Aller au contenu

Le toit de l'Armorique

Publié le 16 août 2024, par Charles-Erik Labadille

Un toit pour l'Armorique

Ça y est ! Nous franchissons les frontières régionales, nous quittons la Normandie pour entrer en Pays-de-la-Loire et poursuivre notre découverte du Massif armoricain oriental. Rappelons que la partie occidentale est présentée dans le livre « Roc’h de Bretagne », du même auteur et édité aux éditions Coop Breizh en 2017. Mais attention… Nos nouvelles pérégrinations vont être éreintantes car nous vous entraînons vers des sommets et il va nous falloir grimper pour atteindre le « toit du Massif armoricain ». Puis, après avoir bivouaqué sur le contrefort de cette puissante limite, au nord des départements de la Mayenne et de la Sarthe, notamment dans les Coëvrons et les Alpes mancelles, nous traverserons sans guère de haltes le centre plus monotone des Pays-de-la-Loire établi dans des roches métamorphiques fortement aplanies par l’érosion. Avec le retour du granite, en Vendée et à l’approche de la région Poitou-Charentes où nous tenterons quelques solides incursions, nous conclurons nos visites vers le Seuil du Poitou qui ouvre les portes à d’autres randonnées, mais cette fois dans le Massif central.

UN LANCIER ET TROIS CHÂTEAUX

Lassay-les-Châteaux, Melleray-la-Vallée (Mayenne)

À voir à moins de 30 km : la Fosse Arthour, la cluse de Domfront, la cluse de Bagnoles-de-l’Orne, les Gorges de Villiers, la Corniche de Pail, le Mont des Avaloirs, les Coëvrons, la Butte de Montaigu

Lassay-les-Châteaux marie avec bonheur les décors d’une petite cité de caractère et une ruralité revendiquée. Car Lassay aime la « mixité », la combinaison de la ville et de la campagne, l’association de l’ancien et des idées nouvelles, le mélange des genres et des influences. Quoi de plus normal pour une terre frontalière ! Pour cette commune, porte méridionale du Parc naturel régional Normandie-Maine dont le nom-même traduit ce contact de « marches » historiques ! Sur le plan géologique, elle partage avec le Passais, situé dans l’Orne à une vingtaine de kilomètres (Domfront, Passais…), le même massif de granodiorite, celui de Passais – Le Horps.

On ne peut donc que conseiller aux amateurs de vieux granites de flâner, à pied bien entendu, dans les rues et les ruelles de la cité qui mêlent maisons de caractère et logis anciens. Mais dans cette promenade, c’est bientôt le vert qui prend le dessus, avec le jardin médiéval, les fleurissements des allées, des ruisseaux et des lavoirs… ou alors le rose, avec les innombrables variétés rassemblées dans la roseraie !

On en oublierait presque le château pourtant monumental et particulièrement bien conservé (15e siècle) qui trône en pleine ville bordé de grands étangs où se reflètent les imposantes tours ! Alors, pourquoi donc Lassay-les-Châteaux ? Eh bien parce que deux autres se partageaient aussi le territoire jadis. Découvrons-les grâce au sentier pédestre de 4 km qui part dans le bocage (circuit des 3 châteaux, direction de Niort-la-Fontaine). De Bois Frou, il ne reste que des ruines. Mais le château de Bois Thibault (15e siècle), avec sa haute stature, son porche monumental et ses tours à canonnières et arbalétrières semblables à celles de Lassay, a un véritable charme, presque romantique…

De là à y accueillir Lancelot, il n’y a qu’un pas que la commune, aujourd’hui propriétaire des lieux, et les associations locales ont franchi avec enthousiasme (animations…). Car comme nous l’avons vu, le pays, comme le domfrontais, est littéralement hanté par la mémoire d’un ermite qui vint s’y établir au 6e siècle. Il s’agit de Fraimbault de Lassay dont le nom (Frambaldus de Laceio = le lancier du lac) et plusieurs épisodes de la vie rappellent curieusement ceux du héros de Chrétien de TROYES… Notre futur saint (ou chevalier ?) est bien une célébrité locale : après s’être installé à Saint-Fraimbault-de-Prières (au nord de Mayenne), il fonde un monastère à Lassay, au village tout proche de Saint-Fraimbault-de-Lassay. C’est au cours d’une de ses évangélisations qu’il meurt non loin, à Saint-Fraimbault dans l’Orne. Ses reliques ont été longtemps conservées au monastère et le porche de l’église de Saint-Fraimbault-de-Lassay intrigue encore bien des spécialistes : une des très anciennes pierres tombales qui y sont encastrées révèle, en sculpture en creux, les formes du graal et d’un trèfle, symbole alchimique des ondins attribué à Lancelot. Ou ne faut-il y voir qu’un calice et une croix qui renverraient alors simplement au saint (Fraimbault) ?

Si Lancelot du lac a aujourd’hui son circuit, aux marches de Normandie et du Maine, les visiteurs peuvent quitter Lassay-les-Châteaux par un itinéraire tout aussi passionnant : celui des peintres Camille PISSARO et Ludovic PIETTE. Ce dernier qui résidait à Melleray-la-Vallée (à 5 km au nord-ouest de Lassay à vol d’oiseau) y invita régulièrement son ami PISSARO. Sur ce sentier de 8 km, des reproductions des œuvres des deux peintres permettent, au-delà de l’intérêt purement pictural, de comparer les paysages observés par les deux artistes et ce qu’ils sont devenus de nos jours. Ce circuit, à n’en pas douter, annonce une de nos futures haltes, dans les Alpes Mancelles avec « l’école » de Saint-Céneri-le-Gérei

LE MONT DES AVALOIRS ET LA CORNICHE DE PAIL

Pré-en-Pail, Villepail, Crennes-sur-Fraubée (Mayenne)

À voir à moins de 30 km : Lassay-les-Châteaux, la cluse de Bagnoles-de-l’Orne, les gorges de Villiers, les Roches d’Orgères, la Butte-Chaumont, le Signal d’Écouves, Alençon, Saint-Céneri-le-Gérei, le belvédère des Toyères, Saint-Léonard-des-Bois

Le Mont des Avaloirs

En tête de peloton, le massif de Multonne détient le record d’altitude du Grand Ouest avec ses 416 mètres au Mont des Avaloirs, situé à proximité de Pré-en-Pail en Mayenne. Pourtant, la lutte a longtemps été âpre avec le Signal d’Écouves, jadis ex aequo à 417 mètres ! Mais les récentes évaluations de l’Institut Géographique National (IGN) ont donné l’avantage au sommet ligérien avec 416 mètres, contre 413 mètres pour le relief normand… qui n’a plus qu’à se contenter de la seconde place. Bien que séparés par la frontière régionale, les deux belvédères ont bien d’autres points communs –climat rude, végétation arborée…- et ne sont d’ailleurs éloignés que d’une vingtaine de kilomètres à vol d’oiseau.

Tout comme Perseigne, leur couverture forestière leur vaut également de jouer un rôle insolite de belvédères naturels… sans point de vue possible : en effet, les grands arbres, chênes et hêtres principalement, masquent les paysages et, pour découvrir ces derniers, il a fallu construire des tours d’observation qui dépassent la canopée de Multonne et de Perseigne ! Arrivé au sommet de la plateforme des Avaloirs (montée gratuite), l’observateur découvre à 360° le bocage touffu du Parc Naturel Régional Normandie-Maine qu’une longue table d’orientation circulaire permet d’interpréter.

Le massif de Multonne, en plus des habitats forestiers, recèle des landes et des tourbières notamment dans le secteur du Mont Souprat (385 m), un autre sommet du Massif Armoricain qu’on peut observer du haut du belvédère, à proximité en regardant vers le nord-ouest. Les hauteurs venteuses des Avaloirs et du Souprat, leurs frustes végétations, leurs quelques pierres dressées et leurs rochers insolites comme la « Pierre au Loup » (aujourd’hui mangée par les arbres tortueux qui masquent la vue…), ne pouvaient qu’engendrer des légendes plutôt romantiques, faites de formes vaporeuses et intemporelles parcourant, à la nuit tombée ou les jours de brouillards et de crachins, les landes à bruyères… Certaines, comme celle de la dame des Avaloirs, s’enracinent dans l’histoire et nous rappellent que ces terres de l’ouest ont été également le théâtre d’affrontements passionnés et sanglants entre les « Blancs et les Bleus », au temps de la Révolution.

Le récit, très réaliste à son commencement, débute en décembre 1793, précisément lorsqu’un solide paysan et sa fille découvrent, sur le bord de la route qui mène au mont des Avaloirs, un Chouan blessé. Le cultivateur a d’abord l’idée de l’estourbir, comme le ferait tout bon républicain qui se respecte. Néanmoins, il finit par accéder aux supplications de sa progéniture déjà troublée par le charme du jeune homme. Il laisse donc la vie sauve à ce « Blanc », en fait un Vendéen (sans doute un des participants à la Virée de Galerne), qu’il accueille même à la ferme quelques mois, le temps qu’il se refasse une santé et, par la même occasion, prête main forte aux travaux de la ferme… Bien entendu, le secret de l’identité du « Ventre à choux » est bien gardé, sauf auprès d’un vague cousin qui s’affaire lui aussi sur l’exploitation. La suite est plutôt facile à deviner : l’amour des tourtereaux va grandissant et le cousin, également épris de la belle et dépité, profite de la mort du père pour tuer son rival de « chouin », un beau jour d’orage vers le mont Souprat. La jeune fille en tombe malade, peut-être à force de monter par tous les temps aux Avaloirs pour y chercher son amant, toujours en vain, jusqu’au jour où elle n’en revient pas. Depuis, certains disent au village qu’on peut entendre la triste demoiselle gémir sur les hauteurs, par les jours de pluie et de grand vent ; d’autres, plus optimistes, voient parfois un couple s’enlacer sur la lande et disparaître en un éclair !

 Faute de rencontrer la dame des Avaloirs, les amateurs de patrimoine naturel et culturel peuvent faire un détour par Carrouges (Orne), une quinzaine de kilomètres plus au nord : là, à la Maison du Parc installée dans les dépendances du château, un vaste espace d’accueil en entrée libre présente une exposition consacrée à l’ensemble du territoire du Parc Naturel Régional, à sa nature, à son histoire mais aussi à ses légendes…

La corniche de Pail

Vers le sud-ouest, le synclinal de Pail se prolonge sur plus d’une dizaine de kilomètres par une haute barre de grès armoricain dont l’altitude moyenne varie de 350 mètres à 380 mètres. C’est la Corniche de Pail suivie par la départementale 20 qui relie Pré-en-Pail au nord-est à Crennes-sur-Fraubée au sud-ouest. Cette remarquable ligne de hauteurs, couverte par les bois, les landes et les tourbières (espace naturel protégé) ménage quelques rares mais beaux points de vue vers le nord-ouest, sur Javron-les-Chapelles et la dépression établie dans les terrains précambriens. Le relief commence à s’estomper au niveau de Villepail pour se conclure brusquement, 5 kilomètres plus à l’ouest, par la petite cluse du bois de Villeray, vers 180 mètres. Ainsi, d’ici au point culminant de l’Ouest, à une quinzaine de kilomètres, l’altitude va quasiment toujours croissant (sauf vers le bois de Saint-Julien). Mieux encore, les cyclistes pourront apprécier, sur les six kilomètres qui séparent Pré-en-Pail du Souprat et du Mont des Avaloirs, la dénivelée de 200 mètres (pente moyenne de 3,3 %) !

ALENÇON ET LE BELVÉDÈRE DE PERSEIGNE

Jour de marché à Alençon

Alençon (Orne), Aillières-Beauvoir, Villaines-la-Carelle… (Sarthe)

À voir à moins de 30 km : la Corniche de Pail  le Mont des Avaloirs, la cluse du Sarthon et la Butte Chaumont, les Roches d’Orgères, la Forêt d’Écouves, la cluse de Goult, Saint-Céneri-le-Gérei, le belvédère des Toyères, Saint-Léonard-des-Bois

Pour commencer, rappelons que des Avaloirs (Mayenne) à Perseigne (Sarthe), en passant par Alençon et Saint-Céneri-le-Gérei (Orne), tout se passe dans « un mouchoir de poche » car les régions Normandie et Pays-de-la-Loire flirtent sans cesse, d’où le nom donné au Parc Régional Naturel installé sur ce territoire : Normandie-Maine. Ajoutons que la cité ducale d’Alençon, construite tout au sud du département est, de ce fait, assez curieusement « tournée » vers la Sarthe. Elle mérite un arrêt, même si les « Campagnes » agricoles qui l’encadrent ont un intérêt paysager plutôt restreint. Nous sommes toujours sur granite, en tout cas à l’ouest de l’agglomération (vers Saint-Germain-du-Corbéis…) car vers le centre, il disparaît sous la couverture jurassique, même s’il n’est jamais très loin en profondeur. C’est un granitoïde d’âge hercynien (330-340 millions d’années) et les collectionneurs de belles pierres y ont cherché le « diamant d’Alençon », un quartz enfumé qui le parcourt localement par veines.

Aujourd’hui, l’intérêt d’Alençon réside plutôt dans un centre-ville aéré (place de la Halle au Blé…), doté de rues piétonnes et d’espaces verts agréablement agencés (parc des Promenades et sa Roseraie…) et, bien sûr, de bâtiments anciens qui conservent à la cité un parfum rappelant la puissance d’autrefois, château des ducs avec ses deux tours imposantes… Le cœur de la ville offre un cadre pittoresque avec la basilique Notre-Dame et la remarquable maison d’Ozé construite vers 1450, maison forte en granite dont le jardin et verger conservatoire, très intéressants et en entrée libre, sont ceints de murailles rappelant les anciennes fortifications de la ville. Les amateurs de patrimoine végétal iront également faire un tour au jardin expérimental de la rue Balzac (proche du château).

Bien entendu, les amoureux du savoir-faire n’oublieront pas que la Dentelle au Point d’Alençon est inscrite au patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO ! Un atelier national a ici pour vocation de maintenir cette technique traditionnelle et chaque année, en été, des dentellières en font démonstration au musée des Beaux-Arts et de la Dentelle.

Quant à la Forêt de Perseigne, visible également des Avaloirs, c’est un cas à part. Située à l’est d’Alençon, aux confins orientaux du Massif Armoricain, c’est un îlot gréseux crevant les terrains sédimentaires et plutôt plats du Bassin Parisien. Avec 349 mètres d’altitude au belvédère, Perseigne est aussi le point culminant du département de la Sarthe. De la tour d’observation, haute de trente mètres, le regard s’étend alentour sur les immenses parcelles qui, à perte de vue, composent « l’openfield », les vastes « campagnes » ouvertes où la grande culture domine. Par beau temps, l’on peut même apercevoir le dôme de la cathédrale du Mans, située à 45 kilomètres de distance.