Singles de Laurent Voulzy 1978-1981
Publié le 15 janvier 2023, par Charles-Erik Labadille
Des bulles de star
Singles, Laurent Voulzy, 1978-1981
Bulles de champagne par Oenotourisme 2017
Même après le succès de « Rockollection » (1977), Laurent Voulzy reste un adepte des singles : « Bubble star » (1978) et « Paris-Strasbourg » (1978) sortent avant le premier album Le cœur Grenadine (1979), lui-même « tronçonné » en trois 45 tours. Après « Surfing Jack » (1980), paraît « Idéal simplifié » (1981), avec en face B « Ricken » qui annonce le second album de Laurent Voulzy, Bopper en larmes (1983). Cette période 1978-1981 s’inscrit dans une maturité toute nouvelle, même si quelques titres plus faciles, hérités des années précédentes plutôt « variété-rock » viennent encore « polluer » une production de qualité en pleine installation. « Bubble star » et « Idéal simplifié » restent les monuments les plus marquants de cette époque de grande construction.
Bubble star, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1978 tonalité SOL majeur

Bubble star, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1978 (version 2016), extrait
Comme bien des artistes confrontés à une célébrité dont ils ne savent pas ce qu’elle va devenir, Laurent Voulzy se pose dans « Bubble star » la question de la pérennité, de la reconnaissance de l’artiste, de la longévité de la star… Alain Souchon se la posera 10 ans plus tard, comparant même la déchéance, le déclin à une « petite mort » :
Laurent Voulzy (au travers des mots de Souchon) compare quant à lui l’ascension du chanteur à celle d’une bulle (de champagne ?), d’un « ballon gonflé » qui monte, monte et pourrait bien éclater ! Il précise cependant que si la bulle peut faire « boum », c’est qu’au préalable « on » l’aura zoomée, gonflée à mort… Mais qui est ce « on » ? À vous de voir : le show-biz ? Le public ? Le hasard ? Il ne semble pas que l’artiste soit envisagé comme une des causes de sa réussite, et de sa déchéance. Dans cette chanson, comme dans bien des thèmes traités par Souchon, les choses sont vues d’emblée avec une certaine distance, une certaine désillusion (qui se transforme rapidement en autodérision), une incapacité à réagir, une sorte de soumission à la destinée, bonne ou mauvaise. On regarde comme un spectateur son amour contrarié, sa réussite, le temps qui passe et vous vieillit…
Quand j’s’rai KO descendu des plateaux d’phonos Poussé en bas par des plus beaux des plus forts que moi
Est-c’que tu m’aimeras encor’ dans cett’ petit’ mort

Pour finir cette histoire d’artiste, il semblerait donc qu’il y ait deux situations bien différentes, le passage de l’une à l’autre relevant du miracle ou de la catastrophe : un état de vie à la gomme, de maillot de corps et de pantoufles, où ça rame dur… ; un autre de paillettes, de lumière, de chanteur « beau en couleur » qui monte, qui monte mais qui pourrait bien…
Pour le reste, « La la lalala la… », comme le répète le refrain.
Pour la musique, c’est étourdissant comme des bulles qui montent à la surface, c’est rythmé, entraînant, gai, tout en accords majeurs, sauf deux petits La m et Mi m rapides sur le pont. Pour le reste, c’est un magnifique I IV V : SOL (I) DO (IV) RÉ (V), joué la plupart du temps dans l’ordre : SOL RÉ DO DO RÉ… dans la version en SOL de 2016 (la version originale 1978 est un ton au-dessus, en LA). Pour la petite histoire, « le Cœur grenadine » a bien failli être choisi pour la seconde face du single « Bubble star » avant d’être réservé comme morceau « phare » du premier 33 tours de Laurent Voulzy.
Le I IV V

Revenons aux accords qui peuvent se construire sur la gamme diatonique (voir l’article L’harmonisation de la gamme majeure extrait de l’article « Jamais content »).
Nous avons vu que les accords construits sur les degrés I IV et V sont tous les trois des accords majeurs. C’est tout bêtement ce qui donne son nom à cette séquence particulièrement utilisée dans toutes les musiques, le I IV V. En tonalité de Do, c’est la succession dans un morceau de Do Fa Sol (n’oubliez pas de compter sur vos doigts, le I étant la tonique), passés dans un ordre ou dans un autre (au choix du compositeur).

Paris-Strasbourg, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1978, extrait
Paris-Strasbourg, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1978
Paris Strasbourg est une épreuve de marche à pied mythique organisée annuellement entre 1926 et 1937. Elle s’effectuait à l’allure de la marche sportive, sur plus de 500 km en continu, de jour, de nuit, et sans repos ni étape. En 1926, alors que de nombreux marcheurs n’arriveront pas à Strasbourg, les vainqueurs s’y rendront en un peu plus de 3 jours ! Cette idée de compétition extrême et de gagnants surdoués est reprise sur fond de rock martelé par la grosse caisse (pour rappeler la marche) et de guitare son rétro style Shadows (peut-être pour signifier que ça date !). Bien entendu, notre équipe de mauvais esprits, de loosers nés conduite par Alain Souchon aux paroles, propose bien entendu de faire le contraire et de plutôt prendre les chemins de traverse ou même de marcher à contre-sens ! Tout démarre d’un constat : « C’est la vie Je suis parti à rebours Ma vie c’est Paris-Strasbourg » et se conclut par la proposition plutôt déplacée, voire malhonnête : « Paris-Strasbourg hors concours Le nez en l’air je march’ tout seul à l’envers Messieurs mesdam’ hors programm’ Un’ vie qui dans’ un’ sentimental’ cadenc’ ».
Surfing Jack, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1980, tonalité MI majeur
C’est un (boogie-country-) rock endiablé qui par bien des points préfigure « Idéal simplifié » qui sortira l’année suivante. La bande de jeunes fêtards, la jeunesse désinvolte et écervelée si vous préférez, bref la jeunesse puérile comme toutes les jeunesses est déjà là prête à danser sur la plage… Témoins, ces filles qui s’agitent, qui rient et qui crient dans tous les sens ! En fait, pas aussi désordonnés que ça, même plutôt bien bidouillés ces chœurs féminins qui sont en passe de devenir une marque de fabrique du compositeur ! Comme dans « Idéal simplifié », il y a Alain Souchon, grand ado livré à lui-même qui va tenter quelques jeux de mots improbables, des néologismes extrêmes et si possible deux trois calembours teintés d’anglicismes…
« Pour les sympas boys pour les sympas fill’… »
« Neptun’ brother héros des mers… »
« It’s me Surfing Boogie… »
« Pour fair’ la niqu’ aux scouts pervers
De la trop vieill’ Angleterr’ We all mov’ notre derrièr’… ».
Nous avons même le privilège, en intro, d’entendre un Alain Souchon drolatique déclamer ces trois derniers vers.
Ils ont également la particularité, lorsqu’ils sont repris en cours de chanson, d’être un des rares moments où l’on change d’accord, un LA (IV) ! Car cette fois, à la différence d’« Idéal simplifié » qui sera beaucoup plus sophistiqué sur le plan musical, l’essentiel du morceau tient sur l’accord de MI (I) ! « Surfing Jack » est, bien sûr, un hommage aux sports de glisse aquatique et, par leur intermédiaire, aux Beach Boy : à cet égard, la portion de chœurs sur « Surfing Jack Surfing Surfing Jack the surfer » est « bluffante » car plus vraie que nature, avec les changements de tons et les « hou hou hou » qui s’imposent ! Et pour continuer dans la virtuosité, Laurent Voulzy nous offre, comme pour nous prouver qu’il est capable de faire mieux qu’un accord par morceau, un outro (une fin) de 10 secondes où il enchaîne 5 des 7 accords de la tonalité : MI (I), LA (IV), SI7 (V), SOL#m7 (IIIm7), DO#m7 (VIm7), LA, SI7, MI.
Des larmes et des larmes, Laurent Voulzy, Alain Souchon 1980
C’est le titre de la face B du single « Surfing Jack ». Cette chanson est restée très confidentielle bien qu’elle soit plutôt bonne. Mais il lui manque sans doute quelque chose, on la suit agréablement sans pouvoir s’arrêter quelque part, sur un petit truc qu’on retient et qui sert de repère. Avec un titre comme celui-là, on s’en doute, il s’agit d’une histoire de cœur, de cœur pas trop au beau fixe, de cœur noyé par le chagrin car on l’a quitté. Le texte traduit bien cette émotion et certains vers sentent le « Souchon » à plein nez :
« J’essaie viens m’voir viens m’voir viens m’voir
Ça fait qu’la pluie pleuvoir pleuvoir pleuvoir
J’ai plus qu’à mourir j’veux plus rien fair’
J’aim’ plus mes affair’ »,
on croirait entendre un gamin désolé à qui on aurait « piqué » ses p’tites affaires, ses jouets…
La musique est sophistiquée, tonalités incertaines, aériennes, un peu Jonasz, un peu Beatles par moment, déjà bien Voulzy, Voulzy de Bopper en larmes où la chanson aurait sa place, ambiances éplorées obligent. Avec toutes ces larmes justement…
« Des larm’ et des larm’ J’suis marron glacé
Des larm’ et des larm’ marron cassé
Ell’ m’a laissé tomber dans l’noir tourner tourner tourner
Qu’est c’que j’me suis cogné cogné cogné »,
toutes ces larmes couplées à cette musique émouvante mais plaintive, la coupe était-elle trop pleine, d’où peut-être le fait que la chanson ait été un peu boudée ?
Idéal simplifié, Laurent Voulzy, Alain souchon, 1981, tonalité SOL majeur

Avec Idéal simplifié, on a peut-être les paroles les plus iconoclastes, déjantées, ubuesque écrites pour une chanson de Laurent Voulzy. Le grotesque et le démesuré ne font pas peur à Alain Souchon « lâché » pour faire l’éloge d’une jeunesse insouciante, irréfléchie, bref un peu idiote et qui le revendique :
« On est un’ band’ d’imbécil’ idéal simplifié Nous c’est rock fantaisie summer holyday… ».
Cet idéal (simplifié) se résume donc à la musique, à la compagnie des « bell’ fill’ », à l’oisiveté et à la vie dans la nature. Ça sent la mer, la plage, et les garçons de la dite plage (The Beach boys…) :
« Pour pas passer not’ vie à rêver d’eucalyptus Comm’ tous ces capitain’ Troy coincés dans des autobus, on veut la mer les presqu’îl’ »…
et pour bien montrer que c’est du grand n’importe quoi, Alain Souchon ajoute
« …Ivanhoé sur son ch’val » !
L’exercice littéraire est donc, lui aussi, désinvolte, et l’on peut se permettre « tous ces machins qu’on pas d’rim’ », les pires fantaisies, les pires associations d’idées, comme yaourt anglais et Lady Di, car de toutes manières : « Ça fait pas pipi loin mais qu’est-ce que ça sonn’ », entendez par là que même si les paroles sont pas terribles, la musique reste bonne ! En fait, pas si mauvaises que ça les paroles !

Idéal simplifié, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1981, extrait
En fait, pas si mauvaises que ça les paroles !
Le morceau est en SOL majeur et, pour des hommes, ça grimpe haut en deuxième partie (« On fait des yeah yeah… »). On peut alors le jouer 2,5 tons en dessous, en RÉ majeur (sans capo), les renversements d’accords ne sont pas plus compliqués : SOL7M, FA#m7, LA, MIm… Si l’on revient à la tonalité d’origine (SOL majeur), après l’intro (RÉ4…, SI4…, SI7 -On est un’…), on trouve les accords de DO7M (IV7M), SIm7 (IIIm7), RÉ (V), LAm (IIm)… Le pont qui amène au refrain utilise en plus deux autres accords de la tonalité : MIm (VIm), SOL (I) et, en fin de pont (pré-refrain), un accord hors tonalité, le LA7 sur 4 mesures pour amener (par résolution) au premier accord du refrain : RÉ… Ce qui est intéressant, sur ce canevas apparemment tout en SOL (hormis SI7 et LA7), ce sont les fluctuations de la mélodie. Harmonieuse dans la première partie, elle mêle deux séquences différentes « tout’ la nuit sur… » et « pour pas passer not’ vie… » qui évitent la monotonie. Puis, pour faire ressortir le pré-refrain, il y a ce long LA7 avec la modulation en RÉ majeur qu’il entraîne et ces braillements de supporters presque fanatiques : avec ces « yeah yeah… On est des yé-yés », on sent qu’on a et qu’on va changer de registre. En effet, le rythme du refrain est plus enjoué, plus cadencé sur un air joyeux aux paroles franco-anglaises et, le plus fort, c’est que pour les 8 premières mesures, on peut aussi bien être resté en ton de RÉ majeur que revenu en ton de SOL majeur car les accords qui s’alternent (RÉ, RÉ7, SOL) appartiennent aux deux gammes : en RÉ majeur : RÉ (I) et SOL (IV) ; en SOL majeur : RÉ7 (V) et SOL (I) ! On ne retourne définitivement en SOL majeur qu’avec les derniers accords du refrain : SOL (I), RÉ (V) et ce DO7M (IV) qui n’appartient qu’à la gamme de SOL… Idéal simplifié est vraiment un bon morceau, bien structuré, bien arrangé qui se place d’emblée au même niveau que des compositions comme Karin Redinger, Le cœur Grenadine…