Lys & Love, Laurent Voulzy 2011
Publié le 10 octobre 2023, par Charles-Erik Labadille
Partir en 1400...
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L’album Lys & Love

10 ans après Avril (2001), ce nouvel album de Laurent Voulzy ne comptant que des chansons originales était attendu avec impatience. En effet, les opus précédents, La septième vague (2006) et Recollection (2008), étaient surtout des albums de reprises. Résultat ? Pour notre part, avouons que nous avons mis un certain temps à nous habituer à cet opus car nous en attendions autre chose, plus dans la lignée « chanson-chanson », du genre de celles qu’on trouve dans les albums « Caché derrière », « Avril »… Une fois passé ce moment de déception, nous avons écouté, réécouté et nous nous sommes laissé prendre, apprivoiser par Lys & Love car, en plus de 6 ou 7 morceaux qui ont vraiment du cachet, l’ensemble présente une grande qualité : c’est son homogénéité, sa cohérence et l’ambiance qu’il distille de la première à la dernière chanson. Avouons que, par tempérament, l’atmosphère « mystique », planante, ne nous enflamme pas plus que ça, mais il faut bien reconnaître qu’il y a une véritable unité dans le discours et dans la musique, une vraie recherche. Il s’agit bien d’un véritable album avec de la personnalité, du caractère ce qui, de nos jours, est devenu un luxe ! Et l’environnement d’une chanson, disons les autres titres qui l’entourent, créent un cadre particulier qui, pour l’auditeur, compte certainement autant que les morceaux eux-mêmes : alors, pari gagné et un grand bravo !
Ceci dit, il y a aussi des petites choses qui nous gâchent encore le plaisir et qu’on aurait aimées différentes. Évoquons-les rapidement, tout en précisant, encore une fois, que nous concevons parfaitement qu’elles puissent être au goût de nombreuses autres personnes. Tout d’abord, alors que nous sommes censés être en 1400, l’ambiance est plutôt à la machine et aux programmations, que l’on synthétise, que l’on fait tourner, que l’on arpège mécaniquement jusqu’à envahir une bonne part de l’espace sonore. Est-ce qu’une approche acoustique, par exemple avec cordes et instruments anciens, n’aurait pas eu une autre portée ? C’est juste une question. C’est, comme nous venons de le signaler, le choix qu’à fait Sting avec «If on winter’s night » (2009) et le résultat est au rendez-vous. Le fin guitariste acoustique qu’est Laurent Voulzy (écoutez « La nuit » dans cet album) aurait certainement pu également frôler le meilleur ! Par ailleurs, l’usage des synthétiseurs peut induire quelques faiblesses : un son souvent chargé (principe même de « l’ambient », courant électronique né de la techno vers 1980 en Grande-Bretagne), l’utilisation de boucles automatiques répétitives et l’allongement corrélatif des morceaux. À cette longueur des chansons, on peut regretter également le chant totalement en anglais pour quelques titres ; on est tellement habitués aux paroles du copain Souchon, rien comprendre, ça fait un peu chi… Bon, même si on sait que nos voisins grands-Bretons étaient arrivés en France à l’époque de Jeanne d’Arc, ça ne justifie tout de même pas de nous retirer Souchon (pas totalement mais presque) et ça fait un peu… Allez, plutôt que de critiquer « facile », nous avons écouté, écouté et nous nous sommes laissés séduire par l’album et les commentaires de ceux qui trouvent légitime ce type de sonorités et qui cherchent dans ses chansons un Voulzy plus électrique. Encore une fois, c’est la même question récurrente que de nombreux fans s’étaient déjà posée en 1965 avec Like a Rolling Stone de Robert Zimmerman : Dylan folk ou Dylan électrique ? Avant de « décortiquer » les différents morceaux, laissons donc Suntory Time (Forces parallèles, 2012) nous dire tout ce qu’il pense de bien de Lys & love :
« …mêler des sonorités médiévales et gothiques donc, avec une pop raffinée, des rythmes parfois électros, des passages ambient et des zestes de musique du Monde, en faisant en sorte que le tout soit d’une superbe cohérence, il n’y a pas grand monde qui peut s’en vanter ! Et voilà donc l’étrange voyage auquel nous convie Lys & Love… ».
Pour conclure, nous pouvons revenir à nos propos du début et dire qu’il faut certainement plusieurs écoutes pour capter tout l’intérêt de Lys & Love, la force de son unité, ses belles mélodies et ses superbes moments touchants.

Le Tableau, Laurent Voulzy, Alain Souchon
C’est une chanson « d’exposition », comme au théâtre, où l’on résume et l’on ouvre à ce qui va suivre :
« Mon cœur en 2010 voudrait tant, je le sens, partir en 1400 ».
Plutôt que de nous confiner dans notre mauvaise humeur de départ et de commencer en critiquant ce texte parlé et murmuré, à la limite du compréhensible, devisons plutôt sur l’an de grâce 1400 et ce lys qui a donné son titre à l’album. Nous sommes en plein cœur de la Guerre de 100 ans opposant la dynastie des Plantagenêt à celle des Valois et ces derniers, rois de France, ont pour armes : « d’azur à trois fleurs de lis d’or ». Voilà donc nos lys, symboles de pureté et de perfection et de la royauté depuis Louis VII (XIIème siècle). Sauf que, comme tout un chacun le sait, les lys (Lilium sp.) sont blancs et que les fleurs jaunes représentées sur les blasons ressemblent plutôt à des Iris des marais (Iris pseudachorus) ! Nous les aurions hérités de la Flandre et des Francs saliens (IV-VIème siècles) qui les auraient choisis comme emblèmes car ces plantes à magnifiques fleurs jaunes poussaient en abondance sur les berges humides de… …la Lys ! Alors, Iris et love, ce n’est pas mal non plus…
Jeanne, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2011, tonalité SI majeur


S’il pouvait y avoir un doute (comme nous l’avons eu au début) sur l’identité de cette Jeanne, la date mentionnée montre sans conteste qu’il s’agit bien de Jeanne D’Arc (1412-1431). Il est alors curieux de constater que Laurent Voulzy, ardent défenseur du « vivre ensemble » et d’une République métissée, témoigne autant de déférence à une personnalité aussi controversée, chef de guerre et sainte illuminée. Car la donzelle, d’abord reconnue pour avoir bouté les étrangers de France, ensuite rachetée par L’Église jusqu’à la canonisation, puis récupérée par Charles Mauras fondateur de l’Action française, les Croix-de-Feu du colonel de La Rocque et le régime de Vichy, a récemment gagné des lettres de noblesse auprès de mouvements nationalistes conservateurs, comme le Front National qui va même jusqu’à honorer son égérie le jour de la Fête du travail ! Certes, Jeanne n’est pas la responsable de toutes ces récupérations et la très jeune femme a d’ailleurs aussi été célébrée par la gauche. Mais d’autres héroïnes, comme Aliénor d’Aquitaine, Marie de France… auraient certainement été des choix moins discutables, tout en renouant avec le Roman de la Rose évoqué dans l’album Caché derrière.
Jeanne, Laurent Voulzy / Alain Souchon 2011, extrait


Le principal atout de « Jeanne », dans son bel habit médiéval, c’est de disposer d’une mélodie qui touche immédiatement et qui se retient particulièrement bien. La chanson partait pourtant avec un sérieux handicap, car il faut bien reconnaître qu’elle est vraiment répétitive : pas moins de 11 fois la même succession d’accords : SI, FA#, SOL#m, MI7M / FA# ! Pourtant, la simplicité de cette exception qui confirme la règle n’est pas lassante et cette ritournelle a largement été plébiscitée pour devenir le titre-phare de l’album. L’arrangement y est certainement pour quelque chose, avec ces cordes dynamiques qui soutiennent le morceau du début à la fin. Ces violons énergiques, joués à la noire pour souligner le tempo, gomment la nostalgie des paroles et, en outre, permettent des vocalises inspirées qui nous emportent dans un autre univers, à coup sûr celui de Jeanne…
« Jeann’ vous n’êtes qu’un’ imag’ Perdue dans les âg’
Et je chante ma pein’ Loin de cell’ que j’aim’ L’âme pleine de mélancolie »
Pour interpréter « Jeanne » avec plus de facilité, vous pouvez jouer le morceau un demi-ton plus haut, c’est-à-dire directement en DO majeur : DO (I), SOL (V), LAm (VIm), FA7M (IV7M) / SOL (V). La suite d’accords est assez proche d’un anatole, le plus utilisé n’étant pas très différent, construit sur l’enchaînement des degrés I VI II V : DO (I), LAm (VIm), RÉm (IIm et relatif du FA), SOL7 (V7). À la main droite, vous pouvez accompagner la chanson en pompes (battements en noires comme les violons) ou avec l’arpège picking qui fonctionne très bien.
La nuit (Laurent Voulzy, Alain Souchon)
« La nuit » est, avec « Jeanne », une des rares chansons de l’album qu’on pourrait qualifier de « classique », dans la composition, l’arrangement, la durée (2min 06). Ce titre nous rappelle Blackbird de Paul McCartney et John Lennon (1968). Bien que l’harmonie et les paroles soient très différentes, il y a vraiment un esprit partagé : des titres accompagnés avec une seule guitare acoustique (unplugged), un picking plutôt virtuose, en sol pour les deux pièces, un amour inconditionnel de Laurent Voulzy pour les Beatles qui se ressent dans son interprétation.
La nuit, L. Voulzy / A. Souchon 2011, extrait
Blackbird, Paul McCartney, John Lennon, extrait
La nuit, c’est juste deux minutes de plaisir sans mélange : une belle partie de guitare, une belle voix, une belle mélodie et de beaux mots :
« La nuit quand le soleil est parti mon amour dans son lit, lit… ».
« La nuit dans le ciel qui devient rose nos baisers se reposent, pause… ».
Quoi demander de plus ! Peut-être que cette chanson, elle aussi, dure plus longtemps… Elle est d’ailleurs suivie par un court éloge au silence, juste effleuré par un souffle léger de synthé et nommé avec humour « Un ange passe ». D’ici à apercevoir des queues de comètes dans cette nuit calme et étoilée…

Glastonbury (Laurent Voulzy, Ann Calvert, Mylene Miles)
Glastonbury, Laurent Voulzy, Ann Calvert, Mylene Miles
À la première approche, il est difficile de dire quelque chose sur ce « Glastonbury » sinon qu’il est chanté en anglais, et que lorsqu’on traduit les paroles, elles sont, a priori, très hermétiques. Jugez un peu :
« Horses run with each on’ their knight Memories die at around midnight
I look around I look around I look around and up and down
I know that silenc’ has a sound And I’d lov’ to hear I’d lov’ to see And I’d lov’ to be »
« Les chevaux cour’ avec chacun leur chevalier Les souvenirs meur’ vers minuit
Je regard’ autour de moi je regard’ autour de moi Je regard’ autour de moi de haut en bas
Je sais que le silence a un son Et j’aimerais entendr’ j’aimerais voir Et j’aimerais être… »
Ça commence en effet par le bruit d’un cheval au galop, des cris de corbeaux, les chocs de l’airain qu’on frappe, puis viennent des chœurs liturgiques, la chanson est plutôt jolie, vaporeuse mais on a pourtant du mal à se projeter à l’intérieur… C’est que Laurent Voulzy a commis une petite erreur : il a oublié de laisser les clés qui nous auraient permis d’entrer, de nous installer, de profiter et de partager avec lui des moments immatériels, presque ésotériques. Mais comment aurait-il pu le faire puisqu’il a choisi l’anglais pour conduire son discours ? Il ne nous reste donc plus qu’à raconter l’histoire à sa place. Pour commencer, ne trouvez-vous pas qu’il y a un petit air de ressemblance avec les paroles d’une chanson de 1992. Rappelez-vous :
« Et je marche seul sur la land’ Espérant un rayon de là-haut
Mais les pierr’ de Ston’heng’ n’ont rien dit du tout
Alors malgré nos yeux fermés et nos cœurs qui port’ un voil’
Je voudrai voir les cavaliers en regardant les étoil’ »

La chanson parlait de Lancelot, Brocéliande, du Roman de la Rose… Alors, « Glastonbury » serait-elle marquée aussi par le sceau de l’Enchanteur ? À première vue, non (mais peut-être faut-il nous ouvrir les yeux ?). Cette tranquille petite bourgade du Somerset, au sud-ouest de l’Angleterre, est située de nos jours à une vingtaine de kilomètres de la mer. Mais jadis, c’était une île comme en atteste aujourd’hui la persistance d’importantes zones marécageuses. Et pas n’importe quelle île ! La tradition rapporte que le site ne serait autre que la mythique île d’Avalon dont il est question dans la légende arthurienne. En effet, en 1191, des moines y auraient exhumé une tombe dont la croix de plomb portait l’inscription :
Hic jacet sepultus inclytus rex Arturus in insula Avalonia cum Wenneveria uxore sua secunda
« Ci-gît l’illustre roi Arthur enseveli avec Guenièvre, sa seconde épouse, dans l’île d’Avallonie. »
Dès lors, on comprend mieux les chevaux, les chevaliers, les questionnements impénétrables et la quête mystique menée par le paladin Voulzy venu voir sur place si l’invisible peut se voir. Presque 20 années plus tard, « Glastonburry » ressemble donc fort à l’acte 2 de « Caché derrière »…

Blackdown (Laurent Voulzy, Catherine Bitton)
« Blackdown » a le charme d’une comptine anglaise et, de ce fait, il a ce côté danse, prenez la main de votre cavalier-cavalière, « tournez en rond » ou un pas en arrière, un pas en avant. Alors que la composition est de Laurent Voulzy, le morceau sonne comme un véritable « traditionnel ».
Blackdown, Laurent Voulzy, Catherine Bitton, extrait
C’est très frais, très folk irlandais, cloches, dulcimer et compagnie… À entendre le morceau, on voit déjà la lande…
« Ther’ is a treasur’ in Blackdown Tak’ my hand we will search high and Lo
Ther’ lies a treasur’ in Blackdown In Blackdown together we will go »
« Il y a un trésor à Blackdown Prends ma main nous chercherons haut et Lo
Il y a un trésor à Blackdown A Blackdown nous irons ensemble »
Il y a un trésor à « Blackdown », mais lequel ? Tout d’abord, le morceau pourrait tout à fait être rapproché de « Glastonbury » car il plane sur le site (il s’agit également d’un lieu) comme une odeur de cycle arthurien. En effet, l’un des poètes britanniques les plus célèbres de l’époque victorienne, Alfred Tennison, célèbre entre autres pour ses ouvrages sur le roi Arthur (Les Idylles du Roi, 1885), y possédait du terrain et les paysages sauvages de la contrée l’ont fortement inspiré.
« Ther’ is a clue in the song my son Hidden in the words by Tennyson »
« Il y a un indic’ dans la chanson mon fils Caché dans les mots de Tennyson »
Mais il y a également autre chose « Caché derrière » et qu’il va falloir trouver. Blackdown, situé au sud-ouest de Glastonbury, est une colline du Sussex occidental et le point culminant (280 mètres) du Parc national des South Downs. C’est une zone naturelle d’intérêt collectif et une réserve protégée par le National Trust.
« Oh don’t touch a singl’ speck of dust Everything belongs to the National trust »
« Oh ne touch’ pas un seul grain de poussièr’ Tout appartient au National Trust »
Le National Trust est une des plus importantes associations anglaises de protection de la nature et il n’y a rien à voir en termes d’effectifs avec nos petites associations françaises. On ne rigole pas avec la nature en Angleterre : en 2023, le National Trust compte 5,73 millions d’adhérents et 5899 salariés ! Le trésor, c’est donc cette nature qui est précieuse. L’association conduit ici un programme de conservation de pelouses naturelles, de landes à bruyère et de pinède sur sols acides qui représentent des habitats importants pour certaines espèces d’insectes et d’oiseaux. Le site est entretenu par les feux contrôlés et il a été clôturé pour permettre sa gestion par du bétail spécifique. Récemment, la loutre a été réintroduite sur les cours d’eau qui parcourent les talwegs. Alors, on ne touche pas un seul grain de poussière ou presque, on s’arrête simplement à contempler et à apprécier ce trésor qui nous est offert…

En regardant vers le pays de France (Laurent Voulzy)
Ce titre est emprunté au premier vers de la Ballade XXIV de Charles d’Orléans :
« En regardant vers le pays de France Un jour m’advint à Douvres sur la mer
Qu’il me souvint de la doulce plaisance Que je soulais* au dit pays trouver » (* que j’avais l’habitude)
De lignée royale, le « Prince des poètes », fait prisonnier lors du désastre d’Azincourt, passe 25 ans dans les geôles anglaises d’où il n’est libéré qu’en 1440. Ce séjour lui donne en effet le temps d’écrire quelques poèmes sur sa chère patrie et sur son regret de n’y plus séjourner. Mais pourquoi le prince de nos chanteurs se compare-t-il à ce noble poète et se dit-il lui-même « prisonnier volontaire » ? Il nous a fallu mener l’enquête pour vous porter réponse…
Le texte est en partie en français, en partie en anglais, mais ce choix se comprend mieux cette fois : la chanson raconte l’histoire d’un galant françois parti vivre avec sa dulcinée en la perfide Albion et qui clame son éloignement. Il s’agit, on l’aura compris, du chanteur parti vivre en 2005 avec sa femme Mirella Lepetit et leur fils dans le Surrey, pas loin de Londres. Cette vie franco-anglaise est résumée par deux vers dont les rimes sont pleines d’humour :
« Sur la Sein’ j’étais Capitain’ Sur la Tamis’ I’m down on my knees » (Sur la Tamis’ je suis sur les genoux).
Ces vers sont d’autant plus précieux qu’ils comptent parmi les rares passages non soumis à la question (-réponse) dont nous allons parler. Question : si si si la sol la sol fa# ré si ; réponse : si mi mi fa# sol la sol fa# ré. C’est un « modèle » de construction repris par un bon nombre de chansons anciennes avec un principe simple : la salle est partagée en deux, avec d’un côté la question chantée, de l’autre la réponse instrumentale (ou chantée). Si donc « En regardant vers le pays de France » est une réplique plutôt plaisante de lai moyenâgeux, certains la trouveront peut-être un peu longuette… Car même si l’effet est voulu par le maître de musique, certains auditoires peuvent avoir du mal à souscrire à 34 questions / réponses et une durée de 4 minutes 44 secondes, avant que d’être libérés par une petite cloche chargée d’annoncer la fin du round…

Ma seule amour (Laurent Voulzy, Charles d’Orléans)
Nous retrouvons Charles d’Orléans, avec « Ma seule amour », cette fois dans un de ses poèmes mis en musique avec brio par Laurent Voulzy : avec ses chœurs magnifiques, sa belle mélodie triste, ses paroles sur le thème de l’absence, de la mélancolie, la chanson fait véritablement mouche et émeut :
« Ma seule amour, ma joie et ma maîtresse
puisqu’il me faut loin de vous demeurer je n’ai plus rien,
à me réconforter qu’un souvenir pour retenir liesse ma seule amour »
Ma seule amour, Charles d’Orléans / Laurent Voulzy 2011, extrait
La chanson réussit la belle transition entre l’art religieux et la pop, avec sur le refrain un rajout haut en couleur et en anglais :
« Stay away from the door it’s locked forever
write a song no other way to reach your lover… » (Éloigne-toi de la porte c’est fermé pour toujours Écris une chanson il n’y a pas d’autre moyen d’atteindre ton aimée),
qui tranche à merveille sur la voix douce de Laurent Voulzy et l’ensemble vocal. Il est dit que ce serait Roger Daltrey, le chanteur des Who, qui lancerait ces fulgurances anglaises… (affirmation de Laurent Voulzy dans l’émission de France Inter « Le pont des artistes » consacré à Alain Souchon). Quoi qu’il en soit, l’effet est particulièrement réussi et la chanson aussi.
Le ciel et la terre, Laurent Voulzy
C’est un long instrumental électro-pop avec juste comme paroles : « Le ciel m’attir’ la terr’ me tiraill’ », mais n’est-ce pas suffisant, tout n’est-il pas dit ? Pour ceux qui en voudraient un peu plus long, ils peuvent aller le chercher dans une belle chanson du copain Souchon, Saute en l’air (1983) :
« J’ai tout compris c’est un’ horreur La terr’ est un aspirateur
Qui veut notre corps l’aspir’ l’espèr’ Ell’ te désir’ te laiss’ pas fair’
Saut’ en l’air Saut’ en l’air »
Tout commence par des chœurs quasi grégoriens, puis viennent les machines, synthés et boîtes à rythme, mariage a priori improbable mais la magie planante s’installe. Elle s’installe si, bien entendu, on n’écoute pas cette musique comme de la chanson mais comme une invitation, une assistance à la méditation, à l’envol… Comparé à « Glastonbury » et « Ma seule amour » qui s’inscrivent dans le même genre, « Le Ciel et la Terre » est certainement le morceau le plus contemplatif des trois car ses longues plages instrumentales se prêtent encore mieux au recueillement, à l’introspection.

C’était déjà toi, Laurent Voulzy, Alain Souchon
« C’est déjà toi », « Our song », « La neuvième croisade » et « J’aime l’amour » partagent un message passionné très « voulzyesque » que l’on retrouve tout au long de cet album « pétri » d’amour. Le choix du titre Lys & Love le rappelle mais introduit également en plus de cette ferveur amoureuse, par un subtil jeu de mots, la seconde obsession de l’artiste qu’est la paix : « Peace and Love, brothers… », on a déjà entendu ça quelque part, non ? Ces trois musiques nous entraînent également dans des ambiances déjà présentes dans le répertoire du chanteur : au plus loin, on pense aux compositions électriques de Bopper en larmes (1983) ; au plus près, aux atmosphères lounge, psyché-prog, électro-disco de « I want you » (Avril, 2001), de « Sous la lune » (Recollection, 2008)…
Dans C’était déjà toi, Alain Souchon apporte son grain de sel moqueur qui actualise la romance moyenâgeuse. À l’origine, il s’agit d’un amour courtois, rêvé, envisagé avant même la rencontre. S’agit-il de Jeanne, de Guenièvre ? En tout cas, l’affaire doit se dérouler dans les temps anciens, au minimum en 1400, mieux encore, à l’époque de Guenièvre…

« Et ce grand vid’ là dans mon cœur Et ce désir infini d’âm’ sœur
Quand je faisais la têt’ ailleurs Danser des polissonn’ Sur Avalon C’était déjà toi »
Quelle est donc cette référence choisie par Alain Souchon ? Bien entendu, parcours imposé, il s’agit de l’île d’Avalon, dernière demeure du Roi, et de son lac, celui-là même où Excalibur fut forgée… Mais Avalon, c’est également le nom du huitième album de Roxy Music (1982) et de son chanteur dandy Bryan Ferry qui, lui aussi, a décidé de faire danser les States (disque d’or et de platine aux USA) sur le cycle arthurien. Alain Souchon quant à lui, rime oblige, a choisi de faire danser les « polissonn’ » sur « Avalon » (Avalonn’ avec l’accent anglais !).
Si l’auteur a toujours cet humour très particulier, il ne peut non plus s’empêcher d’évoquer la mélancolie qui émane de la voix de Bryan Ferry en répétant ce vers tiré de « À la claire fontaine » :
« Il y a longtemps, longtemps que je t’aime… » et qui sous-entend que le souvenir, teinté de nostalgie, a largement sa place aux côtés du rêve et de l’anticipation : …jamais je ne t’oublierai !

Our song (Laurent Voulzy, Liam Keenan)
Dans cette chanson, l’auteur, volontairement ou involontairement, fait coexister plusieurs influences. Tout d’abord, on sent dans cette ballade chantée en anglais l’ambiance de « Everybody’s got to learn something » des Korgis (1980), avec le rythme de cet orgue qui marque chacun des temps (morceau repris dans l’album La 7ème vague, 2006). Et quand les Korgis chantent :
« Change your heart look around you Everybody’s got to learn sometime » (change ton cœur regarde autour de toi Tout le monde doit apprendre parfois), Laurent Voulzy répond :
« Everybody could be mine Open up my heart and set me free » (Tout le monde pourrait être à moi Ouvre mon cœur et libère moi).
Le titre, bien entendu, joue également avec celui du très célèbre « Your song » d’Elton John, un pastiche devenu presqu’une habitude chez Laurent Voulzy depuis « My song of you » ! Enfin, quand les violons mélancoliques et somptueux portent à la rêverie, la nostalgie s’invite également et ce retour en arrière, moins lointain, du temps des belles années de la jeunesse, passe par l’évocation d’une vieille chanson folklorique chantée jadis sur les bords de l’Eure :
« V’là l’bon vent, v’là joli vent… ».

La 9eme croisade, L. Voulzy / F. Eulry, poème de Abu Firas, 2011, extrait
La neuvième croisade, Laurent Voulzy, Franck Eulry
« La neuvième croisade » est certainement le « clou » du spectacle ou plutôt de l’album. C’est aussi un moment suspendu, dans le temps long, 14 minutes 13 secondes… Neuvième croisade ? Il n’y en a pourtant eu que 8 (entre 1095 et 1270). C’est que celle-là, c’est la dernière, celle de la paix. Tout commence entre chants quasi grégoriens et un récitatif sur un poème d’Abu Firas, prince arabe du Xème siècle : chœurs et cordes splendides, Dris El Maloumi à l’oud, et Manu Katché à la batterie, Nicolas Montazaud aux percussions, une pure merveille :
« Tu es à mes yeux, plus splendide que la richesse tu es à mon cœur, plus doux que la victoire… » « Assiste ma faiblesse, toi le fort ; prends le parti de ma misère, toi le fortuné… ».
Et pour insister sur le programme unique de cette croisade, il y a cette voix qui clame régulièrement: « We’ll all be friends » (Nous serons tous amis).
Après cette première partie très « musique du monde », les « machines » prennent le relais et nous entraînent dans un nouvel univers très « pop opéra » dont Queen et Freddie Mercury n’auraient certainement pas honte. Nous sommes peut-être revenus dans nos temps modernes et le chanteur se risque à une assertion qui, si elle est un jour admise par tous, devrait régler le problème des guerres de religions :
« How many gods in the universe ? Probably one » (combien de dieux dans l’univers ? Vraisemblablement un seul).
J’aime l’amour (Laurent Voulzy)
La 9ème croisade, celle de l’amour, de la paix, Lys and love, my brothers…, ne peut pas s’achever. Elle s’étire, s’allonge, déploie ses bannières, ses oriflammes et ses ailes et s’invite… …sur le morceau suivant qui conclut l’album. J’aime l’amour prend donc le relai, ou plutôt continue sur la même musique, même rythme, mêmes accords, mêmes machines. C’est un électro « ambient », un style profondément ancré dans le contexte des musiques planantes des années 1970 (Tangerine dream, Popol Vuh…) et développée en particulier par Brian Eno. Il décrit l’ambient comme une musique « capable d’accommoder tous les niveaux d’intérêt sans forcer l’auditeur à écouter ; elle doit être discrète et intéressante ». L’ambient (du latin ambire = envahir) peut être « activement écoutée ou ignorée, selon le choix de l’auditeur ». Bref, les synthés « envahissent » bien l’espace sonore et, sur ce tapis roulant et planant, Laurent Voulzy égrène sa litanie dont la finalité ne peut être plus parfaite : « aimer l’amour », programme infini comme le confirme ce dernier accord presque interminable tenu jusqu’à ce que le silence sans fin ne l’envahisse à son tour…
Plain chant vers 1648
