Les calcaires armoricains
Publié le 22 avril 2025, par Charles-Erik LabadilleLes paysages calcaires

LES CALCAIRES ARMORICAINS (Protérozoïques et Paléozoïques)
Parlons un peu des roches carbonatées (calcaires, marnes…) qui font la fierté et la richesse des bassins sédimentaires, mais qui sont beaucoup plus rares dans les massifs anciens. Si on associe généralement par la pensée Massif Armoricain et terres siliceuses et acides, il existe pourtant quelques exceptions qui apportent, malgré leur localisation ponctuelle, encore un peu plus d’originalité à nos vieilles montagnes de l’Ouest.
En effet, dès le Protérozoïque (Précambrien), certains niveaux recèlent déjà des traces de sédimentation calcaire, comme à La Meauffe dans la Manche. En Mayenne, le synclinal des Coëvrons a conservé, pour sa part, des vestiges de dépôts cambriens (début de l’Ère primaire) percés de remarquables réseaux souterrains. Les terrains dévoniens (série des grès, schistes et calcaires) présentent également des cavités, mais plus modestes, vers Chalonnes-sur-Loire dans le Maine-et-Loire. Enfin, c’est au Carbonifère (inférieur) que se déposent les calcaires du bassin de Laval qui rassemblent les grottes les plus réputées, notamment vers Saulges en Mayenne.
Si, par la suite, le Massif Armoricain est en grande partie émergé, les marges orientales et méridionales de la grande montagne (déjà soumise à l’érosion) sont battues par les mers mésozoïques et cénozoïques (Secondaire et Tertiaire) qui y abandonnent les sédiments qui vont former les grands bassins sédimentaires français.
UN MARIAGE PARISIEN, DES TERRES MIXTES, DES VÉGÉTATIONS «INTERMÉDIAIRES»…
Si les calcaires véritablement armoricains sont donc très localisés, leurs cadets parisiens et aquitains, déposés au Mésozoïque et au Cénozoïque sur les marges orientales du Massif Armoricain, sont beaucoup moins rares. En effet, c’est sur plus de 600 kilomètres que des sédiments variés recouvrent et encadrent le massif ancien à l’est (Bassin Parisien) et au sud (Bassin Aquitain), ce qui, on en conviendra, laisse une bonne place aux roches carbonatées pour s’exprimer ! Au sud-est, le Massif Armoricain est même confronté à la rencontre des deux bassins qui s’unissent pour former le seuil du Poitou et le séparer d’une cinquantaine de kilomètres (de Ménigoute, Deux-Sèvres, à L’Isle-Jourdain, Vienne) d’un voisin de coeur, le Massif Central !
Cette triste nouvelle a pourtant des avantages. Le contact géologique est source de variété, paysagère mais aussi botanique. Les digitations carbonatées permettent la pénétration à l’ouest et au nord de nombreuses espèces calcicoles des bassins sédimentaires qui « forcent » ainsi les frontières du Massif Armoricain.
Mieux encore ! Certaines apportent avec elles un peu du « midi » et leur apparition traduit la rencontre des influences atlantique et méditerranéenne (nombreuses orchidées, plantes des milieux secs…).
Parfois, cette particularité concerne des terrains apparemment entièrement siliceux : la flore « mélangée » qui les caractérise traduit alors d’anciennes « géographies », notamment des avancées bien plus occidentales des mers secondaires dont l’érosion a peu ou pas épargné les dépôts… La limite des anciens rivages, encore appréciable grâce à leur végétation mixte, est parfois distante d’une dizaine de kilomètres, voire vingt, du contact actuel massif ancien / bassin sédimentaire. Les indicateurs sont, par exemple, la clématite vigne-blanche (Clematis vitalba) que l’on peut « suivre » facilement des yeux (même en voiture !) dans des contrées entières pourtant très pauvres dont elle décore les arbres de ses toupets cotonneux très ostensibles ! Ou encore le brachypode penné (Brachypodium pinnatum), une graminée qui forme des ronds vert-jaunâtres très distincts en plein cœur de prairies acides, traductions de vestiges de petites lentilles calcaires (Suisse Normande, Alpes Mancelles) ! De quoi, pour les apprentis botanistes, y perdre leur latin ! Partons pour les aider à la découverte de ces « milieux intermédiaires » et de jolies particularités de quelques postes-frontière du vieux massif.
LES CARBONATES PROTÉROZOÏQUES ET PALÉOZOÏQUES
La sédimentation carbonatée résulte essentiellement de l’activité d’êtres vivants : il s’agit d’organismes produisant des coquilles ou de bactéries causant des précipitations. Il est donc particulièrement intéressant d’en trouver des « traces » dans les terrains très anciens du Massif Armoricain.
LES CALCAIRES DE LA MEAUFFE, LES PLUS ANCIENS DE FRANCE

Airel, Cavigny, La Meauffe (Manche)
À voir à moins de 30 km : les Landes de Lessay, les marais du Cotentin, Saint-Lô, les Roches de Ham
Les calcaires de La Meauffe, datés du Briovérien inférieur (Protérozoïque) et contemporains des Schistes de Saint-Lô avec lesquels ils entrent en contact, sont considérés comme les plus anciens de France. Ils affleurent à une dizaine de kilomètres au nord de Saint-Lô, sur les bords de la Vire, entre Pont-Hébert et Cavigny. Cette lentille de calcaires durs et noir-bleuté, coupée d’étroits filons de quartz et de calcite (forme cristallisée du carbonate de calcium), constitue l’assise d’un site où se mêlent petits coteaux secs, boisements, prairies humides, carrières et cavités.
La roche a longtemps été extraite comme pierre de taille et pierre à chaux et les anciens fours de la Roche-Genest (La Meauffe) et de Bahais (Cavigny) rappellent l’importance de cette seconde activité industrielle qui, au milieu du 19e siècle, couvrait le tiers de la production du département de la Manche. La chaux, chargée sur des chalands, était alors transportée sur la Vire. L’exploitation s’est arrêtée avant guerre et les lieux, accessibles par les Claies de Vire et le chemin de halage restauré (voie verte), sont aujourd’hui engagés dans une orientation conservatoire (site Natura 2000 d’intérêt communautaire).
Tout d’abord, la présence de l’observatoire piscicole des Claies de Vire (visites possibles), construit à l’emplacement d’une ancienne écluse, traduit les préoccupations actuelles en matière de rétablissement des continuités piscicoles, concernant ici les migrations de la truite de mer (Salmo trutta), du saumon atlantique (Salmo salar) et aussi de la grande alose (Alosa alosa), poisson proche du hareng et de la sardine.
Ensuite, outre l’intéressante mosaïque d’habitats naturels qui les caractérisent généralement, les sites d’anciennes carrières peuvent être d’une grande importance pour la préservation des chiroptères. La fissuration et la présence de cavités, points communs de bien des parois calcaires, sont mises à profit par de nombreuses espèces pour hiverner en tranquillité. Ici, les anciens fours à chaux, les tunnels d’exploitation et les anfractuosités naturelles abritent une dizaine de chauves-souris différentes, entre autres, le grand Rhinolophe (Rhinolophus ferrumequinum) et le grand murin (Myotis myotis)…
LE KARST DES COËVRONS
Vimarcé, Saint-Georges-sur-Erve (Mayenne)…
À voir à moins de 30 km : Évron, la Butte de Montaigu, le Mont Rochard, Saint-Léonard-des-Bois, la forêt de Sillé-le-Guillaume, le canyon de Saulges, Sainte-Suzanne
Voilà, avec celui de Saulges plus au sud, un bel ensemble karstique, totalement paléozoïque (Cambrien pour les Coëvrons et Carbonifère pour Saulges) et donc armoricain, et qui peut faire la fierté des Mayennais mais, bien au-delà, de tous les résidents cadomo-hercyniens du Grand Ouest !
Mais au préalable, qu’est-ce qu’un karst ? Ce nouveau terme demande quelques éclaircissements avant de pouvoir nous lancer, bien équipés et donc sans risque, sur le territoire du synclinal des Coëvrons ! Le mot, à ne pas confondre avec quartz (minéral siliceux, un des composants du granite), vient de Slovénie (Europe centrale) où certaines formes de reliefs très particulières sont bien représentées, entre autres, sur le plateau du kras (nom transformé en karst par germanisation).
Les paysages y sont principalement modelés par les processus de dissolution des calcaires sous l’action d’eaux riches en gaz carbonique (CO2) prélevé lors de l’infiltration dans le sol (matières organiques en décomposition…). Cet acide carbonique dilué prend en suspension le carbonate de calcium, principal constituant des calcaires, d’où la création de réseaux de fissures souterraines. Lorsque cette eau suinte à l’intérieur d’une grotte où le volume d’air est plus important, une partie du gaz carbonique est libéré et, l’acidité diminuant, le carbonate de calcium précipite sous forme de stalactites (accrochées au plafond) et de stalagmites (qui montent du sol).
L’échelle de réalisation de ces phénomènes appelés karstiques va de l’objet simple (la stalactite) au paysage dans son entier et se retrouve en France, notamment au sud et à l’ouest du Massif Central : dolines, dépressions de surface allant de quelques mètres à plusieurs centaines de mètres aux fonds tapissés d’argiles imperméables de décalcification (les « résidus » de la dissolution) ; pertes, où disparaissent des ruisseaux ou s’engouffrent des rivières entières ; grottes et avens, sortes de puits verticaux ; canyons, où l’encaissement des cours d’eau peut être favorisé par la présence de réseaux souterrains (effondrement des « plafonds » et alors vestiges d’arches de pierre…) ; causses, plateaux fortement érodés où la roche calcaire affleure au travers de maigres pelouses naturelles couvertes de pierrailles…
Alors ! Grottes, réseaux souterrains, voire canyon et petit causse dans les Coëvrons ? Prenons les lampes frontales pour y voir un peu plus clair et suivons l’Erve, cours d’eau qui semble présenter de bonnes dispositions en la matière, de ses sources non loin de Vimarcé jusqu’à Saulges (environs de Laval et d’Évron).
Pour le linéaire des réseaux souterrains, Vimarcé, tout proche de Sillé-le-Guillaume, annonce déjà la couleur : plus de 900 m pour la grotte de Courtaliéru, plus de 500 m pour le puits du Père Leroux ! Mais la palme revient à la commune mitoyenne, Saint-Georges-sur-Erve où les spéléologues ont topographié plus de 1700 mètres sur les 2800 m estimés de la grotte du Rey. Cette cavité est donc la plus développée du département de la Mayenne et certainement du Massif Armoricain. Néanmoins, le patrimoine de ces deux communes, visité dès le 19e siècle et au début du 20e (le puits), ne s’adresse qu’à des spécialistes bien informés. Et puis, n’oublions pas nos petits chiroptères qui apprécient un calme bien mérité, notamment au Rey… On pourra toujours alors voir ou revoir Sillé-le-Guillaume et Sainte-Suzanne situés à deux pas, avant de filer à une vingtaine de kilomètres vers le sud-ouest pour rejoindre Saulges où un site remarquable est fait pour être découvert : il s’agit du canyon de Saulges, puisque notre initiation karstique nous permet de l’appeler ainsi !
LE CANYON DE SAULGES

Saulges, Thorigné-en-Charnie, Saint-Pierre-sur-Erves (Mayenne)
À voir à moins de 30 km : Laval, Sainte-Suzanne, la Butte de Montaigu, le Mont Rochard, le karst des Coëvrons, la Forêt de Sillé-le-Guillaume
Sur 4 kilomètres de Saint-Pierre-sur-Erve à Saulges, en passant par Thorigné-en-Charnie, l’Erve s’encaisse d’une quarantaine de mètres dans les calcaires carbonifères (Mississipien) du bassin de Laval. Les modelés karstiques : gorges, parois rocheuses, plateau entaillé de vallons secs et pierreux, réseau souterrain avec salles… sont à l’origine du classement du site. Cet ensemble de formes peu communes dans l’Ouest, ainsi que la présence de formations végétales calcicoles donc rares à l’échelle du Massif Armoricain (des fourrés de buis, les buxaies ; des pelouses à orchidées sauvages…) ont permis d’inscrire la vallée au titre des Espaces Naturels Sensibles du département de la Mayenne, ainsi que comme Site d’Intérêt Communautaire (Natura 2000).
Le principal accès, juste au nord de Saulges, est facile et bien fléché (parking, restaurant, gites…). L’endroit, reconnu sur le plan touristique, propose des activités variées : pratique de la randonnée, découvertes botaniques (parcours nature), visites guidées de deux grottes pour les familles, initiation à l’escalade et à la spéléologie pour les amateurs de sensations plus fortes. Les curieux de races anciennes pourront même y voir quelques aurochs (espèce « reconstituée » par croisement) pâturer avec nonchalance les grasses prairies des bords de l’Erve. Quoi de plus normal puisque le site est également devenu une référence en matière de préhistoire armoricaine…
En effet, les fouilles menées dans une trentaine de cavités et abris sous roche ont livré des vestiges d’industries humaines échelonnées du Moustérien (de 40 000 à 20 000 ans avant le présent, Paléolithique moyen) aux Solutréen et Magdalénien (de 20 000 à 10 000 ans, Paléolithique supérieur), ainsi que les restes d’une faune quaternaire (renne, cheval, rhinocéros laineux, aurochs, ours…). La récente découverte d’une canine de tigre à dent de sabre et d’une molaire de daim de Clacton dans la grotte de la Chèvre (Saint-Pierre-sur-Erve) atteste même de niveaux beaucoup plus anciens (au-delà de 150 000 ans, Pléistocène moyen).
Connues depuis le 18e siècle, la cave à Margot et la cave de Rochefort ont partagé une longue tradition de visites aux flambeaux. Suite à des accidents périodiques, elles sont aménagées et les travaux révèlent, vers la fin du 19e siècle, tout l’intérêt archéologique de ces grottes. Si elles reçoivent toujours de nombreux visiteurs (guidages payants), elles restent le support de découvertes régulières. Elles concernent notamment le Solutréen dont la vallée de l’Erve est une des manifestations les plus septentrionales (grotte de Rochefort : pierres taillées en « feuilles de laurier », plaquettes gravées dont une avec bouquetin…).
Bien entendu, les réseaux souterrains réservent aussi aux amateurs leurs batteries habituelles de stalactites, stalagmites et tuyaux d’orgue…
Plus surprenant encore ! Des prospections récentes révèlent la présence d’un art pariétal insoupçonné jusqu’alors. Il concerne tout d’abord la cave à la Dérouine (ou « cave à la bigotte ») renommée grotte Mayenne-Sciences (fermée au public) après la découverte en 1967, par la section spéléologique de M-S, de parties de galeries ornées de dessins ! Parmi ceux-là, on observe des représentations animales de très belle facture : chevaux, mammouths, bison dont certains sont datés d’environ 25 000 ans avant nos jours (Gravettien). Ensuite, à partir de 2005, l’archéologue Romain PIGEAUD et son équipe découvrent des gravures pariétales, parfois très détaillées, dans la grotte Margot : le décor présente, entre autres, chevaux, rhinocéros laineux, oiseaux et des mains, en négatif et positif (Gravettien et Magdalénien).
Pour revenir au karst et à l’air libre, d’autres « gravures » peuvent s’observer sur le haut du plateau et les corniches sommitales : il s’agit de petits lapiaz, étroites cannelures et rigoles creusées dans les calcaires par les eaux météoriques et la neige. On en retrouve quelques traces sur les « chauvières », ces petits causses pierreux qui encadrent les gorges dans le secteur des caves à Margot et Rochefort. Par endroits, les affleurements sont ourlés de dépôts rougeâtres formés par les argiles de décalcification : autant de microtraces de la dissolution des calcaires, dont certaines ont été jusqu’à former, par recoupement et utilisation des fractures, ces ensembles souterrains exceptionnels… En effet, on note que les cavités correspondent à des zones faillées suivies, entre autres, par les méandres de l’Erve évoluant dans les calcaires plissés et fissurés du bassin de Laval.
Signalons enfin que, comme à La Meauffe, Montmartin-sur-Mer ou Montjean-sur-Loire… (voir plus loin), les affleurements carbonatés des Coëvrons, de Vimarcé à Saulges, se signalent également par la présence de nombreux anciens « fourneaux », la chaux étant utilisée pour amender les terres armoricaines acides (et aussi dans la fabrication de l’acier). Un bel exemple de four à chaux, récemment restauré, se situe à peine à 500 m au nord du bourg de Saulges (chemin des Molaines). Construit en 1838, son activité s’est arrêtée en 1921, annonçant la relève et la concurrence déloyale des engrais chimiques !
LES FOURS DU HAVRE DE LA SIENNE

Hyenville, Montchaton, Montmartin-sur-Mer, Regnéville-sur-Mer, Saussey, (Manche)
À voir à moins de 30 km : la Pointe d’Agon, les Landes de Lessay, Coutances, l’abbaye d’Hambye, la cluse de Gavray, la Pointe du Roc à Granville, le havre de la Vanlée, les dunes d’Annoville et de Lingreville
Repartons dans la Manche, aux environs de Coutances, à Montmartin-sur-Mer. Ce bourg a également ses cavités : trou de la Route, grotte Michèle…, ses carrières, ses fours à chaux et donc ses calcaires, ici d’âge carbonifère (environ 350-340 millions d’années). Il s’agit de roches gris-bleu, en bancs massifs coupés parfois de lits de silex, qui occupent le cœur d’un petit synclinal allant de Regnéville-sur-Mer à Saussey, en passant par Montmartin, Montchaton et Hyenville.
Au sein de ce périmètre, les lieux d’extraction ont fleuri. Une visite entre fours et carrières s’impose juste au nord de Montmartin-sur-Mer : des fourneaux monumentaux bordent la D 20 en direction de Coutances par le pont de la Roque (à 3 km, vue imprenable sur l’estuaire de la Sienne !) ; aux fours, il faut prendre à gauche, vers l’ouest, le site des carrières et le camping des Gravelets (lui-même installé dans une excavation). La carrière « d’escalade », ouverte au public, présente de beaux vestiges d’activité karstique, puits de dissolution recoupés par l’exploitation ancienne et enduits de calcite sur les parois…
Au printemps, dans cette enfilade de carrières que l’on peut parcourir à pied (de la D 20 à la route du Rey), on est séduit par la découverte d’orchidées sauvages, orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis), ophrys abeille (Ophrys apifera) et orchis bouc (Himantoglossum hircinum) cachées entre fourrés de troène et d’ajonc d’Europe…
À la sortie de Montmartin-sur-Mer, la jolie petite route du Rey (lieu-dit), ceinte par endroits de murs calcaires tapissés de sedums et de cétérachs (Ceterach officinarum, une petite fougère), part vers Regnéville et la mer : une bonne occasion de visiter, à 1,5 km, le musée du Littoral et de la chaux aménagé dans une carrière avec fours. Cet établissement rappelle le rôle du port de cabotage de Regnéville-sur-Mer dans l’exportation de la pierre à chaux vers les îles anglo-normandes et les côtes septentrionales de la Bretagne dépourvues de ressources en calcaire.
En bord du havre de la Sienne, 1 km plus loin, se dresse la silhouette « fantasmagorique » du château de Regnéville, avec son donjon « éventré » si caractéristique : la place forte construite au 14e siècle a en effet été démantelée en partie pendant la guerre de Cent Ans, puis au début du 17e siècle. Cette forteresse, destinée à protéger l’un des plus importants ports du Cotentin au Moyen Âge, évoque, quant à elle, les fastes du passé : la richesse du pays est alors construite sur l’activité florissante des foires de Montmartin-sur-Mer et d’Agon (négoce des étoffes et des vins) mais aussi sur l’utilisation de la tangue, pratique fort développée jadis et savamment organisée sur le plan économique. Cette vase (sablo-) calcaire est principalement extraite dans l’estuaire de la Sienne. Ici comme en Bretagne, elle sert pendant de longs siècles à amender les sols acides du bocage avec des ressources fournies par le proche littoral.
LES COMPLEXES CHAUFOURNIERS DE LA BASSE-LOIRE

Bouzillé, Liré, Montjean-sur-Loire (Maine-et-Loire)…
À voir à moins de 30 km : Saint-Florent-le-Viel et le Mont Glonne, l’escarpement de Champalud à Champtoceaux, l’éperon et la tour d’Oudon, Ancenis, la boire Torse, Chalonnes-sur-Loire, la Corniche angevine, l’île de Béhuard, Angers, les coteaux du Layon, le coteau de Pont Barré
Les fours à chaux ne manquent pas non plus en rive gauche de la Loire, entre Montjean-sur-Loire et Chalonnes, à deux pas de la Corniche angevine et des coteaux du Layon. Leur nombre important –plus d’une trentaine dans le secteur- est le reflet d’un ancien « tiercé gagnant » : chaux, charbon et voies navigables, qui a guidé l’orientation industrielle du pays pendant plus de deux siècles.
À la base de ce dispositif, on trouve des lentilles de calcaires dévoniens qui frangent le fleuve sur une vingtaine de kilomètres. L’alignement presque parfait des sites chaufourniers, grossièrement ouest-est, est calqué sur le dessin des affleurements géologiques, de Montjean-sur-Loire à Saint-Lambert-du-Lattay, en passant par Chalonnes-sur-Loire et Chaudefonds-sur-Layon.
Deux autres lignes « épousent » ou plutôt doublent cette longue enfilade d’établissements industriels. D’une part, le sillon houiller de la Basse-Loire : débuté une cinquantaine de kilomètres plus à l’ouest vers Nort-sur-Erdre en pays nantais, c’est un ensemble de petits bassins carbonifères disposés le long de l’importante faille dite du Layon (à Nort-sur-Erdre) qui s’achève à l’est vers Doué-la-Fontaine ; le charbon a été extrait, entre autres, à Montjean, Chalonnes, Chaudefonds, Saint-Lambert-du-Lattay… De l’autre, la Loire et le Layon qui permettent le transport des matériaux jusqu’à Nantes.
Aujourd’hui, cette trilogie désormais éteinte fait place à un duo conjugué dans le cadre du site Natura 2000 « Vallée de la Loire de Nantes aux Ponts-de-Cé » : celui des lentilles de calcaires et de pelouses calcicoles à la valeur patrimoniale incontestable ; pour revenir à un nombre de trois protagonistes, on peut y ajouter les nombreux vestiges de fours qui offrent un grand intérêt sur le plan de l’archéologie industrielle.
À Montjean-sur-Loire, la variante du GR3 offre sur 4 kilomètres une intéressante promenade en bord de Loire. On peut y accéder au sortir de Montjean (D 15 en direction de Champtocé-sur-Loire / Saint-Germain-des-Prés) en prenant à droite avant le pont qui traverse le fleuve. La première installation industrielle se situe à environ un kilomètre. Le site de la Tranchée regroupait un port, plusieurs fours, une carrière et une mine de charbon. L’imposant chevalement du puits de la Tranchée rappelle l’importance du dispositif mis en place au milieu du 19e siècle. En continuant sur l’ancien chemin de halage en bord des prairies inondables, on arrive, au niveau de l’île de la Guesse, au fourneau du Lion (18e siècle) puis aux importants complexes chaufourniers de Maison Blanche et Châteaupanne (propriétés privées avec une carrière encore en activité).
Les dépendances naturelles et les abords du site de Châteaupanne sont connus de longue date pour leurs intérêts patrimoniaux, notamment pour leurs pelouses où plus d’une dizaine d’espèces d’orchidées sauvages ont été inventoriées. Les botanistes ne négligeront pas non plus les prairies alluviales de la Loire, notamment pour leurs célèbres populations de fritillaires pintades (Fritillaria meleagris) et quelques espèces très rares comme la gratiole officinale (Gratiola officinalis) protégée au niveau national. Les universitaires n’oublieront pas qu’un des pères de la Flore armoricaine, le Professeur Robert CORILLION les a précédé ici dans de fécondes sorties de terrain !
Les amateurs pourront poursuivre leurs investigations quelques kilomètres vers l’ouest, jusqu’à Bouzillé où les attend l’intéressant petit site de Sainte-Catherine situé à 2 km au nord-ouest du bourg. C’est encore une lentille de calcaires paléozoïques, avec pelouses calcicoles, carrières, fourneaux et, en contrebas, la boire de Sainte-Catherine. Cet ancien bras mort de la Loire, longé par le GR 3, sépare Bouzillé du « petit Liré » chanté jadis par du BELLAY dans Les Regrets :
« Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine. »
LE LAYON ET LE COTEAU DE PONT BARRÉ

Beaulieu-sur-Layon, Chalonnes-sur-Loire, Chaudefonds-sur-Layon (Maine-et-Loire)
À voir à moins de 30 km : la Corniche angevine, Saint-Florent-le-Viel et le Mont Glonne, les coteaux de Bouzillé et de Liré, l’île de Béhuard, Angers, les villages troglodytiques de Doué-la-Fontaine, le Puy de la Garde, les Mauges
Pour notre part, nous pourrions continuer encore longtemps notre tirade moins poétique sur les fourneaux car ils sont encore nombreux à Chalonnes-sur-Loire et Chaudefonds-sur-Layon, communes qui méritent également d’être visitées pour leur patrimoine minier.
On ajoutera simplement, pour revenir au karst, que les lentilles de calcaires dévoniens ont également permis le développement de réseaux souterrains -cependant moins développés que dans les Coëvrons- dont certains ont livré des silex taillés et des ossements de mammouths, rhinocéros laineux, chevaux… : abri sous roche de Roc en Paille à Chalonnes, grotte Saint-Charles à Chaudefonds, grotte de Châteaupanne à Montjean-sur-Loire…
Pour clore ce volet sur les calcaires paléozoïques et annoncer l’influence sur les marges armoricaines des sédiments plus récents des grands bassins (chapitre suivant), ayons une pensée pour nos amis naturalistes un peu déçus d’avoir été « bridés » par le caractère privé d’une part des dépendances du site de Châteaupanne (Montjean-sur-Loire). Donnons leur rendez-vous au parking de Pont Barré, juste à un kilomètre à l’ouest de Beaulieu-sur-Layon, où une sortie pleine de surprises les attend : en effet, la réserve naturelle régionale de Pont Barré, gérée par la L.P.O., est, entre autres, un haut-lieu botanique du Maine-et-Loire.
Ce long coteau, surplombant le Layon d’une cinquantaine de mètre, bénéficie d’une excellente exposition qui renforce le caractère chaud et sec des milieux : ils accueillent une flore et une faune à affinités méridionales dont certaines sont ici en limite nord d’aire de répartition. Ainsi, parmi le grand nombre d’insectes, faut-il ajouter pour convaincre qu’on entend à Pont Barré nos premières cigales (Cicadetta brevipennis, Tettigetta argentata) ?
Le site est marqué par une étonnante diversité géologique : le sillon houiller est ici en contact avec des schistes et grès, des tufs volcaniques mais encore, bien entendu, des lentilles de calcaires paléozoïques ! Ajoutons que le socle protérozoïque métamorphisé est tout proche, comme d’ailleurs les premiers niveaux des assises sédimentaires mésozoïques (Crétacé) et l’on comprend mieux la variété de la flore, à la fois silicicole et calcicole, voire en mélange, disons « intermédiaire » : c’est ce que traduit la présence sur le site, mais aussi à proximité, Montiliers…, d’espèces comme l’orchis bouffon, le saxifrage granulé, le lin bisannuel, l’œillet velu (voir le chapitre suivant). Quoi qu’il en soit, si l’on veut voir des landes à bruyères voisiner avec des pelouses calcicoles, c’est bien à Beaulieu-sur-Layon qu’il faut aller ! Si l’on veut découvrir d’exceptionnelles tonsures à orpins d’Angers (Sedum andegavense) ou de rares pelouses silicicoles à orpins et gagée de Bohème (Gagea bohemica), si l’on souhaite admirer la tulipe sauvage (Tulipa sylvestris), la rose de France (Rosa gallica) et l’asphodèle d’Arrondeau (Asphodelus macrocarpus var. arrondeaui) également protégées au niveau national, c’est encore à Pont Barré et sa réserve botanique (don de Robert CORILLION) qu’il faut se rendre.
Ces coteaux développés sur la faille du Layon offrent d’autres intérêts, même pour ceux que la curiosité botanique dépasse… : GR 3d, sentier aménagé, rochers, bois, anciennes vignes, carrière, four à chaux (eh oui !) et vue panoramique (notamment avec table d’orientation). Les visiteurs en quête d’inédit pourront même se procurer des visio-guides (moyennant caution, prêt gratuit dans les lieux de diffusion) pour expérimenter un nouveau type de randonnée !