Rame, Alain Souchon 1980
Publié le 11 mars 2023, par Charles-Erik Labadille
Rame...
L’album Rame

Rameur par RépublicainLorrain
Sorti en 1980, Rame est le 5ème album d’Alain Souchon. Les 10 nouveaux morceaux qu’il rassemble, semblent bien traduire l’univers d’un auteur en pleine construction. Les fondations sont terminées, la bétonnière tourne à plein et il attaque l’édification des murs, parpaing après parpaing : « On s’aime pas » ; « Rame » ; « Aurore » ; « Petit » ; « Tout me fait peur » ; « Manivelle »…, voilà nos 6 « chansons témoins ».
Sur dix titres, Laurent Voulzy signe 8 musiques, ce qui marque certainement l’apogée d’une relation artistique commencée 6 ans plus tôt avec « J’ai dix ans » et déjà bien florissante avec l’album précédent Toto, trente ans rien que du malheur. Cette complicité continuera au fil des années, avec des hauts et des bas : sur l’album suivant On avance sorti en 1983, notre mélodiste ne signe qu’une chanson sur 10.
Mais comme son titre l’indique, Rame n’est pas à franchement parler l’album de « l’épanouissement ». En cela, il suit dignement Toto et ses malheurs, avec 7 chansons sur 10 qui suintent la désillusion, l’insatisfaction, et tous les autres trucs en « ion » pas terribles, comme la dépression, la séparation, l’appréhension…

Courrier (Alain Souchon)
Pour être moins conventionnel, commençons par « Courrier » qui termine l’album ! C’est un petit (1 min 55) folk en Mi qui raconte la perplexité et l’impuissance du chanteur devant les sacs postaux emplis de lettres d’auditeurs qui lui demandent l’envoi du bonheur dans leur vie un peu banale.
Si, à cet instant, la vôtre est tristounette, vous pouvez tenter de l’égayer en grattant ce petit folk doux et sans prétention : MI (I), SI7 (V7), DO#m (VIm), FA#7 (hors tonalité), SI7…

Marchand de sirop (Alain Souchon, Laurent Voulzy)
Cette chanson, sur le rythme d’un rock en MI, remet sur le tapis une question déjà posée dans « Bubble star », « Bidon » (et plus tard « Quand j’s’rai K O ») et qui, a priori, hante les membres du très sélectif gotha. Cette interrogation, conjuguée sous trois formes principales, peut se résumer à : suis-je auto satisfait, suffisant, prétentieux, impudique ? Vais-je tenir longtemps ? Fais-je de la m… ou, pour être plus poli, du sirop ? Voilà donc ce « Marchand de sirop » :
« Qui s’aim’ s’aim’ s’aim’ Sous les pots d’crèm’ Qui confitur’
En croyant fair’ d’la littératur’ Qui âm’ strip-teas’ Qui dollars pleas’ »
Ce qui reste un peu gênant dans ce titre, c’est qu’on ne sait pas vraiment si c’est de l’autodérision, de l’autocritique ou, purement et simplement, de la critique ironique. Et, dans cette histoire sirupeuse, Alain Souchon n’est pas tout à fait « net » quand il généralise son propos, comme pour se disculper :
« Mais on est tous pareils Besoin d’êtr’ le soleil
Je veux tout tout tout Qu’on m’voit toujours partout beaucoup surtout
Souterrain on vit pas bien On est tous Charlot
On est tous des p’tits marchands d’sirop »
Allez, Alain, on comprend tout de même, c’est de bonne guerre…
Quant à Laurent, bidouilleur de l’extrême (et c’est une qualité !), il se sort du relatif conformisme du rock du couplet (MI, LA) en passant en LA majeur sur le refrain qui singularise ainsi la chanson avec ses trois accords : LA (I), RÉ (IV) et MI (V) et une bonne mélodie.
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Jonasz (Alain Souchon, Laurent Voulzy)
Jonasz, bien entendu, c’est un hommage à Michel Jonasz et ce n’est pas facile de rendre un hommage, d’autant plus quand la personne est contemporaine et encore vivante : il ne faut pas être gentillet, cucul ; il faut dire des mots beaux car l’homme est un poète ; il ne faut pas non plus faire le lèche-cul ! Donc, pas facile… Pas facile non plus de débuter une chanson, car c’est souvent au début (de la chanson) que le bât blesse le plus : on n’a pas encore trouvé les idées, au moins la bonne idée qui en entraînera une, peut-être des autres qui s’enchaîneront au fil des couplets et des refrains. Donc, l’un dans l’autre, on peut dire qu’il n’est vraiment pas facile de commencer une chanson qui rend hommage à quelqu’un qu’on connaît. Eh bien, Alain Souchon nous donne ici une petite leçon d’excellent démarrage de chanson : tout d’abord, une « fausse piste » (quel rapport avec Jonasz, tous ces types en voitures ?) ; puis un brin d’humour poétique avec les souris (les bagnoles) ; et enfin le petit bruit sec de l’autoradio qu’on ouvre et qui rime, Clic, avec l’arrivée en… …muSiqu’ du chanteur :
« Tourn’ la vie des gens sur le périphériqu’ Il faut r’monter souvent ces souris mécaniqu’
Heureus’ment qu’ils nous pass’ Clic un peu d’musiqu’ un’ chanson d’Jonasz »
Et que dire de l’hommage, sinon qu’il est encore plus beau :
« C’est comm’ un pans’ment sur l’cœur qu’on a
Cet homm’ qui pleur’ sa vie on s’dit « tiens y’a pas qu’moi »
C’est l’âm’ à l’âm’ qui coll’ Ces Jonasz parol’ »
D’ailleurs, au passage, une chose nous intrigue : après autant de chansons écrites en commun, après tout ce temps passé ensemble, comment se fait-il qu’Alain Souchon n’ait pas écrit de chanson intitulée « Voulzy » ? Serions-nous passé à côté ? Est-elle encore dans les tiroirs ? Pas facile de rendre un hommage…
Quoi qu’il en soit, l’ami Laurent est encore là pour prêter la main musicale et, cette fois, nous ne sommes pas sûrs qu’il ait fait le choix judicieux : le spleen, la fragilité des paroles disparaissent sous les coups de boutoir de ce funky-blues et de ces cinq couplets à la mélodie identique. Un peu plus et on verrait bien un Larry Carlton venir « péter » un solo qui « déchire » et noyer le texte sous les vagues de « distors ». On sait bien que Jonasz est un « chanteur de Blues » mais quand même…
Petit, Alain Souchon, 1980, tonalité Mib

Petit, Alain Souchon, extrait
Cette chanson est accompagnée au piano, comme c’est le cas de bien des titres intimistes d’Alain Souchon. C’est une belle chanson de désamour. Il n’y a pas de jugement, juste un constat froid et plein de désillusion, pour souligner que le poids des années partagées ne se résume plus qu’aux habitudes. L’amour a disparu progressivement et, pris au sens premier, tout devient petit :
« Tout ça c’est tout p’tit, tout p’tit, tout p’tit Tout ça pas grand pas gros… »
La preuve ? :
« …Déjà on s’lèch’ plus l’museau »
Ce « déjà » enfantin n’est que le début d’une longue liste mais résume tout et trahit le désenchantement, la déception infinie.
Quant à la musique, elle commence comme on aurait pu s’en douter en mineur (DOm), se poursuit par un I IV V (MIb, LAb, SIb) et aurait pu vraiment ressembler à « Si maman si » de France Gall et Michel Berger (1977) si… : si, d’une part, un SOLl (hors tonalité, résolution ramenant au DOm) n’avait personnalisé le couplet en lui donnant une touche presque Jonasz ; et surtout si on n’avait retrouvé au début du refrain la patte « Souchon » avec cette mélodie en montée chromatique (sol, lab, la, sib) terminée par l’accord de FA majeur (hors tonalité) suivi du SIb (retour à la tonalité). Par la suite, ce type de phrasé deviendra une véritable « signature » du chanteur.
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Comme « Petit », « On s’ennuie » est une pure chanson Souchon acoustique (unplugged), une voix et des accords au piano qui sentent un peu le Jonasz (encore !), ou alors c’est le copain Jonasz qui sent un peu le Souchon, allez savoir, entre amis, on s’aime, donc on s’copie… Comme dans « Petit », on retrouve cette nonchalance, mais ici presque noyée dans une réverbération « cathédrale » qui isole encore plus le chanteur perdu dans un halo sonore ; nonchalance donc, presque indifférence pour chanter cette fois l’ennui du chanteur fatigué :
« On s’ennuie c’est ça qui déplaît dans c’qu’on dit C’est qu’on dit qu’on s’ennuie qu’on s’ennuie qu’on s’ennuie
Toi sur le béton de l’usine à gaz Et moi sous ma véranda bourgeois’ »
Et pour finir (ma véranda bourgeoise), un dernier petit coup de canif à l’écorché vif : a-t-il vraiment le droit de se plaindre, au vu de sa réussite sociale ? Dont il devrait peut-être également avoir honte ?
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Tout me fait peur, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1980, tonalité Ré majeur

Tout m’fait peur, Alain Souchon, Laurent Voulzy, extrait
On pourrait presque dire que « Tout me fait peur » est un morceau « à la façon » de « On s’aime pas » : même phrasé incisif, vers très courts, longue répétition du même motif musical qui permet d’énumérer les arguments et refrain rapide, presque urgent : « V’nez m’chercher Parc’qu’ici tout m’fait peur » pour « casser » et faire oublier un instant le récitatif des couplets.
L’idée était excellente, un peu comme dans ces thrillers angoissants où la victime poursuivie trouve enfin une cabine téléphonique délabrée et, après avoir composé dans l’affolement un numéro, bredouille : « V’nez m’chercher… ». L’idée « était » ? Oui, l’idée était car il nous semble, mais ce n’est que notre sentiment, qu’Alain Souchon a peut-être raté ici une bonne occasion. En effet, le thème est porteur. Un homme, un vrai, qui avoue sa peur, c’est touchant, donc intéressant et, automatiquement, l’on se demande ce qui peut bien effrayer un homme dans le monde d’aujourd’hui ; notez qu’on s’en doute bien, mais on aimerait l’entendre de la bouche d’Alain Souchon, des fois que ça serait pareil que nous, des fois que si on est une fille (ou un gars ?) on pourrait l’aider ! Or, l’auteur prend le problème par « l’autre bout », c’est-à-dire du côté de ceux qui éventuellement seraient aptes à lui porter secours. Au passage, on comprend devant l’imposant listing des sauveurs potentiels : Sainte Vierge, ovnis, Ange Gabriel, Sainte Jeanne d’Arc, Notre-Dame de Goldorak, Beethoven, Rimbaud, soucoupes, sixtines, synagogues, les fées…, qu’il y a peu de chance de succès…
Certes, dans ce long cheminement des citations en tous genres, il y a de petites choses qui se dégagent. Non, ce ne sont vraiment pas les religions qui vont pouvoir lui donner un coup de main, à en juger par les expressions utilisées comme « la flying Sainte Vierge » et « plume Gabriel tout l’bordel… » qui, si elles risquent de séduire l’ange Nougaro, ne vont pas plaire à tout le monde… En revanche, face à cette grande peur, les souvenirs des bonheurs d’enfance pourraient être d’un certain soutien : œufs de Pâques, Melchior, Gaspard, Balthazar…
Alain Souchon affiche néanmoins quelques velléités pour nous rejoindre dans nos propos :
« J’veux pas rester fair’ carrièr’ Dans l’matériel dans l’pépèr’ »
mais malheureusement, elles restent rares. Alors, nous ne saurons pas, dans le détail, ce qui fait peur à Alain Souchon. Le « ici » restera une interrogation, le « tout » également.
« V’nez m’chercher Parc’qu’ici tout m’fait peur »
S’agit-il de nos villes, de nos sociétés, du monde ? S’agit-il de l’ignorance, de l’intolérance, de la méchanceté ? De l’ennui, de la vacuité, de l’absence ? Après « tout », peut-être vaut-il mieux ne pas savoir…
Si tout cela est donc bien compliqué, la musique de Laurent Voulzy est, quant à elle, d’une simplicité à toute épreuve dans cette chanson en RÉ majeur : RÉ (I) et deux variations chères à Laurent Voulzy (RÉ2 et RÉ4 sur tous les couplets) ; LA (V) puis break sur le refrain (qui ramène au couplet par résolution).
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Manivelle, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1980, tonalités de DO majeur et LA majeur

Manivelle, Alain Souchon, Laurent Voulzy, extrait
« Manivelle », c’est la vie qui est vue comme un film : On tourne ! On tourne, comme le chanteur qui fait et va faire l’acteur dans plusieurs films (voir l’album On avance). Mais, bien entendu, connaissant le personnage ou plutôt le héros de ce long métrage, le film de sa vie, c’est plus un drame qu’une comédie sur lequel Alain Souchon, comme à son habitude, se pose des questions :
« Moi j’voulais pas venir, j’voulais pas venir… »
En effet, ça commence fort car s’il s’agit de « pas venir… dans la vie », nous sommes déjà dans les sommets de l’insatisfaction ! Notez qu’on ne va pas lui jeter la pierre, car nous devons avouer que si nous avions eu nous-mêmes à choisir… Alors, résignation…, une fois que nous sommes arrivés sur terre, la manivelle tourne…
« Manivell’ tourn’ combien d’années encor’ ? Manivell’ tourn’ déjà j’aim’ plus mon corps
Manivell’ tourn’ j’suis maquillé pâl’ Manivell’ tourn’ j’savais qu’ça finirait mal »
Bon là, ça le regarde mais il abuse peut-être un peu, non ? Néanmoins, cette tirade inquiétante nous amène à poser une intéressante question : on nous dit bien souvent que pour « marcher », une chanson doit être drôle, optimiste et sautillante. Pourtant, Toto, 30 ans rien que du malheur et Rame, qui ne sont pas des albums particulièrement folichons, ont particulièrement plu ? Alors, serait-il possible qu’on nous mente ? Une chose est sûre, c’est que ça se finira comme ça doit se finir, évidemment, par le mot FIN.
« Manivelle tourne j’savais que ça finirait mal (c’est ma vraie vie qui se débine) »
La musique, elle, commence et finit bien. La première partie, en LAm est construite sur un « plan » harmonique qui a les faveurs de Laurent Voulzy (déjà utilisé entres autres dans « Karin Redinger ») : LAm (VI), LAm7M, LAm6, FA7M (IV), puis RÉm (IIm), MI4 (III) et MI (hors tonalité, résolution), descente chromatique que suit la voix d’Alain Souchon : la, lab, sol, solb, fa… Avec le refrain (manivelle…), on module de LA mineur en LA majeur, avec une mélodie, répétée à l’identique sur les deux accords, le LA (I) et le RÉ (IV) et qui, de ce fait, « sonne » différemment : bien joué, le compositeur !
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On s’aime pas, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1980, tonalité DO majeur

On s'aime pas...
On s'aime pas...
On s'aime pas...
On s'aime pas...
On s'aime pas...

Migrants en Espagne, 2001. Ad Van Denderen /Agence Vu
Avec « On s’aime pas », Alain Souchon ne fait plus dans la dentelle, il règle ses comptes avec l’humanité (et avec lui-même par la même occasion car il fait partie du lot !) et assène son constat affligeant mais réaliste : on ne s’aime pas ! Il ne s’agit pas ici du dégoût de soi-même, de se sentir nul même si il clamera avec son copain Jonasz et par autodérision « On est si beaux ! » (voir l’album On avance 1983)…, non, pas du tout ! Il s’agit de l’indifférence, voire du mépris de l’autre, des autres. Ici, on pointe du doigt les hypocrisies en tous genres, celles qui sont monnaie courante, et quand on dit on s’aime pas, c’est que, malgré tout ce qu’on veut bien faire croire, on n’aime pas les autres et donc, on n’aime que soi, on s’aime nous, avant tout : en avant-première, voilà donc les misanthropes revisités… Pour notre poète crispé par tant d’inhumanité, il n’y a plus qu’à trouver quelques bons exemples pour étayer ses dires :

L’amour :
« Tiens mêm’ v’là qu’on s’dit qu’on s’aim’ Mais c’est que d’la crèm’
De la pommad’ ros’ Pour cacher les chos’ »
L’indifférence :
« Retourn’ dans ta piaul’ Mêm’ si tu miaul’
Le mond’ s’en fout Le mond’ s’en fout »
Le cercle privé, la tanière :
« Marqué privé Ici c’est chez nous Pas pour vous Rien qu’pour nous
Si c’est à tout l’mond’ chez nous C’est du sal’ mélange… »
Alain Souchon, On s’aim’ pas, 1980


La guerre :
« Pan pan pan Y’a la guerr’ tout l’temps On fait l’civil
Puis on s’envoie les missil’ On s’le fait l’coup du calumet d’la paix
Mais c’est qu’du cirag’ De la gomina Pour cacher l’cracra… ».
Le passage en revue de tout « c’cracra » dispense de tout autre commentaire…

A. Souchon / L. Voulzy, On s’aime pas 1980, extrait
Sur le plan musical, la chanson est une boucle quasi perpétuelle de 4 accords FA#m7 (VIm) / MI (V) RÉ (IV) / MI (à jouer avec un capo à la 3ème case pour retrouver la tonalité d’origine), boucle de deux mesures martelées à chaque temps par la grosse caisse et sur laquelle Souchon déclame ses vers incisifs.
La boucle est presque avant-gardiste et l’on croit reconnaître, 30 ans plus tôt, quelque chose de la « musique électronique », de la « new beat » belge et d’un Stromae qui, en 2010, chante dans l’Europe entière : « Alors on danse… ». Précisons pour la petite histoire que la chanson de Souchon commence aussi en 80 par : « Tu vois on dans’ Le corps on l’balanc’… ». Curieux, non ?
Stromae. Alors on danse 2010, extrait

Voilà donc un joli VIm IV V, une autre manière d’appréhender les accords qu’on peut utiliser sur une même gamme majeure, ici en l’occurrence celle de LA (à jouer avec un capo à la case 3 : DO). Voulzy ajoutera juste sur le refrain deux tous petits accords supplémentaires, LA (I) et SIm7 (IIm) appartenant également à la gamme de LA majeur, mais juste pour marquer le coup et différencier un peu ce passage. Pour le reste, ça tourne, ça tourne…, on danse, on danse, et on s’aime pas, on s’aime pas…
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Rame, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1980, tonalités RÉ, SOL, DO et LA majeur

Rame... sur cette vieille Loire...
La Loire au Cellier par ce Labadille
Rame, Alain Souchon / Laurent Voulzy 1980, extrait
Et on rame, on rame aussi, l’allégorie visant à souligner qu’on avance (« On avance, on avance… », mais encore une fois, on avance… à rien !
Ram’ ram’ rameurs ramez On avanc’ à rien dans c’canoë
Là haut on t’mèn’ en bateau Tu n’pourras jamais tout quitter t’en aller…

Baignoir', baignoir' tu m'as menti

Rameurs dans les gorges de l’Ardèche par ce Labadille. Baignoire par Jacob Delafon
La comparaison avec le rameur ne peut être plus claire : on rame, on bosse, on s’évertue, on s’efforce, on se crève, on espère peut-être, mais tout ça pour quoi, pour qui, sinon pour se faire tromper, duper, abuser, flouer, bref se faire mener en bateau par les autres, par le monde et, oh misère suprême, même par ceux qui nous regardent d’en haut ! En fait, c’est le mythe de Sisyphe, genre aquatique : on a toujours beau partir, s’en aller, on en est toujours au même point, au point de départ et, face à nous, toujours la même montagne à gravir…, ou la même rivière à descendre, ou à remonter à contre-courant ! Il y a derrière la parabole ce rêve du marin qui peut tout quitter, ce désir de changer de vie, de voir de nouveaux horizons, de casser l’ennui, la routine, la platitude, il y a peut-être l’espoir brisé d’un chanteur à qui l’on ressasse : « Tais-toi et ram’ ».


Si les phrases du couplet (construites sur 3 mesures) se répètent sur le même motif, cette structure permet de faire valser les tonalités, un peu comme des tableaux changeant au fil de la descente (en canoë…) : d’abord RÉ : SOL (IV) RÉ (I) LA (V), puis DO : FA (IV) DO (I) SOL (V), RÉ à nouveau, puis SOL : DO (IV) RÉ7 (V7)… Le géographe Souchon en profite même pour citer le nom des lieux traversés : Chaumont, Langeais, Amboise, quoi de plus normal puisque nous sommes ici sur sa « vieille Loire ».
Le refrain, en LA quant à lui : LA (I), FA#m (VIm), MI (V), SIm7 (IIm7), tourne en boucle sur 8 mesures et devient le support d’un canon vocal qui ne pourrait jamais s’arrêter, un peu comme ces pratiquants du canoë qui rament, rament… presque sans fin.
Personnellement, nous avons également connu cette expérience nautique suivie de lendemains faits d’horribles courbatures et de cuisants coups de soleil ! Aujourd’hui, blanchi par les années, nous restons tranquille à la maison, d’autant que comme nous en assure Alain Souchon : « Pagaie pas gaie t’arriv’ras null’ part… ». Néanmoins, nous allons voir que tout est relatif…
Les gammes et les accords relatifs

Sur une gamme majeure à sept notes (heptatonique), comme nous l’avons vu, on peut utiliser (construire) : 3 accords majeurs, 3 accords mineurs et 1 accord mineur quinte diminuée.
Nous avons également découvert, avec les « résolutions », comment le cinquième accord de cette gamme, joué avec une septième (ex Sol 7) a pour fonction de ramener au premier accord de la même gamme (ici Do), bien souvent au début du morceau et de former une « boucle » musicale.
Maintenant, voyons s’il y a un « principe », une méthode pour passer dans un morceau d’un accord majeur à un accord mineur, ce qui, de prime abord, n’est pas évident car l’ambiance dégagée par ces deux accords est fondamentalement différente : pour faire bref, gai pour le majeur, triste pour le mineur. Donc y-a-t-il un moyen pour passer du rire aux larmes en douceur ? Eh bien oui et ce procédé a été appelé le principe des « relatifs ». Il est utilisé dans « Rame » lorsque Laurent Voulzy passe du La au Fa#m dans le refrain.
Résumé : en DO majeur, LAm (VIm) est le relatif mineur de DO (I). On peut donc passer « en douceur » d’un accord mineur à son relatif majeur situé 1,5 tons au-dessus de lui.
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Aurore, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1980, tonalité FA majeur

Auror' auror'...

quell' horreur pour de l'or auror'...

L’aurore vers Arclay (Saint-Philbert-sur-Orne 61) par ce Labadille
Aurore Alain Souchon / Laurent Voulzy 1980, extrait
Laurent Voulzy s’est sans doute offert ce petit plaisir « musique du monde » et exotisme en nous concoctant ce tango que nous vous proposons de jouer en DO majeur (avec un capo à la 5ème case pour retrouver la tonalité d’origine FA majeur) : LAm (VIm) LAm SIm7/5b (VIIm7/5b) MI7… La phrase la plus tango-tango est certainement ce : Mi7 Mi7 LAm / SIm7/5b DO / LA7 qu’on entend sur « Auror’ auror’ on est tell’ment bien quand on dort ».
Rien à dire de plus qu’un petit mot sur cet accord « mineur septième quinte diminuée » (SIm7/5b), bien à sa place dans ce tango par la couleur plutôt « tragique » qu’il amène. Nous verrons que Louis Chédid, lui aussi, va l’utiliser dans « On avance » (1983) et « Banale song ».

Alain Souchon, quant à lui, a retrouvé dans les sombres harmonies argentines le support idéal à ses mélancolies un rien saturniennes :
« Auror’ auror’ Les nuits d’amour Le matin la mort L’auror’ ».
Pourtant, une fois n’est pas coutume, concluons par un Souchon heureux qui oppose dans sa chanson dédiée donc au petit matin :
« Auror’ auror’ Vous j’tez si tôt tout l’mond’ dehors » et
« Auror’ auror’ J’suis dans l’sourir’ Laissez-moi dormir Encor’ ».


Les aficionados pourront jouer ce tango en noires, sortes de pompes très lentes à raison de 4 battements vers le bas par mesure (4/4). Jouer le morceau en DO permet d’utiliser le renversement le plus courant de l’accord mineur 7ème quinte diminuée, celui de SIm7/5b.
L’aurore par ce Labadille

Sim7/5b...
Les acccords septième quinte diminuée, la septième roue du carrosse.
Quand on construit des accords sur la gamme majeure do ré mi fa sol la si do…, ils ont tous une quinte juste (intervalle de 3 tons et demi avec la fondamentale), sauf, sauf… l’accord construit sur le septième degré, en l’occurrence en DO, sur la note si…