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Les chaos granitiques des Deux-Sèvres

Publié le 18 janvier 2025, par Charles-Erik Labadille
Le chaos du Boussignoux

LA MERVEILLE D’HÉRISSON ET LE NOMBRIL DU MONDE

Le "Nombril du Monde"

Pougne-Hérisson (Deux-Sèvres)

À voir à moins de 30 km : les Rochers de Cheffois et de Mouilleron, le chaos du Bois de l’Ermite, le Roc de Saint-Fort et le Pas de la Vierge, le Jardin des Chirons, le chaos du Boussignoux, la Tour Mélusine de Vouvant

Une centaine de kilomètres plus à l’est, dans le département des Deux-Sèvres, commence une nouvelle « rencontre » géographique d’importance : c’est celle du Bassin Aquitain avec le Bassin Parisien, jonction matérialisée au travers du seuil du Poitou. Ce vaste plateau calcaire secondaire situé au sud de Poitiers sépare, par la même occasion, les deux massifs anciens, le Massif Central et le Massif Armoricain distants d’une cinquantaine de kilomètres. Zone de contact entre quatre unités morphologiques capitales et lieu de passage stratégique entre le nord et le sud de la France, le seuil du Poitou constitue également, malgré sa faible altitude (190 mètres à Champagné-Saint-Hilaire, Vienne), une ligne de partage des eaux entre, d’une part, le bassin de la Loire au nord et, d’autre part, ceux de la Charente et de la Sèvre niortaise au sud. Quant aux terres armoricaines, elles s’achèvent en disparaissant sous la couverture sédimentaire jurassique dans le secteur de Ménigoute (Deux-Sèvres), à une vingtaine de kilomètres de Parthenay. C’est à l’ouest de cette ville que nous avons rendez-vous avec du « spectaculaire », du « colossal » : nos premiers chaos rocheux !

En effet, le massif de Neuvy-Bouin –d’âge hercynien comme ceux présentés en Loire-Atlantique et Vendée- ne manque pas de caractère et de personnalité, voire même d’humour avec la petite commune qui réunit Pougne et Hérisson (Deux-Sèvres) à laquelle nous accordons sans hésiter la préséance et un accessit « hors catégorie » !

Avant de parcourir les autres sites qui individualisent cette ellipse granitique longue d’une vingtaine de kilomètres, commençons donc par un lieu facétieux inscrit en plein cœur de la Gâtine et du bocage : c’est là que des habitants pleins d’esprit et de malice ont su se démarquer en présentant au visiteur éberlué leur « Merveille d’Hérisson », un imposant bloc délicatement « posé » sur son socle de granite et, à quelques pas, le « Nombril du monde », une pierre érodée en forme d’ombilic saillant de la chaussée ! À Hérisson, la légende garantit que toutes les histoires de la planète, petites ou grandes, sont nées de cette protubérance, au cours d’un prodigieux « Big Bang mythologique » ! Pour s’en persuader, il faut visiter le Jardin des Histoires, un espace interactif où contes et mythes vivent, s’endorment parfois et renaissent chaque jour… Rappelons que Pougne-Hérisson possède aussi sa faculté d’Ombilicologie dont les étudiants occupent régulièrement le campus du Jardin des Histoires lors de redoutables ateliers de créativité ! Enfin, le Nombril du monde a également son festival qui n’aurait pas déplu à Alphonse ALLAIS et Alfred JARRY : ce sont, chaque été, trois jours de spectacles, de verbe à la TATI, de paroles à la PRÉVERT et de « benaiseries » où s’affrontent, bien sûr pour rire, les « diseurs », les slammeurs et autres « porteurs de palabres » !

LE ROC DE SAINT-FORT ET LE PAS DE LA VIERGE

Le Roc de Saint-Fort à Trayes

Trayes, La Chapelle-Saint-Laurent (Deux-Sèvres)

À voir à moins de 30 km : les Rochers de Cheffois et de Mouilleron, Pouzauges, la Merveille d’Hérisson et le Nombril du Monde, le chaos du Bois de l’Ermite, le Jardin des Chirons, le chaos du Boussignoux.

Une inspiration plus religieuse et, somme toute, plus habituelle, marque d’autres blocs colossaux qui n’en valent pas moins le coup d’œil. C’est le cas, à Trayes, du Roc de Saint-Fort situé également en plein bourg : un monstrueux « dos de baleine » rocheux y est flanqué d’un escalier et coiffé d’une croix.

À la sortie de La Chapelle-Saint-Laurent, une gigantesque pierre émerge à demi du sol et rappelle que la vie en pleine campagne peut présenter des risques, notamment en matière d’exorcisme ! Cependant, la Vierge elle-même veille sur les possédés et peut, comme nous allons le voir, intercéder en leur faveur…

Le Pas de la Vierge

Le Malin endosse une nouvelle fois un rôle qu’il connaît bien, voire trop ! Il inflige comme à l’accoutumée « mille infamantes tortures » à une jeune châtelaine du pays… Dans une version plus démocratique, cette dernière devient une fileuse nommée Pernette aux prises avec un lutin : de là à nommer la fable « Pernette et le farfadet »… Quoi qu’il en soit, l’infortunée est amenée par les siens à Notre-Dame-de-Pitié dans le but d’en finir avec son démon. Mais, contre toute attente, la visite est infructueuse. La jeune-fille s’en retourne donc chez elle, la mort dans l’âme et toujours habitée par son diable qui l’oblige à des contorsions de plus en plus irrévérencieuses, de plus en plus suggestives… Avant que l’irréparable ne soit commis, elle tente un dernier recours. Croisant un lourd rocher, elle y grimpe avec l’énergie du désespoir et plante son genou en terre, ou plutôt en pierre car la roche est granitique. La réponse ne se fait pas attendre et la Vierge apparaît ! D’un revers de manche, elle chasse l’impertinent locataire qui s’échappe du corps de sa victime et, de rage, griffe la pierre. Pour répondre à ce geste d’humeur, la Vierge inscrit également l’empreinte de son pied dans le bloc qui devient dès lors le « Pas de la Vierge ».

On dit que les pèlerins fatigués peuvent glisser leur soulier dans cette trace pour être soulagés de leur fatigue… Pour nous, c’est aussi le moment de le faire car la visite de notre « pluton » n’est point encore terminée !

LE JARDIN DES CHIRONS

Largeasse (Deux-Sèvres)

À voir à moins de 30 km : les Rochers de Cheffois et de Mouilleron, Pouzauges, le Roc de Saint-Fort et le Pas de la Vierge, la Merveille d’Hérisson et le Nombril du Monde, le chaos du Bois de l’Ermite, le chaos du Boussignoux.

À Largeasse, nos affaires se corsent car il ne s’agit plus de rochers isolés mais d’un véritable rassemblement de blocs organisé par des forces dantesques vers le « Jardin des Chirons » : en Gâtine, on donne ce nom de « chirons » à ces curieuses boules qui émergent du sol ; ici, vu leur grand nombre, nous sommes certainement sur un « terrain de boules », aux heures les plus chaudes d’un championnat local ! C’est la Sèvre-Nantaise, toute proche de ses sources (Neuvy-Bouin), qui, en dégageant l’arène granitique, a laissé apparaître son jeu, un jeu particulièrement « solide » si l’on en juge par le chaos de blocs qui encombre le lit pourtant étroit du cours d’eau. Parmi de nombreuses pierres aux formes cocasses, le « Rocher branlant » s’individualise : comme son nom l’indique, il se trouve en équilibre instable sur un autre et peut, à l’occasion, être légèrement déplacé… Le charme du Jardin des Chirons tient certainement à son ouverture qui lui vaut un bel éclairage lumineux, alors qu’en général, les chaos –tels les deux suivants- sont beaucoup plus boisés. Cet espace bocager, propriété de la commune, a été aménagé par la Communauté de Communes de Terre de Sèvre pour être ouvert au public (entrée libre, parking, coin pique-nique…). L’accès se fait par le hameau de la Morelière, à 4 kilomètres au sud-ouest de Largeasse.

LE CHAOS DU BOUSSIGNOUX

Le Boussignoux

Largeasse (Deux-Sèvres)

À voir à moins de 30 km : les Rochers de Cheffois et de Mouilleron, Pouzauges, le Roc de Saint-Fort et le Pas de la Vierge, la Merveille d’Hérisson et le Nombril du Monde, le chaos du Bois de l’Ermite, le Jardin des Chirons.

Les chaos granitiques largeassiens ont bonne réputation et attirent chaque année de nombreux curieux. Outre le Jardin des Chirons, c’est également le cas de celui du Boussignoux, même si l’accès à ce bois privé, situé à peine à 3 kilomètres du Rocher branlant, est soumis à autorisation. L’endroit se situe en limite sud de commune, en direction de Vernoux-en-Gâtine ; juste avant le hameau des Jarzelières, il faut prendre la route à gauche et s’arrêter avant un petit pont d’où part, sur la droite, un étroit sentier forestier. Sous les denses frondaisons et dans le jeu des ombres mouvantes, les amoncellements de blocs moussus, ourlés et coiffés de touffes de fougères, prennent une toute autre signification, empreinte de mystère et d’insolite, également propice aux légendes. Dans le fond, de pittoresques boules partiellement « rongées » par des cépées aux racines protubérantes et tortueuses bordent le ruisseau des Brandes ; ce dernier finit même par disparaître sous l’exubérance du minéral et du végétal…

À l’amont de ces « pertes » sauvages, le dessus d’une vaste dalle aplanie par le temps émerge à peine de la lande colonisée par les bouleaux. Sa surface est trouée de quelques vasques circulaires où s’accumule, aux mauvais jours, l’eau de pluie et auxquelles on attribue forcément des origines aussi variées que fantaisistes.

Serait-ce l’œuvre de Saint Bodet qui a aussi sa fontaine à Vernoux ? ou alors la réalisation du vœu pieux d’un anachorète pris d’une insatiable envie de boire, chose qui, somme toute, n’est pas si rare chez les ermites et les moines ?

On raconte aussi qu’il fut jadis un temps de canicule à faire dépérir tous les bestiaux à cornes… Or, seul un jeune bœuf prenait chaque jour de l’embonpoint et semblait ignorer les terribles affres de la soif qui frappaient ses congénères. Intrigué, un pasteur le suit au travers des herbages roussis et des landes rases qui frangeaient ce dôme granitique jusqu’alors sans nom. Après avoir frappé du sabot la pierre, l’animal boit l’eau qui commence à jaillir… Depuis, le roc porte la trace des cornes et de la queue de la bête, son nom aussi : c’est le « bovis signum », le boussignoux ou si l’on préfère la traduction française, le signe du bœuf !

LE CHAOS DU BOIS DE L’ERMITE

Chaos du bois de l'Ermite

Neuvy-Bouin (Deux-Sèvres)

À voir à moins de 30 km : les Rochers de Cheffois et de Mouilleron, Pouzauges, le Roc de Saint-Fort et le Pas de la Vierge, la Merveille d’Hérisson et le Nombril du Monde, le chaos du Boussignoux, le Jardin des Chirons.

Un dernier ensemble paraît avoir déchaîné autant l’œuvre de l’érosion que les passions des anciens pour nommer toutes les formes insolites auxquelles pluies et eaux courantes ont donné naissance à la surface des pierres : c’est le site privé du Bois de l’Ermite, encore appelé site de la Garrelière, du nom d’un hameau proche. L’accès (soumis à autorisation), se fait à 2 km au nord de Neuvy-Bouin, par la D 143 (en direction de Clessé), par un chemin situé en face du hameau du Grand Fay.

Comme nous venons de le signaler, les microformes résultant d’une altération météoritique du granite sont particulièrement nombreuses dans cette petite vallée drainée par le ruisseau de la Garrelière. Elles se traduisent : sur les flancs des rochers, par des cannelures dues au ruissellement ; à leur sommet, par des vasques liées à la désagrégation granulaire provoquée par la stagnation de l’eau (certaines dépressions présentent parfois des exutoires de trop-plein). À l’instar du chaos du Boussignoux, il n’est pas rare que ces marques érosives soient présentées comme des traces animales. Ici, ces petits reliefs mais aussi les macro-formes particulièrement évocatrices ont conduit à des sources d’inspiration plus fantastiques. Leurs racines baignent dans un fonds une fois encore très celtique qui rappelle la longue survivance des cultes anciens associés aux pierres, aux eaux et aux bois. À la Garrelière, les curieux chirons prennent noms de : Coquille Saint-Jacques (cannelures) ; Selle ou Tête de Cheval ; rocher des Griffes du Lion ; rocher de la Justice, du Conseil ou Fauteuil du Recteur ; ou encore Pierre à sacrifices, chiron de 10 mètres de long creusé de deux cavités inégales pouvant respectivement recevoir… la tête et le corps d’un homme allongé ! Quant à l’Ermite, il a là son refuge, aussi bien nommé grotte de l’Ermite, grotte aux loups ou chapelle aux druides… Cet abri de fortune est couvert d’une large roche branlante, creusée de sillons qui lui donnent figure humaine ; c’est en appuyant sur la lèvre inférieure de ce visage que l’on déclenche l’oscillation…

D'autres chaos granitiques, pour le fun...

Voici, pour conclure, quelques exemples de chaos granitiques particulièrement surprenants : si les premiers sont en Bretagne, le dernier se situe dans une région granitique emblématique, le Sidobre, et vous invite à poursuivre la découverte hors Massif Armoricain, plus au sud, dans le Tarn pas loin de Castres.

Les gorges du Corong dans les Côtes-d'Armor
Le chaos de Toul Goulic dans les Côtes d'Armor
Le chaos d'Huelgoat dans le Finistère
Les chaos du Sidobre dans le Tarn
Le Sidobre et ses rochers "branlants"