SANSEVERINO
Publié le 25 septembre 2016, par Charles-Erik Labadille
Stéphane Sanseverino est un chanteur survolté, bref peut-être le Trenet du XXIe siècle ! Cet ex « voleur de poules » (nom de son ancien groupe) est passé d’un anonymat consenti à la célébrité avec l’album « Le tango des gens » qui a remporté le prix de « L’artiste révélation scène de l’année » aux victoires de la musique en 2003. Ainsi donc, des chanteurs révélés depuis l’an 2000, Stéphane Sanseverino compte sans conteste parmi les meilleurs… Allez, allons jusqu’au bout de nos sentiments, pour nous, c’est le meilleur, notre nouveau Boris Vian, notre nouveau Ray Ventura ! Expliquons-nous : Sanseverino, c’est d’abord une énergie débordante, voire délirante ! Finies les romances qui endorment ou laissent rêveur, c’est du swing qui déménage, souvent manouche, avec un débit de paroles un peu fou et une diction à la hauteur, bref le truc pour se dérider quand on rentre crevé du boulot !
Il faut savoir que faire du swing avec des paroles françaises et bien ça n’est pas évident… Eh bien là, il n’y a pas de problème, et on se demande même si le swing français a véritablement existé avant lui ! Et on se dit alors qu’on est heureux d’avoir vécu à cette période-là pour être témoin de cet événement musical qui en est réellement un. Vous savez, il y a ces vieux qui vous disent : moi, j’étais là aux débuts de Brassens… Moi, j’ai été voir Brel au tout début dans des bouis-bouis infâmes où il s’époumonait… Eh bien nous, on a eu l’immense plaisir d’en découvrir un qui sort vraiment de l’ordinaire, d’un ordinaire médiocre qu’on nous ressert à chaque génération, ces variéteux qu’on peut subir le temps d’un titre mais parfois également sur des dizaines d’années, ces chanteux débarqués d’on ne sait quelle planète bizz et qui s’accrochent à la mode de l’instant, mais aussi ces poéteux-rimailleux qui sont persuadés d’avoir réinventé des langages et des univers tellement originaux… À notre avis, tous ceux-là sont bien petits, bien banals, bien passagers et l’on s’en rend d’autant plus compte lorsqu’on est enfin confronté à cet extra-ordinaire qui, un jour enfin, vous tombe sur le paletot ! C’est une autre culture, une culture à laquelle on n’est plus habitué, une culture de l’invention, une culture de la surprise, une culture du vrai plaisir musical… En fait, le talent, ça ne peut être que ça !
Stéphane Sanseverino, ce sont aussi des musiciens fabuleux, de l’équipe habituelle où l’on remarquera tout particulièrement le guitariste Hervé Legeay, du trio swinguant au Big Band du 3ème album.
Ensuite, si la musique est bonne, comme le dirait JJG, les paroles sont tout simplement formidables, de l’invention et de la dérision à l’état pur avec, cerise sur le gâteau, la patte d’un auteur qu’on sent enjoué, avec toujours un enthousiasme débordant souvent teinté d’un bon sens, parfois même d’une innocence qui nous touchent ; bref, c’est l’inverse du mec blasé, c’est un auteur qui regarde le monde des petites gens avec sourire et réalisme, comme le traduit son bel hommage rendu aux ouvriers et au Front Pop’ ( » Les ouvriers « ). Stéphane Sanseverino, ce sont donc des chansons et des textes très originaux (« Démolissons les mots », « Rouge »…) dont quelques extraits vont permettre de juger de la spontanéité mais également de la perfection. Bien entendu, au travers ces objets manufacturés, transpire un humour redoutable. Car l’auteur a bien choisi de faire sourire pour faire passer des messages plus profonds, pour présenter sa propre interprétation des choses.
Connais-tu la différence entre un légume et un agrume
La tomate est-elle un fruit le singulier de spaghetti
Le vert du poireau est-il en bas est-il en haut ?...
Faudrait que j'aille de l'autre côté de la terre Là où les gens marchent à l'envers
Je serais peut-être dans le bon sens Une fois dans l'autre sens
En prenant le bon côté de la chose En inversant l'effet et la cause
Est-ce que tout rater ça serait pas tout réussir ? Swing du nul, swing du nul...
Comme les amis sont chers, lui il n'en a pas un,
Il est prêt à tout sacrifier pour s'en trouver plein
Sur sa table, tiens, il y a toujours un paquet de biscottes...
Choisis le rouge que tu préfères
Rouge de couleur ou de colère
Soutine, Matisse ou bien Gauguin
Hitler, Mussolini, Pétain...
Comment devenir fin, sans devenir fou Je montrais mon corps d'Apollon
Très à l'aise dans toutes les situations Dans les grands magasins
J'essayais des maillots de bain Sans jamais tirer les rideaux...
C'est le fruit de recherches et de travaux nombreux
Que j'ai fait à l'école dans les cours de français
Je voulais me passer des mots mais toujours vous parler
Depuis la nuit des temps mes travaux n'avancent pas La nuit ne détend pas
Elle énerve plutôt comme vouloir se parler sans les utiliser
Le Braille ça fait mal aux oreilles
Autant que les pieds font mal aux orteils
Comment communiquer communément, s'il faut démolissons les mots....
À la recherche de la vérité Sous une pluie dense et tiède
Pensant trouver la fluidité Coulant doucement comme de l'eau claire
Dans un ciel gris-foncé transpercé d'éclairs
C'est un tonnerre muet qui gronde sans bruits Quel abruti je suis, je cours après des images
Et cherche un nouveau langage Cette fois-ci je ne sais pas trop bien quoi dire exactement....
Mon restaurant romantique c'est la Chope des puces
Voir Ninine et Mondine c'est mieux Que de traîner en amoureux
Voyage de noces promesses d'amour Nous ferons tout à Clignancourt
On habitera à Saint-Ouen le périphérique sera un peu
Notre océan pacifique et de temps en temps Nous vendrons des objets trouvés
Dans les poubelles rue des Rosiers...
Les seringues à élastomère les bourre-pâtes et les tire-nerfs
Sont des trucs de dentistes propres à leur métier
Comme une voiture de police, un casque de pompier
Les curettes et les spatules de bouche sont des outils au nom un peu louche
Très utilisés et beaucoup moins austères
Qu'un P.38 ou une Winchester...
Enfin Stéphane Sanseverino, ce sont trois premiers albums à écouter absolument car terriblement bons dont le premier garde notre préférence pour sa spontanéité (« Le tango des gens »). Alors rendons un petit hommage à son travail avec, après « André » interprété par le génial pompiste lui-même (celui qui fait des pompes, quoi !), une reprise de « Mal ô mains » par le Trio Larigot.
Extrait de » André » (Sanseverino) Editions CH+
« Mal ô mains » (S. Sanverino), reprise du Trio Larigot
7 albums studio de 2001 à 2015
