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Les Alpes Mancelles

Publié le 3 septembre 2024, par Charles-Erik Labadille

INTRODUCTION AUX ALPES MANCELLES

La Sarthe

Après la Suisse Normande, attaquons-nous aux Alpes Mancelles, sachant qu’il existe aussi de Petites Pyrénées Vendéennes ! Ces noms, quelque peu excessifs, présentent néanmoins l’intérêt de traduire l’affirmation locale du relief dans des contrées plutôt marquées par les plaines et les bas-plateaux…
Resituons-nous dans l’espace car nous arrivons ici à un véritable carrefour. Quelle direction prendre ? Celle de la Mayenne et de Saint-Pierre-des-Nids, à 4 km au nord-ouest de Saint-Céneri ? Celle de la Sarthe et des grès armoricain vers Saint-Léonard-des-Bois, 6 km plus au sud ? Ou enfin celle de l’Orne et de Saint-Céneri-le-Gérei ? Le lecteur un peu « déboussolé » peut néanmoins « s’accrocher » à des points de repères car il n’est pas en terre totalement inconnue : 15 kilomètres au nord-ouest, il retrouve le Mont des Avaloirs, le massif de Multonne et la région des Pays-de-la-Loire ; une quinzaine de kilomètres plein nord, ce sont Écouves, la Butte Chaumont, Saint-Denis-sur-Sarthon et la région de Basse-Normandie ; 15 kilomètres au nord-est, se tient Alençon, capitale de la dentelle et préfecture de l’Orne.

La tête tourne encore un peu, et le cauchemar continue car une nouvelle division d’importance, géologique cette fois, nous attend : en effet, les Alpes mancelles se situent sur la terminaison orientale du Massif Armoricain qui, par endroits, s’ennoie déjà sous les terrains secondaires (jurassiques et crétacés) du Bassin Parisien. Comme nous l’avons vu, ce type de position « charnière » affecte également la Suisse Normande. Nous verrons ultérieurement que ce contact géomorphologique n’est pas sans incidence sur la nature particulière de la flore.
Signalons enfin que les Alpes Mancelles, plutôt linéaires car profondément liées à l’encaissement de la vallée de la Sarthe, ont aussi deux visages, l’un granitique, l’autre gréseux.

La chapelle de St-Céneri

Précisons les choses… Situées à une quinzaine de kilomètres au sud-ouest d’Alençon (Orne) et à une cinquantaine au nord du Mans (Sarthe), les Alpes Mancelles forment une petite région mixte, composée de terrains paléozoïques (restes de synclinaux vers Saint-Léonard-des-Bois) et d’affleurements plus anciens (granites comme à Saint-Céneri-le-Gérei). Ici, les paysages sont donc bien différents au sud (Saint-Léonard) et au nord (Saint-Céneri et Saint-Pierre-des-Nids).
Entité touristique de premier ordre, les Alpes Mancelles sont également une zone de limite et de contact, inscrite à la charnière de deux régions et trois départements, la Mayenne, la Sarthe et l’Orne. Cependant, comme pour la Suisse Normande, les décors des Alpes Mancelles se diluent progressivement dans ceux d’un bocage moins spectaculaire dès qu’on s’éloigne du cours de la Sarthe : même développement « linéaire » dans les domaines normand et ligérien. Vraiment linéaire ? Non, car dans ce nouveau pays « montagnard », la Sarthe décrit également de somptueux méandres encaissés. Alors, quelle pourrait en être l’explication ? Peut-être cette proximité du Bassin Parisien tout juste évoquée…
À Saint-Léonard-des-Bois, des mers venues de l’est aux ères secondaire et tertiaire ont envahi les terrains anciens pour y laisser (en discordance) des dépôts partiellement conservés par l’érosion ; il s’agit notamment de sédiments crétacés (Cénomanien) que l’on trouve encore jusqu’au sud-ouest de Saint-Léonard-des-Bois (par exemple, sur la butte de La Moulière / La Lortière). Les curieux tracés de la Sarthe pourraient s’expliquer par la présence de cette ancienne couverture. Le cours d’eau aurait d’abord creusé son lit dans un plateau composé de couches horizontales de sables cénomaniens et, au contact des plis hercyniens sous-jacents, n’aurait pas eu d’autre choix que de continuer à s’enfoncer au même endroit, quelle que soit la nature de la roche rencontrée : c’est cette « surimposition » qui permet de comprendre comment la barre de grès armoricain qui compose les flancs nord (Le Moulin Neuf et le Grand Pâtis) et sud (le Haut Fourché et Narbonne) du synclinal a pu être traversée à la perpendiculaire.

LE BELVÉDÈRE DES TOYÈRES

Saint-Pierre-des-Nids (Mayenne)
À voir à moins de 30 km : la Corniche de Pail, le Mont des Avaloirs, les Gorges de Villiers, la cluse du Sarthon et la Butte Chaumont, Céneri-le-Gérei, la forêt d’Écouves, Alençon, le belvédère de Perseigne, la forêt de Sillé-le-Guillaume, le karst des Coëvrons
Revenons à nos granodiorites cadomiennes (environ 615 millions d’années), ici sous forme du petit massif de Saint-Pierre-des-Nids d’une dizaine de kilomètres de côté que se partagent également Saint-Denis-sur-Sarthon et Saint-Céneri-le-Gérei. Si ces granites confèrent une certaine unité au pays, la rivière est un autre trait d’union majeur au sein des paysages traversés : ce sont bien ici les grands méandres encaissés de la Sarthe et, vers le nord, le prolongement plus linéaire de son affluent le Sarthon, qui constituent l’attraction et concentrent les fréquentations touristiques. Passons en revue les points forts d’Alpes Mancelles plutôt modestes en altitudes (175-200 mètres) mais qui, rappelons-le, s’inscrivent profondément en creux dans les plateaux.
De Saint-Pierre-des-Nids en direction de Saint-Céneri-le-Gérei, deux sites voisins sont accessibles, d’abord par la D 144, puis à 2 km du bourg, par une route à droite située avant le hameau de la Touche (au calvaire, suivre le fléchage). Il s’agit du belvédère des Toyères (aménagé, stationnement) d’où s’ouvre un remarquable panorama sur la vallée encaissée dans les granites. Tout proche, le site de Montaigu, ancien siège d’une motte féodale datant du 11e siècle, mérite la visite pour ses bords de Sarthe, ses vallons, ses prairies très pentues et son grand calme. Une petite route, à parcourir plutôt à pied, en fait le tour en 2 kilomètres.
Juste à l’entrée de Saint-Céneri, par la même D 144, un sentier balisé à droite de la route conduit au moulin de Trotté (stationnement sur la D 144 avant le pont du Sarthon). 500 mètres à pied suffisent pour atteindre l’ancienne minoterie dont le bief et la roue ont été restaurés. Le sentier longe la rive droite et continue jusque sous les Toyères situées à 2 km de distance.

LES MÉANDRES DE SAINT-CENERI

Saint-Céneri-le-Gérei (Orne)

À voir à moins de 30 km : la Corniche de Pail, le Mont des Avaloirs, les Gorges de Villiers, la cluse du Sarthon et la Butte Chaumont, la Forêt d’Écouves, Alençon, le belvédère de Perseigne, la forêt de Sillé-le-Guillaume, le karst des Coëvrons

Lorsque l’on vient de l’est ou du nord, des grands plateaux calcaires, de la « Campagne » (ou « Plaine ») d’Alençon, l’arrivée sur Saint-Céneri-le-Gérei, toute en contraste, ne peut être qu’un émerveillement. Le granite perce de toutes parts, le relief se « torture » dans un étroit méandre de la Sarthe (à peine 200 mètres de large !) qui porte un de nos « plus beaux villages de France ». Les Alençonnais ne s’y sont pas trompés et c’est, de longue date, leur lieu de villégiature ou de promenade dominicale favoris.

L’ancien pont de pierre, très étroit et armé de contreforts, suscite l’étonnement. Construite sur le piton rocheux, l’église romane du 11e siècle force l’admiration, notamment par ses fresques remarquables, récemment restaurées, dont certaines pourraient dater du 14e siècle. À l’arrière du bâtiment, s’ouvre un beau panorama vers l’est, le vieux pont et les grands escarpements qui dominent la Sarthe. Toujours par la venelle pavée et encadrée de belles maisons en granite, une « descente » à pied jusqu’à la chapelle du 15e siècle peut conclure, lors d’une chaude après-midi d’été, une visite bien remplie.

C’est certainement ce que fit Bernard BUFFET qui laissa sur la toile le petit monument trônant dans sa boucle de verdure. Eugène BOUDIN, Camille COROT, Paul SAÏN, entre autres, sont aussi passés par là… Car le lieu est, de longue date, un rendez-vous de peintres et d’aquarellistes. Les plus anciens d’entre eux ont décoré les murs des auberges de dessins et de silhouettes qui leur ont peut-être payé repas ou nuitée : celle des sœurs MOISY, restaurée sous l’égide du Parc naturel régional Normandie-Maine, se visite. Des résidences d’artistes sont organisées et le village propose chaque année, durant le week-end de la Pentecôte, une « Rencontre des peintres » où bon nombre d’habitants mettent gracieusement leurs locaux à disposition des créateurs et, pourrait-on dire, du public venu nombreux…

Les alentours de la commune méritent également le détour. Le GR 36 notamment suit la vallée par sa rive gauche et atteint, vers le sud, les pierriers du Grand Pâtis (grès armoricain) et le site du Gasseau (animations, jardin potager, expositions…) à quelques 5 kilomètres (Saint-Léonard-des-Bois). À la sortie de Saint-Céneri en direction de Moulins-le-Carbonnel (D56), on peut rejoindre ce chemin de grande randonnée (balisage rouge et blanc) sur la droite après avoir franchi le pont.

Pour les automobilistes invétérés, une alternative s’offre au nord-est du village. Il faut emprunter la D 101 (en direction d’Alençon) et tourner aussitôt à droite, une cinquantaine de mètres après la fourche avec la D 350 (direction Saint-Denis-sur-Sarthon). Cette impasse goudronnée conduit en 300 m à un vaste stationnement où l’on laisse le véhicule pour poursuivre à pied sur moins d’un kilomètre. Le petit sentier devient rapidement pittoresque, bientôt « coincé » entre l’escarpement granitique et la Sarthe. Il mène à la Pierre Bécue, un curieux monolithe imposant en forme de grosse canine. A cet endroit, la rivière court entre les blocs qui parsèment son lit peu profond ; il peut, en été, se traverser avec de l’eau à mi-cuisse.

LE HAUT FOURCHÉ ET LA VALLÉE DE MISÈRE

Saint-Léonard-des-Bois (Sarthe)

À voir à moins de 30 km : la Corniche de Pail, le Mont des Avaloirs, les Gorges de Villiers, le belvédère des Toyères, Saint-Céneri-le-Gérei, la Butte-Chaumont et la cluse du Sarthon, la forêt d’Écouves, Alençon, le belvédère de Perseigne, Fresnay-sur-Sarthe, la Forêt de Sillé-le-Guillaume, le karst des Coëvrons, le Mont Rochard, la Butte de Montaigu

Saint-Léonard-des-Bois bénéficie d’une forte fréquentation touristique principalement due à son cadre pittoresque. Le village est niché au fond de la cluse méridionale, encadré à l’est / nord-est par l’escarpement du Haut-Fourché, à l’ouest / sud-ouest par celui de Narbonne. Si l’altitude n’est pas très forte (200-220 mètres), les dénivelées dépassent les 100 mètres au Haut-Fourché. Cet environnement propice à la pratique des sports de pleine nature (canoë-kayak, varappe, delta-plane, VTT, randonnée…) a largement contribué à forger la solide réputation de la station verte. La Communauté de Communes a récemment complété le catalogue des activités de plein-air par une offre de services culturels (expositions…) et régionaux rassemblés sur le site du Gasseau où l’on ne manquera pas la visite d’un remarquable jardin à « l’ancienne ».

Le GR 36 qui traverse les Alpes Mancelles et rejoint Saint-Céneri-le-Gérei vers l’amont, permet de découvrir l’essentiel des curiosités naturelles d’un secteur bocager souligné, en bord de Sarthe, par les prairies de pente, les landes, les éboulis et les barres rocheuses : cluse septentrionale du Moulin Neuf, avec les pierriers du Grand Pâtis et les vallonnements du Gasseau ; Roches du Sphynx, méandre de la Sarthe, escarpements et éboulis du Haut Fourché dont un autre sentier permet de suivre la crête ; ruelles de Saint-Léonard-des-Bois, sommets de Narbonne (belvédères et parc animalier) et Vallée de Misère.

Taillé dans les grès armoricains par un petit affluent de la Sarthe, le ruisseau du Viel Étang, ce ravin isolé, minéral sur plus de 500 mètres, semble totalement déplacé dans ces terres de l’Ouest. Il est rare de voir d’aussi beaux ensembles de grands pierriers, aux couleurs allant du blanc étincelant de la roche nue aux gris vert et brun noirâtre des tapis de mousses et de lichens… Néanmoins, cette Vallée de Misère, de « caillasses » diront certains, rappelle également que l’existence était rude aux siècles derniers, dans ces « montagnes » de malheur !