…
De nos jours, cette vieille ville et son château non loin des bords de Loire et des quais, son circuit des remparts avec vue sur la ville, la cathédrale Saint-Pierre et le quartier historique du Bouffay, nous semblent être une excellente idée de visite. Le Bouffay, avec ses rues étroites, la présence de maisons à colombages (maison des apothicaires), sa toponymie (place du Pilori), rappelle les origines anciennes de la cité des Namnètes (Naoned, Nantes en Breton). Cette zone piétonne, avec ses nombreux restaurants, crêperies et bars, est aussi l’un des secteurs les plus vivants et les plus touristiques de Nantes.
À environ deux kilomètres au sud-ouest du château, toujours en bord de Loire, un autre quartier, mais plutôt de tradition ouvrière cette fois, mérite également qu’on s’y arrête : c’est celui de Chantenay. Cette visite devrait réconcilier avec le « Sillon de Bretagne » les nombreux voyageurs déçus de ne l’avoir observé qu’à grand peine un peu plus à l’ouest, de Pontchâteau à Savenay. Car c’est bien ici, sur les quais vers le pont de Cheviré, que s’opère la rencontre entre la Loire et le Cisaillement Sud Armoricain : c’est une longue fracture, que l’on peut suivre de la Pointe du Raz jusqu’à Nantes et aux Deux-Sèvres. Elle est due à d’anciens rejeux de l’écorce terrestre intervenus après la mise en place de la Chaîne Hercynienne. Ils ont dégagé des escarpements de faille parfois bien marqués, comme ici à Chantenay où le fameux Sillon de Bretagne s’achève en proue, armée par le granite dit d’Orvault-Mortagne, jadis exploité dans la carrière de Miséri. C’est à proximité de cette carrière que s’observe le mieux la mise en relief des terrains qui résulte du grand accident cassant : du quai d’Aiguillon, on rejoint la butte Sainte-Anne et sa statue par le redoutable escalier des « cent marches » qui, en fait, en compterait 121 ! Avouons que nous n’avons pas vraiment compté. Dominant le fleuve d’une trentaine de mètres, le promontoire est bien un lieu privilégié d’observation de la vallée.
Quittons la cité des ducs, cap toujours plus à l’ouest, pour découvrir une des plus importantes zones humides française. Passé Nantes, l’embouchure de la Loire s’ouvre, du Pellerin à Saint-Nazaire, en un long triangle ouvert sur l’Océan atlantique. Le vaste estuaire soumis aux forces marines (aestus = la marée) est limité au nord par la modeste ligne de hauteur du Sillon de Bretagne et, au sud, par le léger bombement du Pays de Retz. Ce secteur d’environ 20 000 hectares (le double dans les années 70 !), sillonné de chenaux, ponctué d’îles, envahi de marais et de prairies plus ou moins salées, jalonné de vasières vivant au rythme des marées, forme en relation avec des sites proches une zone estuarienne d’intérêt écologique majeur. Avec les marais de Guérande et de la Brière (rive droite —en regardant vers la mer—) et le lac de Grand-Lieu (rive gauche), l’estuaire de la Loire constitue un complexe de milieux humides d’importance internationale pour l’accueil des oiseaux d’eau (Zone de Protection Spéciale et Zone Spéciale de Conservation européennes). Au total, des Ponts-de-Cé (Angers) à Saint-Nazaire, le fleuve et son estuaire créent un important axe migratoire pour la façade atlantique : y sont régulièrement observées, en basse saison, plus de 250 espèces différentes en hivernage et/ou en haltes migratoires. En terme d’individus cette fois, 70 000 à près de 200 000 oiseaux sont recensés selon les années.
Née de la rencontre « explosive » entre un fleuve particulièrement capricieux et un océan qui sait également s’imposer, l’embouchure de la Loire est, par nature, ébréchée, disloquée, variée et changeante. D’un côté, c’est l’arrivée régulière des alluvions déposées par le fleuve et l’envasement progressif ; de l’autre, c’est un remodelage constant par les crues, les marées et les houles, d’où ce foisonnement de bancs de sable et d’îlots que séparent une multitude de « bras » divagants, d’ailleurs plus une chevelure ondulante que des bras… Pas la peine de le cacher, la navigation dans ce secteur a toujours été difficile ! Bien sûr, on a tenté de multiples interventions, on a cherché d’incessantes améliorations, toujours plus ou moins satisfaisantes, toujours plus ou moins durables. C’est le cas de l’endiguement et de la chenalisation de l’estuaire avec d’importantes conséquences regrettables pour le fonctionnement actuel du cours d’eau : augmentation des dépôts vaseux, comblement et assèchement d’anciens bras, abaissement de la ligne d’eau et remontées saumâtres (coin salé) de plus en plus vers l’amont. C’est le cas également de la création du Canal Maritime de la Basse Loire (Canal de la Martinière) qui « double » le fleuve sur une quinzaine de kilomètres : achevé en 1892, inopérant une dizaine d’années plus tard (augmentation des tonnages…), son rôle se cantonne aujourd’hui à être un lieu de détente également utile à la gestion des niveaux d’eau. Nous y reviendrons, malgré les fortes contraintes naturelles, il s’agit bien d’un espace convoité où les activités humaines sont d’ailleurs autant source de dommages que de diversité. Quoi qu’il en soit, les milieux sont variés et abritent une importante et riche vie animale et végétale. Il existe aujourd’hui deux espaces protégés qui rassemblent en rive gauche près de 700 hectares de zones humides. La réserve du Massereau compte l’île du même nom, d’anciens bras de Loire et une partie du canal de la Martinière ; elle se prolonge vers l’ouest par la réserve du Migron. Toutes deux offrent d’intéressantes conditions d’hivernage et/ou de reproduction aux oiseaux.
Parmi ceux-là, on peut citer les sarcelles d’hiver (Anas crecca) pour lesquelles l’estuaire de la Loire constitue le deuxième site d’hivernage au niveau national ; d’autres canards y sont également abondants, comme les colverts (Anas platyrhynchos), les chipeaux (Anas strepera), les souchets (Anas clypeata), les pilets (Anas acuta)… ; on peut également observer de nombreux limicoles (petits échassiers), en particulier les bécassines des marais (Gallinago gallinago) bien représentées, aussi les courlis cendrés (Numenius arquata), les vanneaux huppés (Vanellus vanellus)… ; les grands échassiers ne manquent pas non plus, hérons cendrés (Ardea cinerea), hérons garde-bœufs (Bulbulcus ibis), aigrettes garzettes (Egretta garzetta), cigognes blanches (Ciconia ciconia)… et même ibis sacrés (Threskiornis aethiopicus), une espèce bien entendu introduite. On pourrait continuer l’énumération avec bien d’autres oiseaux, mais aussi des mammifères comme la loutre (Lutra lutra), des plantes rares comme l’angélique des estuaires (Angelica heterocarpa), espèce endémique des côtes franco-atlantiques… mais l’objectif est plutôt ici de suggérer l’importance du patrimoine naturel liée à la diversité des milieux rencontrés. Guidé par ses propres centres d’intérêts, chacun pourra s’en faire une meilleure idée, notamment en suivant la piste cyclable (la Loire en vélo) : du Pellerin (sortie ouest de Nantes) jusqu’à Saint-Brevin-les-Pins où elle rejoint le GR8, elle longe la Loire, le canal de la Martinière pour arriver à l’embouchure.
Mais cet estuaire, inscrit dans la mouvance de la ville de Nantes, affiche également d’importantes contradictions que les collectivités s’efforcent de gérer au mieux : les mesures de protection résultent du constat de la forte régression des zones humides et du souhait de limiter l’urbanisation dans ces secteurs (création d’une « Écharpe verte ») et l’extension industrielle du Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire.
Pour se persuader de cet affrontement toujours d’actualité entre deux mondes si différents, suivez-nous dans un curieux endroit qui ne craint pas d’exposer sa nature composite, encore plus étonnante aux lueurs du couchant. Il s’agit, à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de Nantes, sur la commune de Saint-Brevin-les-Pins (pointe de l’Imperlay) et à deux pas du viaduc de Saint-Nazaire, d’un alignement de pêcheries que d’aucuns qualifieraient d’archaïques, d’autres d’authentiques. Toujours est-il que cette enfilade de constructions précaires, fragiles avancées improbables vers l’Océan, faites de savants pilotis, de passerelles hasardeuses et démesurées (jusqu’à 120 m de long), de planches assemblées selon les moyens du bord, a de quoi étonner, encore plus lorsque le soir tombe et que, sur l’autre rive, s’allument les feux de la technologie, les lumières de Saint-Nazaire, du port et de la raffinerie qui reflètent et tremblent doucement sur les flots : le contraste est alors saisissant entre ces deux univers qui se télescopent visuellement au dessus du large estuaire.
LE LAC DE GRAND-LIEU
Bouaye, La Chevrolière, Saint-Aignan-GrandLieu, Saint-Lumine-de-Coutais, Saint-Mars-de-Coutais, Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique)
À voir à moins de 30 km : Pornic, l’estuaire de la Loire, le Sillon de Bretagne (64), Nantes, Clisson (63)
Grand-Lieu est bien le seul plan d’eau du Grand-Ouest qui a droit au titre de « lac », les autres n’étant, il faut bien l’avouer, que de simples retenues ! Grand-Lieu est bien un lac naturel, situé entre Bouaye et Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de Nantes.
N’allons pas jusqu’à dire qu’il s’agit d’un lac de montagne, l’altitude moyenne allant d’une dizaine à un mètre au-dessus du niveau de la mer permettrait difficilement d’accréditer cette thèse un peu trop hardie ! Il faut préciser que l’Océan n’est qu’à une vingtaine de kilomètres, de quoi, en revanche, marier facilement les plaisirs des eaux salées et douces…
Si donc ce n’est pas un lac d’altitude, il n’en reste pas moins une zone naturelle humide d’exception, classée réserve naturelle en 1980 et inscrite en 1995 comme site d’intérêt international au titre de la convention de Ramsar. Sa surface qui varie de plus de 60 km2 en hiver à moins de la moitié en été, ainsi que sa profondeur allant de 4 à 2 mètres d’eau entre la basse et la haute saison, permettent l’expression d’une grande diversité de milieux aquatiques à palustres : eaux libres, îlots et presqu’îles, forêts et herbiers flottants, vasières nues, roselières, bas marais et prairies périphériques, canaux et fossés…
Alimenté par la Boulogne (Saint-Philbert) et l’Ognon (Pont-Saint-Martin), il se vidange au nord par l’intermédiaire de l’Acheneau qui rejoint la Loire.
L’accès au lac, peu aisé en règle générale et limité (réserve naturelle), peut se faire par le site de Pierre Aiguë (au sud-ouest de Saint-Aignan-Grandlieu) ou la tour d’observation de Passay (à l’ouest de La Chevrolière, par la D 62) où un écomusée présente le site, l’histoire de la pêche locale et les oiseaux.
Car, bien sûr, on vient surtout au lac de Grand-Lieu pour découvrir une avifaune riche et diversifiée, plus de 250 espèces dont 120 nicheuses recensées par la Société Nationale de Protection de la Nature, le gestionnaire du site. Si vous n’arrivez pas à observer les fleurons de l’endroit, spatules blanches (Platalea leucorodia), grandes aigrettes (Ardea alba), guifettes noires (Chlidonias niger), hérons garde-bœuf (Bubulcus ibis) et crabiers chevelus (Ardeola ralloides), une visite à la Maison de la réserve de Bouaye vous consolera au travers de l’exposition dédiée à la grande biodiversité du site (sur réservation, possibilité pour les groupes de visites guidées autour du lac).
Car outre cette richesse ornithologique, Grand-Lieu est également réputé pour sa flore (plusieurs espèces protégées au niveau international) et le reste de sa faune, poissons -site important pour l’anguille d’Europe (Anguilla anguilla)-, batraciens, reptiles, mammifères… Parmi les petits carnivores rares et protégés, la loutre d’Europe (Lutra lutra), le vison d’Europe (Mustela lutreola) et la genette d’Europe (Genetta genetta) fréquentent les lieux.
Toute l’attention actuelle apportée à cette zone humide et sa préservation ne doit pas faire oublier les menaces anciennes qui ont pesé sur elle (plusieurs projets d’assèchement heureusement infructueux pour permettre une exploitation agricole) et la mauvaise réputation qui, par le passé, était attachée aux bas-marais, nature indocile, malsaine et dangereuse où s’exacerbaient les peurs ancestrales. À ce titre, Grand-Lieu partage avec Ys (Finistère), Briouze (Orne) et certainement d’autres, le triste sort lancé aux cités englouties.
Ici, c’est celle d’Herbauges qui n’aurait pas résisté à une brusque montée du lac au 6e siècle. La volonté locale de se soustraire aux tous nouveaux efforts d’évangélisation aurait motivé la colère divine que rappelle d’ailleurs, chaque soir de Noël, le son des cloches de la ville disparue…
Les mentalités ont fort heureusement évolué et ce foyer de nature en périphérie de l’agglomération Nantes-Saint-Nazaire bénéficie du prestige accordé de nos jours aux grandes zones conservatoires devenues une véritable fierté pour les populations résidentes et des lieux de visite pour les touristes. Cette notoriété est la résultante d’une prise de conscience, plus tardive en France que chez nos voisins Anglais ou Allemands, qui soutient que la nature (même plus tout-à-fait « sauvage ») n’est pas éternelle et mérite une attention, un soin et des moyens particuliers pour garder une place dans nos cadres de vie, en particulier ceux de proximité.
Le lac de Grand-Lieu fait partie, notamment avec les marais de la Brière et de Guérande, d’un complexe de milieux humides qui fait de l’estuaire de la Loire une zone d’importance internationale pour l’accueil des oiseaux d’eau (Zone de Protection Spéciale et Zone Spéciale de Conservation européennes). Sur cet important axe migratoire de la façade atlantique, en basse saison, ce sont plus de 250 espèces différentes, en hivernage et/ou en haltes migratoires, qui sont observées régulièrement des Ponts-de-Cé (Angers) à Saint-Nazaire. En terme d’individus cette fois, 70 000 à près de 200 000 oiseaux sont recensés selon les années.
Petite histoire hercynienne
Mais les proches environs de la Loire, d’Angers à Nantes, ont bien d’autres secrets à nous livrer, tout particulièrement en matière d’histoire très très ancienne… Si comme nous l’avons vu, la Chaîne Cadomienne se « révèle » plutôt vers le nord du Massif Armoricain, Calvados, Ille-et-Vilaine, Côtes d’Armor, c’est ici que la Chaîne Hercynienne a le mieux dévoilé des pans entiers de sa longue évolution. Si de nos jours cette barrière rocheuse est classée dans les « massifs anciens », on gardera néanmoins en mémoire que la Chaîne Hercynienne, aussi appelée Chaîne Varisque, est la « petite dernière » des trois montagnes (Icartienne, Cadomienne, Hercynienne) qui se sont succédées dans l’Ouest. De ce fait, ce sont surtout ses reliefs, tous vestiges qu’ils soient, qui marquent le plus fortement les paysages armoricains actuels.
C’est donc dans ce domaine sud-armoricain (ligérien…) que s’observe la partie la plus profonde de la Chaîne Hercynienne (zone axiale) et, de ce fait, les roches y sont particulièrement déformées et transformées (gneiss, micaschistes, migmatites, schistes bleus…). Mais l’affaire, déjà compliquée, n’est pas aussi simple… Des vestiges plus anciens sont également présents dans ce secteur et apparaissent sous la forme du socle cadomien également métamorphisé ! Ajoutons un dernier facteur de complication : le domaine sud-armoricain est également marqué par une zone majeure de failles, le Cisaillement Sud-Armoricain (CSA) (parfois nommé zone broyée sud-armoricaine) ; ce grand accident tectonique est jalonné de massifs granitiques qui s’en sont échappés, mis en place lors de la surrection-même.
Il va donc nous falloir parler de métamorphisme, de roches incroyables, de phénomènes dépassant presque l’entendement humain ! Donc attention ! Le voyage au fond des âges n’est pas des plus faciles, restez concentrés et accrochez bien vos ceintures ! Car avec cette géologie-là, ce sont des mots, des noms, des dates qui peuvent faire tourner la tête ! Alors, sans édulcorer la chronique hercynienne, nous avons donc essayé de la simplifier pour mieux faire connaître une évolution qui nous semble essentielle dans la compréhension des paysages actuels.
D’un point de vue dates, le fil de l’épopée hercynienne commence donc au Paléozoïque (l’Ère primaire), dans sa première « période », celle du Cambrien (542 millions d’années), pour se poursuivre à l’Ordovicien (488 Ma), au Silurien (444 Ma), au Dévonien (415 Ma) et enfin au Carbonifère (360-299 Ma) où se situent les phases majeures de la surrection hercynienne. Durant ces 240 millions d’années, la terre va continuer à connaître, comme au Précambrien (avant l’Ère primaire), la « valse-hésitation » de ses continents, d’abord dissociés dans leur migration vers le nord, puis réunis au Permien (299 Ma) en un supercontinent (la Pangée), et à nouveau désolidarisés pour prendre peu à peu la forme que nous leur connaissons aujourd’hui.
Tout commence au début du Cambrien. Les reliefs de la vieille Chaîne Cadomienne, situés au nord d’un continent nommé Gondwana, s’érodent sans disparaître totalement pour donner d’abord des accumulations de sédiments continentaux, sables et galets qui deviendront des grès rouges et des poudingues très résistants.
À l’Ordovicien, des sables sont déposés sur une vaste plate-forme marine peu profonde, lors d’une véritable transgression marine (remontée du niveau marin). La sédimentation de ces sables (grès devenus quartzites par métamorphisme) revêt une importance capitale dans l’histoire du Massif Armoricain : ces roches extrêmement résistantes, englobées sous le terme générique de « grès armoricains », forment aujourd’hui les principales lignes de relief et portent les points culminants.
Ceinturant les reliefs cadomiens plus ou moins arasés, la mer envahit progressivement les terres. La nature de la sédimentation évoque, par jeu des plaques, un étirement de la croûte, avec rifting, volcanisme et océanisation ; la naissance de l’océan Rhéique au nord, et de l’océan du Massif Central au sud de la micro-plaque Armorica (armoricaine), résulte de ce nouveau contexte géodynamique et la sépare du Gondwana.
C’est principalement à partir du Silurien que commence véritablement la structuration hercynienne. Cette tectonique est d’abord liée à une subduction de plancher océanique. Le secteur du Maine-et-Loire vers Angers traduit sans conteste l’enfoncement de la plaque de l’océan du Massif Central sous le continent armoricain (Armorica), attesté par la trace d’un bassin arrière-arc matérialisé par les schistes de Bouchemaine et de Saint-Georges-sur-Loire associés à des roches volcaniques. Ces témoins de la subduction se retrouvent jusqu’à Chalonnes-sur-Loire.
La fermeture de l’océan du Massif Central continue et, au Dévonien, la collision en biais entre Gondwana et Armorica a lieu. Les mouvements tectoniques intenses s’accompagnent d’un important métamorphisme et de montées granitiques résultant de la fusion de la croûte dans les zones faillées et broyées.
Mais l’érection de la Chaîne Hercynienne ne fait que commencer. Bientôt, c’est à l’océan Rhéique de subir à son tour une subduction. Par la suite, cette dernière entraîne le choc, au nord, entre le nouveau bloc Gondwano-armoricain et le continent nord-atlantique (Laurentia-Baltica). C’est donc l’édification d’une « double chaîne de montagne », puisqu’une première collision (et orogenèse méridionale) Gondwana / Armorica a déjà eu lieu. Une dernière phase de « serrage » a lieu au Carbonifère supérieur ; cet ultime épisode compressif préfigure la soudure de l’ensemble des blocs, au Permien (vers 260 millions d’années), en un supercontinent : la Pangée.
Le télescopage des continents a donc occasionné la surrection de la Chaîne Hercynienne, chaîne montagneuse culminant probablement à près de 7000 mètres. Cette collision est comparable à celle de l’Inde et de l’Asie qui, actuellement, préside à la formation de la Chaîne Himalayenne. Il en résulte des plissements, des nappes de charriage de part et d’autre de la zone de contact elle-même marquée de séries de roches magmatiques particulières, les ophiolites : de même nature que l’ancien plancher océanique disparu, portées à de hautes altitudes, elles témoignent de l’existence préalable d’un bassin et de sa disparition. Dans le domaine sud-armoricain, des roches de ce type traduisent la fermeture de l’océan du Massif Central et la rencontre « coulissante » du Gondwana et de la plaque armoricaine le long du Cisaillement Sud-Armoricain (CSA) qui court de la Pointe du Raz au Poitou : comme nous allons le voir, l’Anjou noir et le Choletais conservent des témoins de cette ceinture ophiolitique.
Il y a 300 millions d’années, la Chaîne Hercynienne dessine donc une haute cicatrice qui révèle la collision de deux blocs continentaux, l’Afrique et l’Europe du nord. Ses reliefs et son extension n’ont rien à envier aux grandes montagnes actuelles et l’on comprend bien que le Massif Armoricain n’occupe, au sein de l’ensemble du dispositif plissé, qu’une place honorable. L’édifice, sinueux, part du Maroc, passe par l’Espagne, la France, l’Allemagne… pour finir en République tchèque. Son nom fait d’ailleurs référence au massif du Harz au centre-nord de l’Allemagne (culminant à 1141 mètres d’altitude) ; quant à « varisque », le terme vient de Curia Variscorum, appellation latine de la ville bavaroise de Hof (sud de l’Allemagne). On retrouve même des conséquences du plissement hercynien à l’est de l’Amérique du nord, dans les Appalaches (orogenèse acadienne) : en effet, à l’époque du cycle varisque, la Laurentia et la Baltica sont déjà réunies en un bloc unique, le continent nord-atlantique (ou Laurasie).
Si donc le Massif Armoricain n’est qu’une pièce parmi d’autres fragments plus ou moins dispersés, nous venons de voir, en revanche, que c’est l’un des territoires les plus riches d’enseignement sur la Chaîne Hercynienne.
LA « NAPPE » DE CHAMPTOCEAUX
Champtoceaux (Maine-et-Loire)
À voir à moins de 30 km : l’éperon métamorphique d’Oudon, le « jardin » des Folies Siffait, les balcons rocheux du Cellier, Nantes, Ancenis, la boire Torse, le Mont Glonne à Saint-Florent-le-Vieil, les Mauges, les coteaux calcaires de Bouzillé et de Liré, Montjean-sur-Loire, Clisson
Il est temps de présenter un peu plus en détail un phénomène qui a profondément affecté les terrains de la Chaîne Hercynienne, tout particulièrement dans sa zone axiale parcourue par la Loire : le métamorphisme.
Depuis leur mise en place en surface, peu de terrains ont échappé à son emprise et nombre d’entre eux ont été remobilisés, déformés, enterrés, exhumés, transformés. Le métamorphisme agit, dans les profondeurs de la terre, sur des roches à l’état solide sous l’effet essentiellement de la variation de pression (du fait de forces de poussée, du simple poids de la couverture rocheuse…) et de température (avec en moyenne une augmentation de 3°C tous les 100 mètres). Il se manifeste par la transformation des minéraux qui recristallisent et, bien souvent, par une déformation de la structure, avec apparition d’une schistosité (naissance de feuillets de composition minéralogique identique) ou d’une foliation (avec des minéraux qui se concentrent dans certains lits comme c’est le cas avec les micaschistes et les gneiss).
Simplifions. De cette manière et par métamorphisme croissant, les argiles deviennent des schistes, des micaschistes, des gneiss puis des migmatites ; les sables et les grès, des quartzites puis des gneiss ; les granites, des orthogneiss ; les diorites et les basaltes, des schistes, des amphibolites puis des pyroxénites. Le métamorphisme touche toutes les roches : sédimentaires, magmatiques mais aussi métamorphiques.
Dans le Massif Armoricain, cette métamorphose se manifeste tout autant au travers d’un métamorphisme de contact que d’un métamorphisme régional.
Le métamorphisme de contact concerne des terrains « chauffés » à la proximité immédiate d’une grosse « bulle » granitique. Souvenez-vous par exemple de nos « virées » en Suisse Normande : les cornéennes (et schistes tachetés…) y dessinent une auréole relativement étroite autour d’un magma qui deviendra du granite en refroidissant. Ainsi, bien des massifs granitiques sont entourés d’une auréole de roches surcuites, plus dures et de ce fait, souvent plus résistantes à l’érosion.
Le métamorphisme régional affecte quant à lui les matériaux sur des surfaces et des épaisseurs bien plus importantes. Caractéristique des chaînes montagneuses et des boucliers anciens, il s’inscrit dans le cadre de mouvements tectoniques et suppose une forte élévation à la fois de la température et de la pression liée à l’enfouissement profond des matériaux.
Pour présenter le métamorphisme régional, quoi de mieux que la vallée de la Loire et les abords du Cisaillement Sud-Armoricain.
Le domaine sud-armoricain est ici formé de deux ensembles, le domaine ligérien au nord du fleuve et le domaine vendéen au sud (notre station suivante). Dans le premier, c’est le secteur méridional, surtout constitué d’un empilement de nappes hercyniennes, qui a été soumis à un métamorphisme d’intensités variables, d’où la diversité des affleurements : micaschistes, gneiss, orthogneiss… Les scientifiques ont reconnu dans la nappe de Champtoceaux (une quinzaine de kilomètres au nord-est de Nantes) les vestiges d’un vaste anticlinal « couché ». L’empilement, fait d’orthogneiss, de gneiss et de micaschistes profondément transformés, repose sur les schistes de Mauves-sur-Loire (à 6 km de Nantes) et plonge au nord et à l’est sous le bassin d’Ancenis et les Mauges. Le groupe de Champtoceaux a aussi livré des « éclogites » et nous allons revenir sur leur importante signification.
En attendant cette explication qui va suivre, comment quitter Champtoceaux sans longer ses corniches rocheuses, sans parcourir sa citadelle et son jardin de Champalud perché à 70 mètres au-dessus de la Loire, sans flâner vers son Moulin pendu ? Comment quitter la Loire sans jeter un coup d’œil, à proximité, au promontoire d’Oudon (et sa tour), au Mont Glonne du charmant Saint-Florent-le-Viel, ou encore au jardin « extraordinaire » des Folies Siffait ?
LES « ÉCLOGITES » SUD-ARMORICAINES
Saint-Philbert-de-Bouaine (Vendée), Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique)
À voir à moins de 30 km : le lac de Grand-Lieu, Nantes, Clisson, le Marais Breton
Le métamorphisme régional a également marqué le domaine vendéen, notamment dans sa partie occidentale (environs de Challans, de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, de Chantonnay…) : micaschistes, gneiss, migmatites, orthogneiss de l’île d’Yeu, des Sables-d’Olonne et de Chantonnay… Mais c’est principalement la bande des Essarts (Saint-Philbert-de-Bouaine) et ses prolongements qui ont livré aux géologues une des « clefs » permettant de mieux appréhender la mise en place de la grande chaîne armoricaine. En effet, tout comme à Champtoceaux ou encore Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique), des éclogites y ont été trouvées.
Le nom de ces roches vient du grec eklogê = choix, car elles se composent de minéraux « sélectionnés » (omphacite, grenat) au cours du métamorphisme qui les affecte. Elles se forment à grande profondeur (hautes pressions) et la présence de ces reliques (carrière de Saint-Philbert-de-Bouaine au nord de Legé et Rocheservière…) indique l’existence d’une ancienne zone de subduction. Comme nous l’avons vu, ces éclogites se sont formées lors de la première subduction, celle de l’océan Central qui peut être considérée comme prémices de l’orogenèse hercynienne. Ces roches, fragments métamorphisés de la lithosphère océanique, témoignent donc d’océans disparus et de la longue histoire de la formation de la Chaîne Hercynienne. Cela ne veut pourtant pas dire que les sites permettant de comprendre sa formation soient nombreux. Par exemple, le nombre des anciennes zones de subduction affleurant en surface est, en France, plutôt réduit, avec une bonne moitié située dans le Massif Armoricain : île de Groix, Champtoceaux, Les Essarts…
Après ces considérations très géologiques, trop géologiques ( ?), presque métaphysiques…, mais qui devaient être faites, nous allons pouvoir poursuivre d’un oeil plus léger nos pérégrinations au sein des paysages armoricains…