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Les Coëvrons

Publié le 27 septembre 2024, par Charles-Erik Labadille

EN ROUTE POUR LES COËVRONS

Site de Sainte-Suzanne

Après les Alpes Mancelles, cap vers l’ouest et le sud pour continuer ce pèlerinage insolite consacré aux roches anciennes qui forment l’assise, parfois cachée, parfois dévoilée, de nos vieilles régions. Nous sommes toujours en Pays-de-la-Loire, et c’est plus particulièrement au département de la Mayenne de nous accueillir avec les cités de Jublains, Bais, Sainte-Gemmes-le-Robert..., puis, c’est entre Mayenne et Sarthe que nous finirons l’étape du jour.

Et, tout d’abord, pourquoi ne pas en profiter pour faire un détour par la belle ville de Mayenne, où la rivière du même nom lèche, en plein centre-ville, les granites surmontés par le château ?

LE MONT ROCHARD ET LA BUTTE DE MONTAIGU

La butte de Montaigu

Hambers, Sainte-Gemmes-le-Robert (Mayenne)

À voir à moins de 30 km : Mayenne, Lassay-les-Châteaux, la Corniche de Pail, les Coëvrons, la Butte de Montaigu, le Mont Rochard, Évron, Sainte-Suzanne

Le département de la Mayenne n’a pas de leçon à recevoir en matière d’altitude ! Souvenons-nous en, c’est lui qui porte, vers Pré-en-Pail, le Mont des Avaloirs et donc le point culminant (416 mètres) de l’Ouest de la France. Mais ce sommet est façonné dans les grès armoricains, ces quartzites si résistants ! Qu’en est-il alors des granites ? Eh bien à ce titre, comme nous allons le voir, le résultat est particulièrement satisfaisant puisque le département détient un deuxième record !

Pourtant, le sud du département et les environs de Château-Gontier ne sont guère «porteurs» car les terrains précambriens (briovériens) déroulent, comme bien souvent, leur surprenante monotonie… En « remontant » vers la dépression hercynienne de Laval (bassin carbonifère, comme ceux de Châteaulin dans le Finistère et d’Ancenis en Loire-Atlantique), la centaine de mètres n’est guère dépassée. Mais vers le nord, l’altitude s’accroît progressivement, le relief devient plus mouvementé et des escarpements pittoresques apparaissent même au cœur d’un système qu’on a pris l’habitude d’appeler globalement les « Collines du Maine ».

Certains dispositifs orographiques se distinguent par leur vigueur et structurent l’ensemble : tout au nord, bien entendu, le massif de Multonne avec le Mont des Avaloirs (au pied duquel la Mayenne prend ses sources), prolongé vers le sud-ouest par la Corniche de Pail ; au cœur du département, à l’est de la cité gallo-romaine de Jublains (visite du théâtre, du Castellum, des thermes…) et au nord d’Évron, les Coëvrons qui barrent les paysages de leurs vigoureux chaînons.

C’est dans cette chaîne des Coëvrons que se situent les deux nouveaux « chemins de croix » proposés (il va falloir monter…), à quelques kilomètres au sud de la jolie cité de Bais, de part et d’autre de la D 20 (en direction de Sainte-Gemmes-le-Robert).

Le cadre géologique, un peu particulier, correspond au point de rencontre de deux massifs de granodiorites cadomiennes, celui « d’Alexain-Deux-Évailles » (pour le Montaigu) et celui « d’Izé » (pour le Mont Rochard). Ils enserrent, dans ce contact, une zone « déprimée » de cornéennes, des schistes métamorphisés au contact des magmas qui les ont pénétrés. Le Mont Rochard apparaît même comme un îlot granitique dominant une « mer » de cornéennes. Le cas n’est guère fréquent car ces roches « cuites » par la pression et la chaleur sont bien souvent plus résistantes que les granitoïdes et donc, généralement, en position haute. C’est peut-être d’ailleurs cet « enduit » métamorphique, seulement en partie décapé par l’érosion et recouvrant encore partiellement le Rochard, qui a longtemps protégé les plutons.

Quoi qu’il en soit, le Montaigu et le Mont Rochard encadrent une vallée plus basse où naît le réseau hydrographique (ruisseau de Villiers…). Ce « couloir » est emprunté depuis Bais par la D 20 qui, par endroits, suit de près le contact géologique appelé « Corniche du Rochard ». Le mont qui la surplombe mérite l’attention et même quelques lauriers : en effet, sauf erreur de notre part, c’est le plus haut sommet granitique de tout le Massif Armoricain avec ses 357 mètres à la tour de télécommunication (par ailleurs haute de 200 mètres) ! Mais le cadre forestier fait qu’on observe plus facilement le Mont Rochard des alentours qu’on ne le visite de près ! Néanmoins, en venant de Bais par la D 20, une petite route à gauche (située juste avant « le Rubricaire ») donne accès à l’éminence située sur la commune de Sainte-Gemmes-le-Robert. Des sentiers permettent alors aux randonneurs de parcourir ces hauteurs couvertes de bois et de landes et par exemple, une fois l’antenne passée, d’atteindre le sommet du bois du Gros Roc (336 m).

Les inconditionnels de l’automobile se consoleront par une visite à deux sites tout proches (avec stationnement) qui leur offriront le point de vue tant attendu.

Pour le premier, il s’agit justement du Rubricaire (Sainte-Gemmes-le-Robert, en visite libre) implanté au flanc du Mont Rochard. Située à une dizaine de kilomètres de Jublains, l’ancienne forteresse romaine surveillait la voie reliant cette cité au Mans, dans un territoire où les fouilles ont révélé des traces d’habitat rural. Le site-même a conservé des vestiges de fortifications quadrangulaires avec tour d’angle, ainsi que les restes d’un établissement de bain (balneum). L’ensemble militaire couronne un « balcon » d’où s’ouvre, à 240 mètres, un large panorama, notamment au sud / sud-ouest, vers Évron et le bassin de Laval.

Le second est un site de chapelle très réputé dans le secteur. En effet, Montaigu, belvédère naturel remarquable sur le bocage des Coëvrons, « crève » le paysage (se voit de loin). Situé à 2 km au sud de Bais (suivre le fléchage) sur la commune d’Hambers, le Montaigu porte bien son nom, même si l’altitude reste raisonnable (291 mètres). On y accède par une petite route qui grimpe à la butte en la contournant presque en lacets, charme très montagnard qui met tout de suite dans l’atmosphère ! Lieu de pèlerinage sur le chemin du Mont Saint-Michel, la chapelle du 15e siècle remplace un ancien ermitage dont subsistent quelques vestiges. La butte, parcourue par de nombreux sentiers, compte aujourd’hui au nombre des Espaces Naturels Sensibles du département de la Mayenne. Elle est couverte de fourrés et d’une lande sommitale, tantôt dominée par les fougères-aigles, tantôt par les ajoncs, parfois mangée par le bois.

LA FORÊT DE SILLÉ-LE-GUILLAUME

Le Saut du Serf à Sillé

Mont-Saint-Jean, Rouessé-Vassé, Saint-Rémy-de-Sillé, Sillé-le-Guillaume (Sarthe), Saint-Pierre-sur-Orthe, Vimarcé (Mayenne)…

À voir à moins de 30 km : le karst des Coëvrons, le Mont Rochard, la Butte de Montaigu, Saint-Nicolas-des-Bois, le belvédère des Toyères, Saint-Céneri-le-Gérei, la cluse de Sainte-Suzanne, le canyon de Saulges, Évron

À une trentaine de kilomètres au nord-ouest du Mans, la Forêt de Sillé-le-Guillaume (Sarthe) permet à nouveau d’observer la dynamique « appalachienne » opérée par de petits ruisseaux dans les grès. Le secteur appartient toujours aux Coëvrons, ce massif de hautes collines situé globalement entre Bais au nord et Évron au sud. À l’est de cette commune mayennaise, affleure un petit synclinal dont la terminaison orientale porte Sillé-le-Guillaume (flanc sud) avant d’être « ennoyé » sous les assises du Bassin Parisien.

C’est en pleine forêt, sur le flanc nord du synclinal des Coëvrons, juste au sud de Mont-Saint-Jean, que les escarpements dégagés par de petits affluents de l’Orthe sont les plus pittoresques : Roche Brune et le Saut du Serf sont connus de longue date par les grimpeurs. C’est le petit ruisseau de Roullée qui a découpé et « dompté » la pierre, pour Roche Brune le grès armoricain, pour le Saut du Serf le grès de Sainte-Suzanne. Cet autre grès primaire, résistant et légèrement rosé, est traversé, un peu plus à l’ouest, par les cluses du Cul d’Oison et du Gros Roc.

Mais revenons quelques instants au Saut du Serf, orthographié cerf sur certains documents et panneaux, ce qui paraît logique puisque nous sommes en forêt ! et qu’en forêt de Sillé, vers la mi-septembre, on entend encore de nos jours le brame de ce grand cervidé !

Pourtant, il s’agit bien ici d’un domestique, car l’on raconte qu’un serf, poursuivi par son seigneur et ses gens, préféra défier le vide plutôt que d’être pris. La légende ne précise pas si l’homme s’était équipé, avant le grand saut, de cordes de rappel et mousquetons… comme le sont aujourd’hui les kyrielles de grimpeurs harnachés de neuf qui arpentent les rochers…

Sur le flanc sud du synclinal, vers Saint-Rémy-de-Sillé, les grès de Sainte-Suzanne sont également découpés par des ravins, moins réputés car plus limités en taille : cluses du Mont du Coq, du Gué Morceau… En revanche, l’ensemble de la forêt est particulièrement renommé, et ce jusqu’au Mans, pour son plan d’eau de 40 hectares où se pratiquent de nombreuses activités nautiques ; le surnom un peu désuet de « coco-plage » atteste la popularité déjà ancienne de son rivage largement fréquentée les beaux dimanches.

Le massif d’environ 3 500 hectares et ses cinq étangs présentent également des milieux naturels variés et peu communs pour certains d’entre eux : bois pauvres où poussent les myrtilles et les callunes, landes, tourbières, zones aquatiques…

Précisons enfin que, des marges de la Forêt de Sillé-le-Guillaume à celles de la Grande Charnie, le bocage fait l’objet de mesures de suivi et de gestion patrimoniale, en tant que Zone de Protection Spéciale (ZPS) pour la conservation d’un insecte rare à l’échelle européenne. Il s’agit d’un coléoptère, le pique-prune (Osmoderma eremita) dont la forte régression est liée à la disparition de ses sites de reproduction, de vieux arbres creux, chênes et frênes têtards…

LA CLUSE DE SAINTE-SUZANNE ET LA GRANDE CHARNIE

Sainte-Suzanne

Assé-le-Bérenger, Chammes, Sainte-Suzanne, Torcé-Viviers-en-Charnie (Mayenne), Chemiré-en-Charnie (Sarthe)

À voir à moins de 30 km : Laval, Évron, la Butte de Montaigu, le Mont Rochard, le karst des Coëvrons, la Forêt de Sillé-le-Guillaume, le canyon de Saulges

Quittons Sillé-le-Guillaume et le territoire du Parc Naturel Régional Normandie-Maine pour une destination toute proche (une vingtaine de kilomètres vers le sud-ouest) : il s’agit de la cité médiévale de Sainte-Suzanne (Mayenne), campée sur le flanc nord du synclinal de Laval et en limite occidentale de Forêt de la Grande Charnie. Le grand intérêt, à la fois culturel et naturel de la commune, transparaît notamment au travers de cinq labels « touristiques » qui ont récompensé Sainte-Suzanne, admise récemment dans le club très fermé des « Plus beaux villages de France ».

Comme bien des places fortes, sa position géographique « dominante » lui confère déjà un caractère paysager d’importance. Le site d’éperon, sur lequel la vieille ville et le château sont construits, est défendu naturellement sur deux de ses trois côtés ; certains indices laissent d’ailleurs supposer qu’à l’origine l’ensemble du promontoire devait être entouré d’une fortification de type « rempart vitrifié », sorte de murus gallicus (mur gaulois) dont le parement extérieur a subi une forte chaleur soudant les blocs entre eux. La crête surplombe à l’ouest l’étroit et pittoresque défilé de l’Erve. C’est, bien entendu et une fois encore, une cluse ; elle tronçonne la barre de grès de Sainte-Suzanne orientée ouest / est et sépare le village perché de la Butte Noire, un mont qui lui fait face sur l’autre versant. Un agréable sentier pédestre qu’on prend en ville et appelé « promenade de la poterne » permet de suivre cette singulière « déchirure » et de contourner la vieille ville et ses monuments. La descente à l’Erve est également possible par un layon qui longe un joli jardin médiéval. Par un petit pont, l’on peut gagner le versant opposé dominé par le Tertre Ganne d’où s’ouvre un remarquable panorama sur la cité ; l’endroit, point de départ de circuits de randonnée, est également accessible en voiture par la ville basse et la D9 en direction de Torcé-Viviers-en-Charnie (fléchage et parking).

Comme de nombreux sites de ce type, Sainte-Suzanne présente différents « niveaux d’occupation ». Propriété du Département de la Mayenne, le château actuel (visite libre des extérieurs, centre d’interprétation payant) édifié au 17e siècle masque les ruines d’une ancienne forteresse ; construite dans son prolongement, la cité était entièrement ceinte de hautes murailles au Moyen Âge. Si la ville est donc surtout reconnue pour son riche passé médiéval, des fouilles ont également mis au jour des vestiges d’habitat datés du 6e siècle avant J.-C. (âge du Fer).

Cette occupation celtique n’a d’ailleurs rien de très étonnant car les environs directs de Sainte-Suzanne ont conservé les traces d’une présence humaine bien plus ancienne, néolithique, avec, à moins de 5 km, 3 mégalithes. Le plus imposant est en accès libre, à 30 mètres en bord de route de Sainte-Suzanne à Assé-le-Bérenger (D 143) : il s’agit du dolmen des Erves, considéré comme le plus vieux monument élevé par l’homme en Mayenne. Aménagée entre 4700 et 4000 ans avant J.-C., la large « chambre » précédée d’un portique semble en faire un type de transition entre le dolmen angevin et le dolmen armoricain. Une première fouille réalisée dans la seconde moitié du 19e siècle permit la mise à jour de nombreux ossements humains (une quinzaine d’individus). À l’origine, cette construction funéraire était couverte par un cairn aujourd’hui disparu (récupération locale des pierres du tertre…).

À moins d’un kilomètre, le dolmen des Îles (propriété privée), également classé Monument historique, est beaucoup moins impressionnant car sa « couverture » a subi des dommages.

Enfin, l’on peut découvrir à quelques kilomètres à l’est de Sainte-Suzanne, en pleine forêt, la Table des diables. Ce dolmen est érigé sur les grès de Sainte-Suzanne qui, au sud de Torcé-Viviers-en-Charnie, forment une longue crête orientée ouest-est ; cette ligne de hauteurs barre le nord du massif de la Grande Charnie et culmine au Signal des Viviers à 285 mètres d’altitude. La présence de nombreuses anciennes carrières, à Torcé-Viviers-en-Charnie comme à Sainte-Suzanne (le Tertre Ganne sur le flanc de la Butte Noire) rappelle l’importance économique de ces grès extraits pour produire des pavés. Les richesses minérales du synclinal de Laval ont permis d’autres types d’exploitation industrielle en Charnie, notamment les verreries et les anciennes forges jadis présentes à Chemiré-en-Charnie et Chammes (forges de Moncor)…