On avance, Alain Souchon 1983
Publié le 24 mars 2023, par Charles-Erik Labadille
On avance, on avance...
L'album On avance

Depuis Rame sorti en 1980, le bâtiment connaît des vicissitudes aux pays de Souchon, car il faudra deux ans et demi à l’auteur pour publier son nouvel album qui, bien ironiquement, s’intitule On avance (mais « on n’a pas assez d’essence… » !). En effet, le chantier dans lequel on plaçait tant d’espoir, stagne car, cette fois, le parpaing manque. Certes, le silence est rompu en 1981 par la sortie de la très belle chanson « Somerset Maugham », sorte de promesse qui augure du meilleur à venir. Mais ce n’est qu’un single… Le marasme que connaît la construction durant ces années noires tient tout d’abord au manque inquiétant d’ouvriers. Le complice avec qui l’auteur a pris l’habitude de travailler n’est guère disponible car Laurent Voulzy peine également à achever son second album Bopper en larmes qui sortira également en 1983, après treize mois d’enregistrement…
Alain Souchon lui-même est de sortie car on lui a proposé de faire « l’acteur » : il va jouer successivement dans « Je vous aime » de Claude Berri, tourné en 1980 avec Catherine Deneuve… ; dans « Tout feu, tout flamme » de Jean-Paul Rappeneau, tourné en 1981 avec Yves Montand, Isabelle Adjani… ; et dans « l’Été meurtrier » de Jean Becker, tourné pendant l’été 1982 toujours avec Isabelle Adjani… Alors, bien sûr, on ne peut pas être à la fois « au film et au moulin », d’autant que la quête de bons mots peut être angoissante pour une personnalité à la lenteur naturelle reconnue.

Le Monde du 20 juin 1983 raconte que « Plusieurs fois de suite, Souchon et Voulzy sont partis ensemble quinze jours à la campagne, à l’hôtel, ou dans une maison louée sans rapporter une ligne ou une note », propos auxquels Alain Souchon ajoute : « Sans Voulzy, j’ai été un peu paumé, j’ai reculé trois fois mon passage à l’Olympia. Et puis, finalement, ça m’a bousculé… ».
Car en effet, l’auteur, mis au pied du mur, va se reprendre et trouver un second souffle en allant chercher de nouvelles participations : Louis Chédid, Michel Jonasz, David McNeil et Yves Martin (alias Lionel Leroy), à la fois producteur et chanteur (et futur époux de notre petite Sheila dont il sera également le producteur pendant un temps). Au passage, on peut dire un petit mot gentil sur la qualité des arrangements dus au même Yves Martin qui a su à la fois se mettre en retrait et s’imposer (« Billy m’aime »…).

Avec cette nouvelle équipe sur les échafaudages, les murs vont pouvoir continuer à grimper. Mais, par rapport aux deux albums précédents, le discours a quelque peu évolué et les « pleurnicheries » sont presque mises de côté. Certes, il y a encore l’amoureux grincheux de « Sardine », l’indécrottable nostalgique qui revient avec « On avance », « Casablanca » et « Lennon kaput valse ». Mais on assiste également à l’arrivée en force du nouveau peloton qui roule sur une musique plus dynamique, plus « pêchue », avec un son chaud typique de ces années 80, conduit par un piano Fender Rhodes et une basse-batterie plutôt funky. Quant à l’échappé, il est plus souriant, il fonce, attaque, nargue, critique, pratique le constat pas amiable, et se risque même à quelques recommandations. Curieusement, l’auteur qu’on croyait surtout renfrogné, râleur, affiche également dans trois chansons (« Lily Peter », « Les papas des bébés » et surtout « Lettre aux dames ») un côté tendre, affectueux auquel on ne s’attendait guère.
Aux dix titres de l’album, s’ajoutent deux petits bijoux, « Somerset Maugham » et « Banale song », sortis en single et inclus dans la réédition de On avance publiée après l’album live Olympia 83.
Lily Peter (Alain Souchon)
Commençons donc avec ce joli piano Fender Rhodes et un peu d’irrationnel ! Car il faut bien avouer que nous sommes un peu démuni face à cette aventure de Lily et Peter dont nous ne comprenons pas vraiment le sens profond. S’agit-il d’un grand amour, du bel amour qui fait voler (ce qui nous changerait dans la bouche de monsieur Souchon…) ? Ou peut-être d’un simple conte : Lily la tigresse et Peter Pan ? Tout cela reste à creuser avec l’intéressé (-parolier).

Sardine (Alain Souchon)
Si l’amour unit, libère, transcende, fait planer, il peut aussi écraser, cloîtrer, enfermer, enchaîner, ou même être enfermé, confiné, conservé pour longtemps, dans un coin de notre cerveau, de notre poitrine, comme… …dans une boîte en fer blanc, une boîte de sardines, ou d’autre chose si vous préférez, « Crab’ en sauce et thon au naturel ». C’est ce que nous dit le sentimental Alain Souchon, au cœur encombré par un amour qui s’incruste à l’intérieur…
« Parc’ que sardin’ tomat’ bell’ Crab’ en sauce et thon au naturel
Tout c’que j’aim’ ça m’énerv’ c’est dans du fer blanc Comm’ cet amour que j’conserv’ là-d’dans »
Dommage que la voix du chanteur soit également enfermée dans de la conserve d’orchestration, dans un emballage de mix sur vitaminé qui noie les paroles et leur compréhension dans toute la première partie du morceau…

Lennon kaput valse (Alain Souchon, Yves Martin)
Prenant pour prétexte la mort de John Lennon trois années plus tôt, Alain Souchon caresse déjà dans cette valse l’idée qu’il développera avec Laurent Voulzy dans « Le pouvoir des fleurs » (1992), celle d’une jeunesse porteuse d’un immense espoir fait de paix et d’amour,
« Les p’tits babas les Lubérons les ploucs Piégés dans l’rêv’ aux tifs trop longs Le vieux look
J’aimais bien l’ridicul’ discours Qu’ils faisaient C’était d’l’amour qu’ils « Imagin’ » Imaginaient »
même si ce rêve survivra difficilement aux années 70-80 et à la disparition d’un de ses symboles, celle du poète scarabée de Liverpool.
Les papas des bébés (Alain Souchon, Louis Chédid)
Fruits de ces amours éthérés, encapsulés, libérés, les bébés…, les bébés sont délaissés ! Sont délaissés par qui ? Par leurs papas bien sûr, toujours partis, ici et là-bas…
« Roxy Music le vieil Elton les papas des bébés s’assomm’
Les bébés des papas dans leur petit cafard du soir attend’ l’histoir’
Le loup dans la mar’
Mais Rank Xerox BMV bisous pressés baisers vit’ faits
Papa ici mais toujours ailleurs Bébé au lit léger mal au cœur »
Et ce n’est pas fini. Plus âgé, le grand ado d’ « Allô maman bobo » (1977) vomira encore tout son « quatr’ heur’ »… Car les bébés grandissent, les papas aussi et regrettent :
« Alors les bébés s’débrouill’ avec leur vie
Il faut bien qu’on s’dépatouill’ de cet ennui
Ces rêveurs sans leur papa s’en vont
Et moi j’dis qu’c’est con »
Tout ça nous donne des phrases bien rythmées, ponctuées par des é-és ou des a-as, une musique caribéenne un peu réguéguaie, non reggae et donc une chanson qui prête naturellement à sourire…
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Casablanca (Alain Souchon, David McNeil)
Avec Casablanca, c’est encore un bébé qu’Alain Souchon, décidément très aimant, tient à nous présenter. Il s’agit bien entendu de lui, né au Maroc dans la Ville blanche où il ne séjournera que six mois. Qu’importe, une première visite sur la terre, ça marque et l’on peut facilement se persuader que ces lieux vous appartiennent pour toujours :
« Casablanca Casablanca T’es mon vieux styl’ Ma poussièr’ j’te lâch’rai pas
Casablanca Casablanca Dans tes noeuds pap’ tes Lucky Y a les lang’ d’un bébé qui »
Mais à cet âge, les souvenirs ne sont pas légion… Il va donc écrire sa ville par procuration, en s’achetant une mémoire dans le film de Michael Curtiz, Casablanca (1942), interprété principalement par Humphrey Bogart et Ingrid Bergman et qui se déroule pendant la Seconde Guerre mondiale.
« Les marins dans les ambulanc’ Chantaient plus fort que leurs sirèn’
Bogart offrait plac’ de Franc’ Du vin d’Alsac’ à sa Lauren À sa Lauren »
Automatiquement, ce Casablanca-là a un petit côté vieillot, désuet qui rime avec pianola, tombola, ce qui n’est pas pour déplaire à l’artiste qui développera par la suite cette sensibilité nostalgique avec Y’a d’la rumba dans l’air, Quand j’s’rai K O…
Lettre aux dames, Alain Souchon, 1983, tonalité Mib majeur
Et Alain Souchon se fait encore affectueux, avec ce joli interlude piano-voix d’1 min 50 où le papa poule protège ses deux oisillons… …des affres de l’amour. Alors, il écrit à leurs futures amantes pour leur demander un peu d’indulgence, de compassion :
« Chèr’ les dam’ Chèr’ les enfants fill’ C’est un’ lettr’ que je vous tortill’
Quand ils s’ront là-bas mes rigolos chez vous Allez-y mou
Allez-y mou C’est qu’des bouts d’chou »
Lettre aux dames, Alain Souchon, extrait
La mélodie, simplissime mais attachante se cale sur une courte succession d’accords en DO mineur : DOm (VIm), SOL7 (hors tonalité, résolution), MIb (I), SIb (V), RÉ7dim (hors tonalité) et SOL 7 pour conclure. En prime, si vous écoutez bien, vous pourrez entendre les petits oiseaux gazouiller derrière le piano droit…
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Billy m’aime (Alain Souchon, Yves Martin)
Avec Billy m’aime, plus question de s’attendrir, nous sommes en plein dans la Guerre froide ! Plus question de s’attendrir ? Cela reste à voir car en fait, ce que l’auteur veut nous dire, c’est qu’il dépasse ses angoisses, sa peur des Russes et des Ricains, et donc du conflit possible, par la force de son amour partagé avec Billy.
« Russ’ Russ’ rusé Russ’ T’en as des malic’ des astuc’
Tu peux nous balancer des virus Des bomb’ à pic des cactus »
« Yeah yeah j’suis d’accord Okay yankee c’est toi l’plus beau l’plus fort
On est tous à La Rochell’ sur l’port Montés sur des échell’ pour voir l’Amériqu’ du Nord »
Car on a tendance à l’oublier, les tensions internationales sont à leur apogée au tournant des années 1970 et 1980 : en 1983, les soviétiques abattent un avion de ligne sud-coréen perdu dans leur espace aérien, 61 civils américains tués et Reagan qui hurle au « crime contre l’humanité » ; la même année, lors de manœuvres de l’O.T.A.N. qui simulent un conflit Est/Ouest allant jusqu’à l’utilisation des armes nucléaires, Moscou met sa flotte aérienne sur le pied de guerre ! Bon, on est toujours là mais on a tout de même eu chaud ! En 1985, le même Reagan et le nouveau Secrétaire général du Parti communiste d’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev, vont enfin réussir à s’entendre et à entamer la désescalade à l’armement nucléaire qui aboutira à la dissolution du Pacte de Varsovie.
On voit bien que l’époque est « tendue », car des préoccupations similaires animent le chanteur Sting qui sort en 1985, dans son premier album solo, la chanson « Russians »
« Mr. Khrushchev said we will bury you I don’t subscribe to this point of view
It would be such an ignorant thing to do If the Russians love their children too »
« Monsieur Krushchev a dit nous vous enterrerons Je ne souscris pas à son point de vue
Ce serait tell’ment nul de fair’ ça Surtout si les Russ’ aiment aussi leurs enfants »
Saute en l’air, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1983, tonalité MI majeur

Cette chanson, à la musique dansante, pourrait tout à fait passer dans une boîte de nuit (d’ailleurs, peut-être l’y a-t-on entendue…). J’imagine simplement la tête ahurie des danseurs, juste venus se secouer le derrière ou se frotter le museau, obligés de se coltiner les propos graves et les recommandations à la fois saugrenues et pourtant très logiques d’un chanteur philosophe :
« Qui a mis de l’équateur aux pôl’ Ce colis qu’on a sur les épaul’ ?
Est-c’que c’est l’ciel le couvercl’ à Baud’lair’ Qui nous aplatit nous plaqu’ par terr’
J’ai tout compris C’est un’ horreur La terr’ est un aspirateur
Qui veut notr’ corps l’aspir’ l’espèr’ Ell’ te désir’ La laiss’ pas fair’
Saut’ en l’air Saut’ en l’air »
Nous, c’est pour des paroles comme celles-là qu’on l’aime sans réserve notre poète provocateur. Qui, en si peu de mot, peut dénoncer notre lourde condition et inciter à l’action ? Et le tout, n’en déplaise à nos danseurs du soir, sans nous prendre la tête !
Saute en l’air, Alain Souchon, Laurent Voulzy, extrait
La musique est essentiellement construite sur deux accords, en ton de MI majeur, dans une suite assez funky très en vogue dans les années 80 : LA7M (IV7M) et SI7 (V7). Ajoutez le gros son, basse batterie qui martèlent et l’affaire est jouée, ça roule et ça décolle même avec le chanteur qui propose de « sauter en l’air ». Laurent Voulzy n’aura qu’à proposer deux petites variations histoire de se changer les idées en introduisant : DO#m (VIm), SOL#sus4 (III) ; puis LA6/9, FA#sus4 et le tour est bien tourné ! À noter, petite subtilité, que l’accord de tonalité : MI (I) n’apparaît jamais dans la chanson, ce qui donne une impression de légèreté (malgré la basse qui ronfle et bastonne), de suspendu, de justement « posé en l’air » (!) que vient encore renforcer l’accord septième majeur et des accords 4èmes.
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Somerset Maugham, Alain Souchon, Laurent Voulzy, (single 1981), tonalité SOL (FA en 2016)

Somerset Maugham, single 1981, A. Souchon / L. Voulzy, Tonalité SOL (FA en 2016 Le concert)
Somerset Maugham, on en a déjà entendu parler au collège, dans les cours d’anglais : c’est un romancier et dramaturge britannique, né dans le dernier quart du XIXème siècle, et devenu un auteur « classique » dont les œuvres plutôt cyniques emplissent la bibliothèque de tout sujet de Sa Majesté qui se respecte. Plus que pour ces romans (une vingtaine), il est connu aujourd’hui pour plus d’une centaine de nouvelles, souvent des « peintures » psychologiques qui sont restées très actuelles : chacune est une « bonne histoire », sorte de conte acerbe qui résume une vie. Bref, Souchon a dû lire et apprécier ces courts récits à l’humour un peu féroce puisque la chanson est dédiée au plus français de tous les auteurs british. Pour notre part, nous n’irons pas plus loin dans la présentation de Somerset car nous n’avons de lui sur nos étagères qu’un seul roman « The Razor’s Edge » (le « Fil du rasoir » in french) dont l’achat fut imposé par notre professeur d’anglais, Melle Dige, roman tout en anglais, donc un peu rasoir et que nous n’avons donc pas lu.


Somerset Maugham, on en a déjà entendu parler au collège, dans les cours d’anglais : c’est un romancier et dramaturge britannique, né dans le dernier quart du XIXème siècle, et devenu un auteur « classique » dont les œuvres plutôt cyniques emplissent la bibliothèque de tout sujet de Sa Majesté qui se respecte. Plus que pour ces romans (une vingtaine), il est connu aujourd’hui pour plus d’une centaine de nouvelles, souvent des « peintures » psychologiques qui sont restées très actuelles : chacune est une « bonne histoire », sorte de conte acerbe qui résume une vie. Bref, Souchon a dû lire et apprécier ces courts récits à l’humour un peu féroce puisque la chanson est dédiée au plus français de tous les auteurs british. Pour notre part, nous n’irons pas plus loin dans la présentation de Somerset car nous n’avons de lui sur nos étagères qu’un seul roman « The Razor’s Edge » (le « Fil du rasoir » in french) dont l’achat fut imposé par notre professeur d’anglais, Melle Dige, roman tout en anglais, donc un peu rasoir et que nous n’avons donc pas lu.
Somerset Maugham A. Souchon / L. Voulzy 1981, extrait
Bref, notre Alain Souchon se lance dans un exercice assez voisin de ceux du nouvelliste Maugham, en nous racontant un « morceau de vie », une « bonne histoire », vraie ou fausse ? mais dans le style de l’illustre maître à qui il consacre son poème : c’est une histoire de dame, d’une avec qui il passe une vie bien calme, au fond d’une jungle, quand arrive le play-boy de service, revenu de courses lointaines et qui, bien entendu, va mettre la zizanie dans le ménage. Ce cadre tropical va offrir à l’auteur l’occasion de quelques belles tirades douces et tendres dont il a le secret :
Quand ell’ enl’vait sa main d’ma main Ses yeux d’mes yeux Ça m’faisait souffrir…
(...) Il portait des lions sur l’dos Pour ell’ comm’ cadeau Ça salissait tout
Moi j’me sentais vieillot fidèl’ prorpiétair’ d’ell’ malheureux comm’ tout…

Et c’est là qu’intervient la chute de l’histoire, un peu déconcertante comme souvent chez Souchon. Alors que tout au long de la chanson, l’auteur semble se référer avec respect au nouvelliste anglais, il conclut en renvoyant le vieil homme de lettres dans le fond d’un placard :
« Laissez nous tranquil’ baskets Chocolat noisett’ sur notr’ canapé
Allez Somerset ailleurs casser les autr’ cœurs des autr’ fiancés… »
Alors Somerset, un modèle ou juste un bon prétexte pour une nouvelle chanson ? Va savoir…


Pour la musique, Laurent Voulzy a mis les p’tits plats dans les grands et réussit une musique qui colle parfaitement au texte. L’harmonie habile, et la mélodie attachante font sans conteste de « Somerset Maugham » un « classique » d’Alain Souchon qu’il reprendra dans bien des concerts. Il y a d’abord et surtout le gimmick (le phrasé) d’intro, avec son alternance de seconde et de quarte (SOL2 SOL4 SOL2…) qui apporte son atmosphère touchante, nostalgique à la chanson et la personnalise. Le début des couplets est construit comme un IV-V -I (DO RÉ) qui par résolution ramène à SOL (I) et à ce même gimmick. Pour bien ancrer la phrase dans nos mémoires, ce leitmotiv est encore repris pour conclure chacun des quatre refrains. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’un véritable refrain mais plutôt d’une ritournelle toujours construite sur les mêmes paroles qui structurent la chanson : « Comme dans ces nouvell’ pour dam’ De Somerset Maugham ».
Pour le milieu des couplets, il s’agit d’un savant jeu de modulation qui, finalement, ramène à la tonalité d’origine SOL (et à son gimmick !). La chanson peut parfaitement s’interpréter à la guitare avec l’arpège picking (lire et écouter la démo).
Somerset Maugham A.Souchon / L. Voulzy, démo guitare par Salvéda

On avance, Alain Souchon, Louis Chédid, 1983, tonalité DO majeur
Bouteilles plastiques par Espritplanète
« On avance », fruit de la collaboration entre Alain Souchon et Louis Chédid, est tout d’abord une chanson sur le thème du regret, du temps qui s’en va et des souvenirs qui passent également, ou qu’on veut ou qu’on doit oublier, et qu’on jette alors « dans des sacs plastiques ».
Au départ, au tout début, donc quand on était jeunes, « y’en avait plein l’réservoir » de ces histoires, de ces sensations, de ces images, de ces paysages, de ces futurs souvenirs qu’on vivait à grande allure, et Souchon de se faire une fois encore géographe :

Des villas des mimosas Au fond d’la baie d’Somme, Des famill’s sur des transats le pommier les pomm’
J’regardais la mer qui brill’ dans l’été parfait Dans l’eau s’baignaient des jeun’ fill’ qui m’attiraient

Les prom'nad' le long des dun' en voitur'
Les dunes de Biville dans le Cotentin par ce Labadille
Ces mots nous font penser immédiatement à Michel Jonasz avec qui Souchon collabore également dans le même album pour « On est si beau ». « Les vacances au bord de la mer » (1975) ne sont pas loin :
Michel Jonasz Les vacances au bord de la mer 1975, extrait
Alors on regardait les bateaux On suçait des glaces à l'eau
Les palaces, les restaurants On ne faisait que passer d'vant...

Alain Souchon qui a quatre frères et deux demi-frères (et une demi-sœur !) peut également déclamer :
« Le soir avec les p’tits frèr’ On parlait On voulait tout l’mond’ refair’ On chantait… »
Souvenirs, souvenirs ! Qu’a-t-on fait de nos engagements politiques ? Souvenirs, souvenirs ! Quand ils s’accumulent, ça devient lourd et il faut bien en laisser une bonne partie sur le bord de notre route :
« Tous ces p’tits moments magiqu’ de notr’ existenc’
Qu’on met dans des sacs plastiqu’ et puis qu’on balanc’
Tout c’gaspi d’nos cœurs qui batt’
Tous ces morceaux d’nous qui part’
Y’en avait plein l’réservoir Au départ »

On avance, fruit de la collaboration entre Alain Souchon et Louis Chédid, doit également être pris comme un texte critique, annonçant presqu’avant l’heure notre avancée coûte que coûte, nos dérives, sans retour possible, tout c’gaspi tout court, sans regarder à la dépense, ce profit qui guide le monde et emplit nos poubelles… :
« On avanc’ on avanc’ on avanc’ C’est un’ évidenc’ on a pas assez d’essenc’ Pour fair’ la rout’ dans l’autr’ sens On avanc’… »
Alain Souchon, On avance, 1983
Alors, 40 ans plus tard, on pense, aux pénuries de matières premières, aux déchets qui s’accumulent, au monde qui part à vau-l’eau, inondations, incendies, cataclysmes, réchauffement… Mais on avance, on avance, certains parlent même de continuer sur la planète Mars, pendant qu’on y est, pourquoi pas ?

Faut pas qu'on réfléchiss' ni qu'on pens' Y faut qu'on avanc'...

Gaspillage alimentaire par Lifeandcook
On avance Alain Souchon / Louis Chédid 1983, extrait
La musique est très tranchée, avec trois parties bien distinctes. Le couplet est onirique : la mer, les jeunes filles, les petits frères…, tout en accords septièmes majeurs, chromatismes, bref, très jazzy, presque à la Jonasz… ; le pont (Tous ces p’tits moments magiqu’ de notr’ existenc’…) est « entre les deux », à la Chédid avec des accords tristes à pleurer et ce « mineur septième quinte diminuée »… ; et le refrain quant à lui (On avanc’…), est coupant comme un couteau, précis, net et sans discussion avec accords mineurs et majeurs en ton de Do : c’est le message. Au passage, pour mieux comprendre le style du musicien, on pourrait s’écouter un petit Chédid, non ?
Ainsi-soit-il Louis Chédid 1981, extrait
On est si beau (Alain Souchon, Michel Jonasz)

Nous venons tout juste de dire que le premier couplet de « On avance » ressemble à du Jonasz alors que la musique est de Chédid (qui glisse néanmoins une patte plus personnelle dans le pont et le refrain). C’est peut-être parce qu’à cette époque-là il y a du « Jonasz dans l’air ». Le chanteur, dont l’ascension a été parallèle à celle de Souchon, publie, cette même année, son septième album Tristesse avec les titres « Une seule journée passée sans elle » et c’fameux blues « Lucille ».
Lucille Michel Jonasz 1983, extrait
Alors nous ne dirons pas grand-chose de « On est si beau » parce que, cette fois, ça ne ressemble plus à mais c’est carrément du Jonasz ! Comme il chante le titre en duo avec Souchon, on se demande même quand on écoute la chanson si on n’a pas mis un autre album sur la platine, un de Michel…, cet autre grand mélancolique et ce fabuleux musicien. L’harmonie, les arrangements, les voix, tout se confond à un point…
On est si beau Alain Souchon / Michel Jonasz 1983, extrait
Donc, comme cette chronique n’est pas destinée à commenter l’œuvre de Michel Jonasz (c’est d’ailleurs dommage !), on s’offrira juste un petit plaisir, celui de répéter avec Alain Souchon :
On est si beau si beau Pourquoi voulez-vous qu'à la fin au bout On meurt…
La question qui semble posée avec toute la naïveté, la candeur du monde reste bien entendu, malgré toute l’ironie, en suspens. La réponse viendra trente ans plus tard par l’emploi du passé dans la chanson « On était beau » de l’album Alain Souchon Laurent Voulzy 2014 :
On était beau A. Souchon / L. Voulzy 2014, extrait
Banale song, Alain Souchon, Louis Chédid (Maxi 45 tours, 1984), tonalité SIm

mais c'est un' super song...

Banale song Alain Souchon / Louis Chédid 1984, extrait
« Banal’ song banal’ song On peut pas trouver mieux… »
que ce blues banal, en fait pas si banal que ça, et si nous n’avons pas grand-chose à en dire, c’est que c’est presque parfait, c’est bon, c’est doux, et rien que de la trouvaille là-dedans !
Sur le plan des paroles, cette chanson d’amour sortie en single en 1984, s’excuse d’être banale, ce qui, déjà, sort de l’ordinaire de la chanson d’amour, d’habitude justement si mièvre… Avec « Banale song », on nage dans l’essentiel :
« Quel plaisir de dir’ ce simplistiqu’ poèm’
Je t’aim’ je t’aim’ je t’aim’
Quel joli discours ces mots sans rien autour… »,
c’est d’une simplicité déconcertante, tout est dit en deux mots sans en avoir honte, alors pas la peine d’en rajouter…

Pour la musique, quel plaisir de jouer « ce simplistiqu’ poèm’ » signé Chédid : SIm7 MI9 MIm7 MIm7/5b, « Je t’aim’, je t’aim’ je t’aim’ Que les lumièr’ s’éteign’ », ou s’allument…, et dans un moment pareil, de pure béatitude, une fois n’est pas coutume, on ne va pas se priver d’écouter à nouveau un petit extrait de monsieur Chédid qui nous montre l’amour encore sous un autre jour !
Ces mots sont pour toi Louis Chédid 1992, extrait
Les changements de tons vers la fin (RÉ mineur, puis MI mineur) sont juste là pour faire durer le plaisir… Et merci à la langue de Shakespeare (ce simplistic poèm’) pour le beau néologisme…
