Rockollection, Laurent Voulvy, Alain Souchon, 1977, tonalité SOL majeur
Publié le 7 janvier 2023, par Charles-Erik Labadille
Une collection de rocks


Rockollection, Souchon Voulzy Le Concert 2016 extrait
Ce morceau « composite » sort pour la première fois en single (Maxi 45 tours) en 1977 et devient n° 1 du hit-parade en mai de cette même année. Vendu à plus de 4 millions d’exemplaires, ce titre marque le début de la consécration pour l’un des auteurs, Laurent Voulzy dont le véritable premier album Le cœur Grenadine ne sortira pourtant que deux ans plus tard, en 1979. Alain Souchon, quant à lui déjà bien connu du public, publie en 1977 son troisième vinyle : Jamais content.

Pourquoi chanson « composite » ou, pour dire différemment, « complexe » ? Parce que c’est un medley, ou, si l’on préfère un « pot-pourri » où un auteur reprend dans un morceau les extraits de différents titres qu’il « colle » bout à bout. Or le genre « pot-pourri », à l’époque, est un genre un peu vieillot qui sert à présenter quelques airs d’opéra, quelques courts extraits d’un chanteur de variétés, ou à la rigueur de jazz New Orleans…
La bonne idée ici, c’est d’en rajeunir le concept en l’utilisant pour présenter une musique actuelle, le rock.
La deuxième bonne idée, c’est que ces rocks sont déjà très connus, ce qui pourrait bien « booster » les ventes (ce qui a été le cas). La moins bonne c’est qu’il ne faut pas oublier de déclarer à la SACEM les œuvres empruntées si l’on ne veut pas avoir les avocats des différents artistes sur le dos : ainsi, Voulzy et Souchon verront leurs droits d’auteurs bloqués pendant de longs mois, le temps d’arranger l’affaire devant les tribunaux…
La troisième bonne idée, c’est d’utiliser une recette qui a déjà bien marché pour les premiers succès d’Alain Souchon « J’ai dix ans » et « Allô maman bobo »… Pour se rapprocher des publics visés, des jeunes adultes, les morceaux sont présentés par un ado, ou un Voulzy ado revenant dans les différents couplets annonçant les emprunts musicaux sur ses histoires de jeunesse, et sur les histoires partagées par toute une jeunesse. Le créneau sera également habilement exploité par un certain Renaud qui, la même année, sort « Laisse Béton » et abandonne son image folklorique de Titi parisien contre celle du loubard (mais gentil tout de même !). Car les années 65-70, ce sont bien celles de l’émancipation des jeunes, du droit à la différence, à la marginalité, des gamins décalés, pas encore des bad boys mais déjà le début… Plutôt que de paraphraser, reprenons l’analyse très juste de Wikipedia pour Rockollection :
« les thèmes abordés sont le lycée, les amours avec les filles en jupe plissée et queue-de-cheval, les scooters, le certif’ (qui rime avec les tifs qu’on ne veut pas se faire couper de peur d’avoir « la boule à zéro »), les vacances en camping (à Saint-Malo « avec les parents en maillot qui dansent sur Luis Mariano »), le job d’été qui aurait permis l’achat de la guitare, le retour dans la banlieue, le baby, les disquaires (d’où l’on ressort « avec un single des Stones caché sous ses fringues »), ou encore le rêve américain. Dans l’ultime couplet, on comprend clairement que le narrateur a mûri depuis cette époque dont il est nostalgique ; il lui reste finalement le souvenir des chanteurs à la radio qui ont marqué cette période de sa vie (« des trucs qui [lui] collent encore au cœur et au corps »). ».


Ajoutons quelques commentaires à ce descriptif déjà bien complet. D’abord un petit mot sur la finesse du parolier Souchon qu’il dévoile dès la première phrase : « On a tous dans l’cœur un’ petit’ fill’ oubliée… » : on a tous dans l’cœur, donc on se souvient, et de qui, d’une petite fille, et Souchon ajoute « oubliée », un peu paradoxal, non ? Ou trop fort ! Car il est bien vrai que l’on garde tous en mémoire ce premier amour plus ou moins effacé… Ainsi, l’on comprend, dès cette première tirade, que cette chanson est la nôtre et qu’elle va nous entraîner vers un passé regretté, nostalgie, nostalgie… Ensuite, signalons que Wiki fait un peu l’impasse sur The Beatles du deuxième couplet, « Les Scarabées bourdonn’ c’est la folie à London… », tout de même les mentors de notre Lolo national ! Presqu’un sacrilège…
Enfin, et là Wikipedia n’y est pour rien, il est intéressant de faire éventuellement ressortir les « manques » de la chanson concernant cette époque épique. Mais, pour défendre Alain Souchon, on ne peut pas parler de tout dans un seul titre, même s’il dépasse les dix minutes ! Mais on peut aussi se faire plaisir, ce que nous allons faire rapidement, ayant vécus sur le tard cette période glorieuse. Comme de nombreux « anciens » que nous sommes maintenant, nous avons bien connu ces « petites filles jupes plissées » et les cheveux longs au lycée, les rêves d’achat de guitare, les parties interminables de baby au café, les vinyles volés au drugstore… Mais nos scooters à nous, c’étaient plutôt des mobylettes, les petites « grises » et les vieilles « bleues » qu’on « débridait » pour aller « à fond les manettes » ! C’était aussi le temps des derniers bals avec buvettes « s’ensuivantes » et parfois bastons programmées (curieusement oubliés dans le répertoire de Voulzy…), des MJC, ces Maisons des Jeunes où l’on traînait assidûment et dont Souchon parlera dans « Marie Quant ». En bref, toute une époque sur laquelle nous ne reviendrons plus, c’est juré, parole de vieux !


Sur le plan musical, la nouveauté du morceau, c’est donc de faire également de ce pot-pourri une composition à part entière, en reliant les différentes reprises par des saynètes originales qui servent à introduire les rock-tubes. C’est là qu’on comprend que nos deux chanteurs ne se contentent pas de chanter, ils réfléchissent aussi…
Si la mélodie est « efficace », la base de l’harmonie n’est volontairement pas compliquée, 3 accords : MIm (I), LAm (IV), SI 7 (V7) utilisés en une sorte de I IV V rock-blues, et l’ajout chromatique du DO majeur permettant de personnaliser le refrain. La difficulté réside surtout à amener les différents extraits qui, même transposés dans de nouvelles tonalités (voir l’article « My song of you » 1987. Article d’avril 2023) doivent rester « chantables », ni trop grave ni trop aigu pour l’interprète. Et, bien entendu, plus le nombre des reprises est important, plus la difficulté des enchaînements s’accroît !
Pourtant, monsieur Voulzy ne s’épargne rien et pour éviter la monotonie qu’implique un morceau aussi long (11 minutes quarante-cinq secondes exactement !), il opère un changement d’un demi-ton vers le haut de la fin de « Gloria » à la conclusion de « Rockollection », le morceau passant alors en tonalité de LAb majeur avec les accords de Fa mineur (I), Sib mineur (IV)… (« Au café d’ma banlieue… »).

Des résolutions, des bonnes et des bonnes...

Pour amener les différentes reprises, Laurent Voulzy se sert d’une règle de composition qu’on nomme « une résolution ». Voyons donc ça… Le principe même d’un morceau, c’est de tourner en boucle, de se répéter pour durer plus longtemps. À la fin du thème, lorsqu’il a été exposé, il faut donc trouver une structure harmonique qui relance le morceau en ramenant à son premier accord. C’est le rôle du cinquième accord construit sur la gamme utilisée : c’est un accord à quatre notes, donc un accord dit de septième (accord majeur avec une septième mineure).
Résumé :
DO (I) REm (IIm) MIm (IIIm) FA (IV) SOL7 (V7) LAm (VIm) SIm7/5b (VIIm7/5b)
En DO majeur, SOL7, accord de résolution, permet de revenir à DO
Souchon Voulzy Le Concert 2016

C’est la version la plus récente du titre, tirée de Souchon Voulzy Le Concert (2016) que nous allons détailler un peu pour ne pas « crouler » sous le nombre des reprises à présenter ! Car en effet, « Rockollection » devrait s’appeler Rockollections car il existe pas moins de 5 versions différentes du titre, avec des extraits choisis et renouvelés, et des durées totales allant de 11 minutes et 45 secondes à 21 minutes et 33 secondes (en passant par 15 minutes et 43 secondes, 18 minutes et 20 secondes…).
Lors de ce concert de 2016, les auteurs ne conservent que les 5 premières reprises de la version originale « studio » de 1977. Cet allègement permet de dynamiser le morceau en allongeant les instrumentaux des titres les plus rythmés, « Gloria » et « Satisfaction », pour faire vibrer leur public.

1 The loco-motion écrit par Gerry Goffin (1939 – 2014) et Carole King (1942 – ), popularisé en 1962 par la chanteuse américaine Little Eva (1943 – 2003). C’est un exemple de danse-chant où une partie des paroles est consacrée à décrire la danse proposée.

2 A hard day’s night écrit par John Lennon (1940 – 1980) et Paul McCartney (1942 – ), enregistré par The Beatles en 1964. C’est une chanson écrite dans l’urgence principalement par Lennon pour l’album et le film à sortir. L’expression vient de Ringo qui au sortir d’une longue séance de studio avait dit : « c’était une dure journée… …nuit » en constatant qu’il faisait déjà bien noir !

3 I get around écrit par Brian Wilson (1942 – ) et Mike Love (1941 – ), enregistré par les Beach Boys en 1964. C’est un des premiers succès planétaires de la culture surf américaine.

4 Gloria écrit par le chanteur nord-irlandais Van Morrison (1945 – ) et enregistré en 1964 avec son groupe de l’époque, Them. C’est un rock où le futur Sir (nommé Officier de l’Ordre de l’Empire Britannique en 1996) « aimerai[t] nous parler de son bébé… Et son nom est G L O R I… GLORIA… » (Like to tell you about my baby… And her name is…).

5 Satisfaction écrit par Mick Jagger (1943 – ) et Keith Richards (1943 -), enregistré en 1965 par The Rolling Stones.
En fait, ce rock qu’on pourrait croire particulièrement licencieux nous apprend que Mick Jagger « Ne peut obtenir aucune satisfaction… …Quand il regarde sa télévision… » (I can’t get no satisfaction… …When I’m watchin’ my TV…) ou « Quand il conduit dans sa voiture… et Quand un homme passe à la radio… » (When I’m driving in my car… When a man come on the radio…).
Rockollection Maxi 45 tours 1977

Dans la version originale du Rockollection Maxi 45 tours (1977) sortie en 1977 chez RCA, le morceau dure presque 12 minutes ! Il rassemble les extraits de dix chansons :
The Loco-Motion 1962 (Little Eva) ; A Hard Day’s Night 1964 (The Beatles) ; I Get Around 1964 (The Beach Boys) ; Gloria 1964 (Them) ; Satisfaction 1965 (The Rolling Stones) ; Mr. Tambourine Man 1965 (Bob Dylan) ; Massachusetts 1968 (Bee Gees) ; Mellow Yellow 1967 (Donovan) ; California Dreamin’ 1965 (The Mamas & the Papas) ; Get Back 1969 (The Beatles).
Malgré le titre de Rockollection, on notera que 5 reprises sont effectivement des rocks, les autres titres appartenant plutôt à la mouvance pop-folk.
Voulzy Tour 1994

En 1994, le double album Voulzy Tour présente une version « live » avec, cette fois, les reprises de 18 chansons. Deux titres ont été supprimés par rapport à la version de 1977 mais 10 nouveaux s’y ajoutent :
Ticket To Ride 1965 (The Beatles) ; Fun Fun Fun 1964 (The Beach Boys) ; You Really Got Me 1964 (The Kings) ; Let’s Spend The Night Together 1967 (The Rolling Stones) ; Jumpin’ Jack Flash 1968 (The Rolling Stones) ; Stayin’ Alive 1977 (Bee Gees) ; No Milk To Day 1966 (Herman’s Hermits) ; Pinball Wizard 1969 (The Who) ; Wild Thing 1966 (The Troggs) ; Message In A Bottle 1979 (The Police).
Gothique Flamboyant Pop Dancing Tour 2004

Tirée de l’album « Gothique Flamboyant Pop Dancing Tour » de 2004, une autre version « live », la plus longue avec plus de 21 minutes de durée, comporte 20 morceaux. 8 titres sont supprimés par rapport à 1994 mais 10 nouveaux s’y ajoutent :
From Me To You 1963 (The Beatles) ; Day Tripper 1965 (The Beatles) ; Paint It Black 1966 (The Rolling Stones) ; Night Fever 1978 (Bee Gees) ; Superstition 1972 (Stevie Wonder) ; The Boxer 1969 (Simon and Garkunkel) ; Venus 1969 (Shocking Blue) ; Sunny Afternoon 1966 (The Kings) ; On The Road Again 1968 (Canned Heat) ; Owner Of A Lonely Heart 1983 (Yes).
Recollection 2008

C’est une nouvelle version Studio baptisée « Rockollection 008 » qui sort en 2008 dans l’album (-souvenir) Recollection et qui compte (qui dit mieux…) 22 reprises !
13 nouveaux extraits y apparaissent : Da Doo Ron Ron 1963 (The Crystals) ; I Want To Hold Your Hand 1963 (The Beatles) ; With A Girl Like You 1966 (The Troggs) ; Oh, Pretty Woman 1964 (Roy Orbison) ; Ruby Tuesday 1967 (The Rolling Stones) ; Turn ! Turn ! Turn ! 1965 (The Byrds) ; L’Amour Avec Toi 1966 (Michel Polnareff) ; How Deep Is Your Love 1977 (Bee Gees) ; More Than A Woman 1977 (Bee Gees) ; Eleanor Rigby 1966 (The Beatles) ; Good Vibrations 1966 (The Beach Boys) ; Substitute 1966 (The Who) ; Penny Lane 1967 (The Beatles).
En conclusion

« Rockollection », dans ses différentes versions, aura donc réuni 43 « tubes » internationaux, plus ou moins rock, plus ou moins pop ou même folk. Cette « boulimie » à vouloir interpréter de nouveaux morceaux pourrait être attribuée à un ex musicien de bal des années 60-70 qui, chaque semaine, devait apprendre et reprendre les succès du moment. Même s’il s’agissait parfois de chansons de variété ou de musette, c’était tout de même une bonne école pour progresser en musique et sur son instrument. Renseignements pris, Voulzy n’a pas été un de ceux-là. Néanmoins, en 1968, pendant son service militaire à Orléans, il tiendra la grosse caisse dans la fanfare, puis s’occupera de l’orchestre de la caserne, notamment pour le bal d’un changement de colonel. Comme quoi…
Alors qu’on parle le plus souvent des années 60 pour les reprises des chansons anglo-saxonnes choisies pour la version originale de 1977, elles datent plus précisément, lorsqu’on fait leur moyenne, de 1965, ce qui correspond bien à la fin d’adolescence de Voulzy né en 48. Cette moyenne passe même à 1968 (les 20 ans du chanteur…) avec les titres ajoutés dans les versions qui vont suivre. The Beatles, avec 8 reprises, apparaissent comme le groupe préféré de Voulzy (comment en douter !) ; viennent ensuite The Rolling Stones (5 reprises) ex aequo avec les Bee Gees (5 reprises), puis The Beach Boys (3 reprises). On notera qu’un seul français a été élu aux Rockollections : Michel Polnareff ! Un peu « hors norme » également, la reprise de « Superstition » de Stevie Wonder trahit un penchant du compositeur Voulzy pour la soul et la world music.
Ce total de 43 reprises, ces 5 éditions étalées sur près de 40 ans, montrent que le « système » medley fonctionne bien, donc à ne pas abandonner… Il sera exploité à nouveau avec « Spirit of Samba » (2017), également un pot-pourri mais cette fois de succès brésiliens. Sous une forme différente (compilation), l’album La Septième Vague (2006) a également, en son temps, ouvert une nouvelle galerie. Tous ces travaux de prospection, toute cette exploitation de matériaux sonores, montrent bien que Voulzy a assimilé, s’est inspiré et aime sans réserve la musique de ces dernières cinquante années.
