Charles-Jacques Labadille
Publié le 16 février 2023, par Charles-Erik LabadilleCharles-Jacques LABADILLE (1924-1978) se destine tout d’abord à la mise en scène, rejoint l’Institut des Hautes Études Cinématographique (IDHEC) qu’il abandonne bientôt pour raisons financières. Pour subvenir à ses besoins, il devient pianiste pour les magasins de musique et les bars dans le Paris de l’après-guerre où il interprète ses standards de jazz favoris (Art Tatum…).
Après quelques temps de » vaches maigres « , il se décide à entrer, la mort dans l’âme, dans le rang et au Ministère de la Reconstruction… Cette nouvelle vie plus » rangée » ne l’empêchera pas de poursuivre les passions qui donnent véritablement sens à son existence :
- tout d’abord, la peinture où, à Paris (la Grande Chaumière) ou en Province, il expose seul ou en collectif (Besson, Koura, Marchal…) pendant une trentaine d’années ;
- mais aussi la création de pièces de théâtre et direction de troupe amateure, l’écriture de nouvelles, romans et poèsies (éditions Pierre-Jean Oswald).
Sa vie durant, il portera avec lui son infinie culture, sa grande sensibilité et ses quelques vieux démons… » L’aube dissout les monstres… » écrivait Paul ÉLUARD, » mais les monstres renaissent chaque nuit « nous a dit Charles-Jacques Labadille…
Qui me dira les ciels de Ganagobie, poème en prose de CJ Labadille
Un enfant est assis, jambes allongées, les genoux écorchés, les mollets signés par les
ronces des chemins, les pieds rouges de cette poussière minérale qui saupoudre tout le
pays. Le visage ne dit rien qui vaille, mais la ride verticale inscrite entre les deux yeux dit
que ce gamin est plus ancien que le tronc du sapin centenaire contre lequel il s’adosse. Il a
longtemps joué…
Sept gamins tournent, main dans la main, jouent à la ronde. Le petit, à l’intérieur de cette
ronde, anone une comptine et désigne les enfants qui sortent tour à tour du cercle, sans
que le cercle soit rompu, pour aller jouer à cache-cache, cache-tampon, colin-maillard.
Bientôt, il ne reste plus que le conteur et deux petits au bord des larmes.
Car chacun sait que si, à aucun moment le cercle ne s’est relâché, si pas une seconde les
mains ne se sont disjointes, le charme opéré, CELUI QUI Y’EST y sera pour la vie.
Car à ce jeu-là, il y a tout avantage à ne pas être CELUI QUI S’Y COLLE, celui qui est
couronné du chiffre sept, celui qui est véritablement marqué du sceau de la Bête, des sept
bêtes de l’Apocalypse, celui qui devient le hors-jeu, le hors-loi, le lépreux, le pestiféré, le
banni, le sorcier, le diable lui-même.
Bienheureusement, les enfants sont étourdis. Une mésange les dérange, un papillon les
perturbe, un criquet dans l’herbe les agace et le cercle est souvent rompu. Il n’est pas rare
de voir les deux derniers protagonistes se lâcher mutuellement les mains, par amitié, et
éclater de rire. Ce sont là jeux enfantins.
Dans mon cas, le cercle ne fut jamais rompu et celui qui en dernier me tenait les mains, me
les serrait à les briser. Le conteur ne me prisait pas. Lui avais-je trop gagné de billes au jeu
des Capitales ? Aimait-il lui aussi Assomption, la petite rouquine qui m’aimait ? Le fait est
qu’il me choisit et que j’y fus pour la vie et les siècles des siècles. Sonné comme un boxeur,
cancéreux jusqu’à l’os, ivrogne jusqu’à la moelle, oh putain ! Gallois comme pas un !
Je vous l’ai dit, il faut avoir vu courir un enfant à demi-nu, à Pâques, entre les cerisiers en
fleurs de Saint-Bris-le-Vineux, ou ce même enfant, blond comme il n’est pas permis de
l’être, jouer à cache-cache entre les chênes verts de Ganagobie.
Quant au grand christ en croix qui domine la vallée de la Durance, il y a longtemps qu’il en
est revenu du monde, et de ce monde en particulier…
Qui me dira les ciels de Ganagobie. Texte de CJ Labadille, musique du Trio Larigot 2013
D’aussi longtemps qu’il me souvienne, j’ai toujours été touché, peut-être même marqué, par « Le Bien et le Mal sous le soleil »… cette sculpture faite de bois, de fil de fer, de punaises, de papier mâché, de gouache et d’un peu de vernis, bref des ingrédients de la vie… Elle a toujours été posée dans un coin de la maison familiale, puis des diverses habitations que j’ai occupées au fil du temps. Aujourd’hui encore, je me demande pourquoi mon père, de nature pourtant plutôt mélancolique, a fait le Bien (en blanc) plus grand et plus proche du soleil que le Mal (en noir évidemment)… Il faut sans doute croire que l’espoir est chevillé au corps de l’homme ! S’il savait…
Si Charles-Jacques Labadille nous a quitté il y a presque cinquante ans, son dernier roman inachevé a ouvert les portes d’une épopée où ésotérisme, sorcellerie, meurtres et truculence populaires continuent de se développer sous le nom de « Les Passagers de la Saint-Simon ». Les deux premiers tomes, « Des profondeurs Grisisgli j’ai crié » et « Les caves de la maison Dorotte » ont été publiés en 2016. Et le petit dernier ne va pas tarder à l’être sous le nom de « Les noces de Samain ». Cette saga permet de toucher d’un peu plus près la fine limite entre le Bien et le Mal : en effet, la Saint-Simon d’automne ou Samain (chez les Celtes) sont les périodes de « passage » qui séparent la saison claire de la saison sombre, la vie de la mort…
Appel à contribution : si vous possédez des toiles ou des dessins de Charles-Jacques Labadille qu’il a semé aux quatre coins de l’hexagone, pourriez-vous nous en envoyer des clichés à l’adresse mail suivante (un grand merci d’avance) : celabadille@gmail.com.