Le Synclinal bocain et ses marges
Publié le 5 juin 2024, par Charles-Erik LabadilleIntroduction
Après ce bain dans les eaux de la Manche, plongeons véritablement « pleine terre » dans un bocage intérieur qui a tout pour se « plier » à nos quatre volontés touristiques. Le Synclinal bocain est un vaste ensemble paysager qui traverse la Normandie sur près de 120 kilomètres d’ouest en est, des portes orientales de Granville aux environs de Tournai-sur-Dives dans le département de l’Orne. En revanche, cette longue virgule tournée vers le nord en son centre, atteint à peine dans sa partie la plus large les 10 kilomètres de développement du nord au sud ! Cette étroitesse nous offre donc l’occasion d’aller vagabonder sur ses marges, d’autant que la connaissance de ces dernières permet de comprendre la présence de ce long ruban. Bien entendu, l’explication est d’ordre géologique et nous amène à reparler des vieilles chaînes montagneuses qui ont occupé la Normandie au fil des temps très anciens. Nous verrons que le Synclinal bocain est bordé au nord par des terrains protérozoïques (ère précambrienne, voir au nord du Synclinal bocain « Briovera » et Saint-Lô) qui sont les vestiges fortement arasés de la Chaîne cadomienne. Au sud du synclinal, l’érosion a été telle,qu’elle a mis jour des granites cadomiens profonds datés d’environ 580 à 540 millions d’années (voir de Saint-Michel-de-Montjoie à Vire, au sud du Synclinal bocain).
Sur ces terres profondément décapées, les mers ont ensuite déposé au paléozoïque (ère primaire) des quantités phénoménales de sédiments plissés lors de l’érection de la Chaîne hercynienne. Mais l’érosion a priori très tenace n’a laissé que le « fond » des plis en creux (les synclinaux). De nos jours, ils sont comme « posés » sur la surface d’aplanissement cadomienne et, les anticlinaux (plis en relief) ayant disparus, cette dernière apparaît à leur place. En revanche, les synclinaux étant armé à leur base de roches très résistantes (poudingues, grès), ils peuvent être mis en relief et, par endroits, former même de véritables lignes de hauteur affichant des dénivelés de l’ordre de 100 mètres de hauteur !
La Normandie est donc « rayée » de vestiges de synclinaux orientés ouest-est et qui s’alignent du nord au sud : synclinal de Ranville (enterré sous les terrains calcaires) près de Caen ; synclinal de May-sur-Orne ; synclinal d’Urville-Gouvix-Bretteville-sur-Laize ; synclinal de Moulines-La-Brèche-Au-Diable ; synclinal bocain ; synclinal de Domfront. Avec ce dernier qui s’étend de Mortain-Bocage à la forêt d’Écouves, seul le Synclinal bocain connaît un développement spatial conséquent.
Pour les voyageurs qui souhaitent mieux s’y retrouver, précisons que d’ouest en est, le Synclinal bocain prend en écharpe les communes de : Gavray, La-Haye-Pesnel, Hambye, Villedieu-Les-Poêles, Pont-Farcy, Malloué, Jurques, Souleuvre-en-Bocage, Pontécoulant. À partir de Caumont-sur-Orne et Clécy, le synclinal « recoupe » le territoire de la Suisse-Normande, puis « flirte » jusqu’à Falaise, Guêprei, Bière et les Vaudobins avec les assises calcaires du Jurassique (mésozoïque ou ère secondaire). Que les pêcheurs et les kayakistes sachent que les rivières l’Airou, la Sienne et la Bérence l’arrosent à l’ouest ; la Vire et la Souleuvre au centre ; et la Druance et l’Orne à l’est. Que les grimpeurs se disent que le Synclinal bocain a pour principal sommet le Mont Pinçon (au sud des Monts d’Aunay, ex Aunay-sur-Odon), point culminant du département du Calvados avec 362 mètres.
BRIOVERA, LE PONT SUR LA VIRE
Saint-Lô (Manche)
À voir à moins de 30 km : les marais du Cotentin, la baie des Veys, les plages du Débarquement, les Gorges de la Vire et les Roches de Ham, l’abbaye d’Hambye, la cluse de Gavray
Commençons par le commencement et par les roches feuilletées qui forment l’essentiel (avec les granites) de la vieille assise de la (Basse-) Normandie : des schistes très anciens donc particulièrement vénérables… Certes, ils sont mêlés, par endroits, à des passées gréseuses, voire à des bandes de poudingues… Les géologues, dans leur vocabulaire spécialisé, appellent certaines de ces successions de bancs de grès et de schistes (contemporaines d’une orogenèse) un « flysch ». Les formations briovériennes, schistes, flysch, phyllades…, datent du Protérozoïque (avant l’Ère primaire ou Paléozoïque) et coïncident avec la formation de la Chaîne Cadomienne. Les roches datées d’environ 650 à 540 millions d’années qui composent ce vieux socle précambrien se répartissent en un Briovérien inférieur (formations volcaniques, schistes, grès, calcaires…) et un Briovérien supérieur (essentiellement une épaisse série détritique, le flysch), traduction du démantèlement des reliefs par l’érosion. Nous avons vu que ces terrains briovériens sont recouverts par des formations paléozoïques (cambriennes) « discordantes » (comme le Synclinal bocain) dont l’inclinaison différente des couches indique qu’elles appartiennent à un autre cycle orogénique, celui de la Chaîne Hercynienne.
C’est le géologue Charles BARROIS qui a choisi, en 1899, Saint-Lô comme localité-type du Briovérien qui porte désormais le nom celtique de cette ville (Briovera = le pont sur la Vire). Une jolie promenade en centre ville permet de découvrir le briovérien inférieur de l’éperon rocheux qui porte les remparts (tour Beaux-Regards…).
À l’échelle du Massif Armoricain et sur un plan spatial, les terrains briovériens couvrent de vastes surfaces qu’on peut répartir en grands ensembles.
Au nord (Lannion, Tréguier, Lamballe, Coutances, Saint-Lô…) et au cœur du dispositif, les terrains les plus anciens (Briovérien inférieur) forment, en Normandie, les vestiges d’un imposant relief nommé Cordillère constantienne (cycle cadomien).
Plus au sud (Flers, Vire, Saint-Hilaire-du-Harcouët, Fougères…), le Briovérien supérieur correspond à un vaste bassin, la Mancellia caractérisée par les dépôts du flysch « percés » de nombreux massifs granitiques (cycle cadomien).
Encore plus au sud, dans le domaine centre-armoricain, d’importants affleurements (Rennes, Château-Gontier…) peuvent être protérozoïques mais aussi pour partie paléozoïques, car la différenciation est plus délicate : le cycle hercynien a « brouillé » la lisibilité des cartes en remobilisant de façon plus directe les vestiges cadomiens. Bien entendu, le métamorphisme n’est pas étranger à la confusion, comme le rappellent, en zone sud-armoricaine, les schistes et micaschistes briovériens des Mauges.
Enfin, à l’extrême sud du Massif Armoricain, aux environs de Parthenay, le Briovérien disparaît sous les terrains sédimentaires secondaires…
OH MONTJOIE !
Saint-Michel-de-Montjoie (Manche)
À voir à moins de 30 km : Villedieu-les-Poêles, la Forêt de Saint-Sever, les Gorges de la Vire et les Roches de Ham, les Gorges et le viaduc de la Souleuvre, Vire, Chaulieu, les cascades de Mortain, la baie du Mont Saint-Michel
Avant d’attaquer le Synclinal par la face nord, permettons-nous une incursion au sein des terrains qui bordent son flanc méridional, flysch briovérien encore mais surtout granite cadomien avec l’imposant massif de Vire-Carolles. Pour commencer, notre première destination :Saint-Michel-de-Montjoie, dernier site où la granodiorite est encore exploitée pour le façonnage de pavés et de bordures de trottoir. Outre la carrière en activité, le Parc-musée du granite, installé dans le bourg, retrace la longue histoire de l’extraction et de la taille du « Bleu de Vire ».
Si la pierre est donc à l’origine d’une certaine réputation des lieux, la renommée du village, mais aussi son nom et celui de ses habitants (les Montoises et les Montois), viennent plutôt de l’altitude locale et d’une situation géographique particulière. Les 358 mètres atteints dans la commune autorisent de beaux coups d’œil vers l’ouest et sur la dernière quarantaine de kilomètres qui séparent l’éminence d’une destination particulièrement attendue : une table d’orientation est installée près de l’église et, à 200 m au nord du bourg, un large point de vue s’ouvre au niveau du château d’eau, sur la petite route qui mène aux Bourdonnières. Car Saint-Michel-de-Montjoie compte parmi les dernières étapes d’un itinéraire repris aujourd’hui par le célèbre GR 22 qui relie le parvis de Notre-Dame de Paris à l’abbaye du Mont-Saint-Michel. Montjoie ! C’est par ce cri de soulagement que les pèlerins, éreintés par des semaines de marche, exprimaient jadis leur allégresse à la vue de la Merveille.
Ainsi, sur les chemins montais, quelques éminences, quelques « montjoies » donc, permettent d’apercevoir par temps clair les formes de la « montagne sacrée » : les plus connus, outre Saint-Michel-de-Montjoie, sont Montjoie-Saint-Martin et la « Petite chapelle » de Mortain d’où le marcheur infatigable peut distinguer, pour la première fois, la silhouette tant convoitée. Depuis quelques années, l’association des chemins de Saint-Michel s’efforce de valoriser un dense réseau de cheminements (plus de 2 500 km) permettant de gagner le Mont à partir des provenances les plus variées et d’anciens itinéraires de pèlerinage.
DE VIRE À CHAULIEU
Chaulieu, Maisoncelles-la-Jourdan, Roullours, Vire (Calvados)
À voir à moins de 30 km : la forêt de Saint-Sever, Villedieu-les-Poêles, les Gorges de la Vire, les Roches de Ham, les Gorges et le viaduc de la Souleuvre, le Mont Pinçon, Pontécoulant, le Mont de Cerizy, Chaulieu, la Fosse Arthour, les cascades de Mortain, Saint-Michel-de-Montjoie
Le massif granitique de Vire-Carolles est une granodiorite cadomienne d’environ 540 millions d’années : large de 5 à 12 kilomètres, ce long ensemble d’une soixantaine de kilomètres court d’ouest en est de la Manche bordée par les puissantes falaises de Carolles jusqu’à Vire.
L’implantation de Vire, au nord-est du massif, correspond à la transition « ceinture métamorphique (au nord) / granite », contact plus ou moins souligné au sud de la cité par le passage de la Vire. Le grand escarpement méridional qui borde le fleuve (l’esplanade du château) est plutôt sauvage et, de ce fait, fort original par sa situation en pleine ville : il est essentiellement constitué de cornéennes, anciens schistes recuits au contact du granite, sauf à l’extrémité de l’éperon qui porte les ruines du château où le granite apparaît. Protégé naturellement au cœur d’un méandre, ce donjon carré doté d’une enceinte fut construit au début du 12e siècle par un des fils de Guillaume le Conquérant, Henri 1er Beauclerc, roi d’Angleterre et duc de Normandie, pour assurer la défense du duché face à l’Anjou et à la Bretagne. Cette forteresse, inscrite dans un dispositif de « Marches » militaires, sera complétée par la suite par une seconde ligne de remparts dont il reste quelques beaux vestiges dans le centre-ville : la Porte Horloge, la Tour Saint-Sauveur…
Si l’escarpement du château tombant d’une soixantaine de mètres sur le cours d’eau est imposant, ce dernier, pour sa part, est plutôt insignifiant… Il ne s’agit pas encore du fleuve indolent qui, au terme d’un voyage d’une centaine de kilomètres, va rejoindre avec d’autres (l’Aure, la Taute, la Douve…) la vaste dépression des marais de Carentan et de la baie des Veys, au sein du territoire du Parc naturel régional des marais du Cotentin et du Bessin. Non ! La Vire n’est ici qu’une petite rivière capricieuse qui va même, avant d’entrer dans la ville qui lui a emprunté son nom, jusqu’à « jouer » les cascades dans sa traversée des granites (à 2 km au sud de Vire par la D 176 en direction de Maisoncelles-la-Jourdan.
Il est vrai que les sources ne sont guère éloignées, situées à une douzaine de kilomètres sur les hauteurs de Chaulieu. Il faut également signaler que le même relief, situé à la croisée des départements de la Manche, du Calvados et de l’Orne, voit la naissance de quelques autres rivières normandes et ligériennes qui viennent y faire leurs premiers flots, mais dans des directions différentes : la Sée (Blanche), l’Égrenne, le Noireau ! Chaulieu, point culminant du département de la Manche (368 m), aux pentes sillonnées par les cours d’eau et au sommet coiffé d’un belvédère artificiel au niveau du hameau de Saint-Martin-de-Chaulieu (accès par la la D 498) offre un vaste panorama circulaire sur le bocage environnant.
DE GRANITE ET D’EAU
Champ-du-Boult, Gathemo, Le Gast, Saint-Manvieu-Bocage, Saint-Sever-Calvados, Vengeons (Calvados)
À voir à moins de 30 km : Villedieu-les-Poêles, la cluse de Gavray, l’abbaye d’Hambye, les Gorges de la Vire et les Roches de Ham, les Gorges et le viaduc de la Souleuvre, Vire, Chaulieu, les cascades de Mortain, Saint-Michel-de-Montjoie
Le mariage du granite et de l’eau se célèbre dans d’autres lieux assidûment fréquentés par les Virois : parmi ceux-ci, citons le plan d’eau de la Dathée (réserve du Groupe Ornithologique Normand, activités nautiques…), le lac du Gast (autre réserve d’oiseaux du GON), en forêt domaniale de Saint-Sever…
Les amateurs de vieilles pierres, de maisons traditionnelles, de rochers, de murets de pierres sèches, de boules émergeant à demi des herbages… suivront plutôt les petites routes sinueuses qui mènent à Gathemo, Champ-du-Boult, Vengeons et leurs célèbres enclos-palissades (clôtures en granite taillé et dressé…). Il s’agit toujours de hautes terres et Gathemo manque de quelques mètres le record d’altitude du département de la Manche !
Autre record, moins ébruité cette fois, dû au relief et à la proximité de la Manche : la pluviométrie annuelle compte parmi les plus élevées de l’Ouest, ici jusqu’à 1100 mm ! Ces pluies favorisent certainement, au niveau du bocage, la présence significative du hêtre, arbre appréciant l’humidité atmosphérique. On leur doit aussi le lessivage des forts talus qui, par manque d’entretien, ont perdu leur « substance » et laissent parfois entrevoir des morceaux de paysages au travers d’une « dentelle » constituée par le lacis de racines privées de terre. Les naturalistes remercieront encore ces crachins tenaces pour les quelques tourbières qu’ils alimentent (tourbière du Pré-Maudit à Gathemo) ou les fougères peu communes et « montagnardes » que recèlent le massif acide de Saint-Sever et ses environs nébuleux : polystic des montagnes (Oreopteris limbosperma), prêles des bois (Equisetum sylvaticum).
LES ROCHERS DES RAMES ET LES VAUX DE VIRE
Saint-Germain-de-Tallevende, Vire (Calvados)
À voir à moins de 30 km : la forêt de Saint-Sever, Villedieu-les-Poêles, l’Abbaye d’Hambye, les Gorges de la Vire et les Roches de Ham, les Gorges et le viaduc de la Souleuvre, le Mont Pinçon, la cluse de Pontécoulant, les Gorges de la Vère, le Mont de Cerisy, les cascades de la Vire, Chaulieu, les cascades et les Rochers de Mortain, Saint-Michel-de-Montjoie
L’imposant massif cadomien de Vire-Carolles offre à nouveau l’occasion de découvrir le contact direct entre le granite et les roches encaissantes au travers de deux sites qui séduiront par leurs paysages très typés.
À proximité du donjon de Vire, le site classé des Rochers des Rames étonne par sa nature « sauvage » inscrite en marge du centre-ville. On peut y accéder à pied, par le haut et un chemin partant de la sous-préfecture, ou en voiture, par le bas et la D 305 en direction du plan d’eau de la Dathée ou de Saint-Germain-de-Tallevende. L’endroit, très escarpé et taillé dans les cornéennes (schistes «cuits» par le contact avec le granite), est traversé par le GR de pays du Bocage Virois qui chemine parmi les bois, les petites portions de landes à bruyères et les terrasses rocheuses. De ces hauteurs, s’ouvre une large vue vers le sud / sud-ouest et, 70 mètres en contrebas, sur de splendides vallées qui entament profondément les roches : les cornéennes pour la Vire, le granite pour son affluent la Virène.
On a pris l’habitude de nommer Vaux de Vire les cours de ces deux rivières qui confluent au pont des Vaux, au pied des Rochers des Rames. La vallée de la Virène est particulièrement curieuse avec son enfilade d’usines « perdues » dans les bois qui fait immédiatement songer à d’autres gorges présentées un peu plus avant, celles de la Vère. Mais ici, point d’amiante…, il s’agit d’anciennes fabriques de papier ou de moulins à fouler les toiles car Vire était fort réputée, dès le 15e siècle, pour la fabrication des draps. Là encore, c’est la force motrice de cours d’eau plutôt vifs qui, de longue date, a attiré l’industrie.
Retournons quelques siècles en arrière car l’œuvre d’un de ces « fouleurs de draps » mérite d’être plus connue. Il s’agit de celle d’Olivier BASSELIN (1403-1470) dont la tradition rapporte que son moulin foulon, encore appelé « Moulin-Basselin » est situé près du pont des Vaux (partie ancienne de la demeure avec plaque commémorative).
BASSELIN était-il reconnu pour la qualité de ses étoffes ? Ce n’est pas certain, d’autant que son usine fut peut-être exploitée en dilettante. Car celui que l’on surnommait le « Bonhomme », comme le sera également deux siècles plus tard Jean de La FONTAINE (du fait d’une simplicité apparemment naïve), était plutôt un épicurien en quête de plaisirs naturels. On doit donc à ce poète ouvrier l’usage de chanter, dans le bocage, des chansons après les repas que l’on imagine, cela va de soi, bien arrosés ! À l’époque, lorsqu’un convive se lève, l’habitude est plutôt aux fabliaux ou à des refrains pleins d’amour ou de dévotion, adressés à une belle imaginaire ou à la Vierge et aux saints. BASSELIN est donc le premier à avoir composé des chansons de table, chansons dites aussi bachiques. Or ce genre, bientôt typiquement normand, va se développer dans la France entière et presque conserver le nom que l’auteur a donné à ses productions : composées, voire improvisées et déclamées sur place, dans les fonds de la Vire et de la Virène, ces chansons à boire sont appelées « vau-de-vire » et numérotées de I à … Ce style du vau-de-vire, ouvrant certainement la porte aux chansons paillardes et de « salle de garde » (créées par des étudiants en médecine), est parvenu jusqu’à nous, légèrement déformé à la fin du 17e siècle, sous l’appellation de « vaudeville ». Le père n’a pas eu la même chance que l’œuvre et ce n’est qu’un siècle après sa mort qu’un premier recueil est publié à partir d’airs passés de bouche-à-oreille. Néanmoins, l’édition et réédition du 16e et 17e siècles, jugées indignes sont quasiment détruites après proscription et Olivier BASSELIN tombe peu à peu dans l’oubli. Il faut attendre le début du 19e siècle pour qu’un lettré par ailleurs sous-préfet de Vire fasse réimprimer les textes attribués au poète chansonnier. Pour quitter en gaieté les Vaux de Vire, nous ne résistons pas au plaisir d’en livrer trois courts extraits :
Vau-de-Vire II (extrait)
« Quand mon nez devendra de couleur rouge ou perse, Porteray les couleurs que cherit ma maitresse.
Le vin rend le teint beau. Vault il pas mieulx avoir la couleur rouge et vive,
Riche de beaulx rubis, que si pasle et chetive, Ainsi qu’ung beuveur d’eau ? »
Vau-de-vire IX (extrait)
« Fy du latin ! parlons François ; Je m’y recongnois davantaige.
Je vueil boire une bonne fois, Car voicy ung maistre breuvage :
Certes, se j’en beuvoy soubvent, Je deviendroy fort eloquent. »
Vau-de-vire XV (extrait)
« De nous se rit le François ; Mais vrayement, quoiqu’il en die,
Le sildre de Normandie Vault bien son vin quelques fois.
Coulle à val, et loge, loge ! Il faict grant bien à la gorge. »
LA CLUSE DE LA BÉRENCE
La Baleine, Gavray, Villedieu-les-Poêles (Manche)
À voir à moins de 30 km : Granville, le havre de la Vanlée, le Havre de Regnéville, l’abbaye d’Hambye, les Gorges de la Vire
Il est grand temps d’entrer enfin dans les vestiges de la Chaîne hercynienne, dans le Synclinal bocain et ses roches paléozoïques, tout à l’ouest, à une vingtaine de kilomètres des rivages de la Manche. La visite commence par le flanc nord qui mérite un petit détour pour ses roches extrêmement dures, des poudingues (conglomérats) déposés à la base du synclinal au Cambrien (début de l’ère primaire). Cette robustesse n’a pourtant pas empêché les rivières de traverser la barre rocheuse en profondes cluses, celles de Gavray et de La Baleine !
Arrosé par la Sienne, Gavray (Manche) est réputé pour ses foires et ses marchés. Jadis, ce gros bourg fut également une place forte d’importance, située au carrefour des routes de Coutances, de Caen et du Mont-Saint-Michel. Cette position stratégique n’échappa pas aux Ducs de Normandie qui, dès le 11e siècle, y établirent une forteresse. Les ruines de ce château, démantelé au 16e siècle, couronnent une butte de poudingue située au sud de la ville ; elle domine d’une cinquantaine de mètres la jolie cluse de la Bérence, un affluent de rive gauche de la Sienne. L’accès pédestre peut se faire par le haut et la D 38 (accès aux vestiges du château) ou directement par le bas et le centre ville, par une venelle (parking) située à quelques pas du pont qui enjambe la Sienne : le GR de Pays emprunte l’étroit défilé de la Bérence, du Bas de la Lande à la Planche Pinel où un retour par le plateau est possible (boucle d’une dizaine de kilomètre) : c’est une façon de suivre « les traces des fondeurs de cloches » (nom du GR) qui nous rappelle la proximité, à une quinzaine de kilomètres, de Villedieu-les-Poêles, cité du cuivre et de la dinanderie.
Les inconditionnels des pays très vallonnés peuvent poursuivre jusqu’au village de La Baleine, par une vallée de la Sienne qui alterne cluses et grands méandres encaissés. Le même GR, avec parcours d’interprétation, nous apprend que le fleuve est toujours un important axe migratoire qu’empruntent les saumons atlantiques pour assurer leur reproduction.
LES ROCHERS DE L’ABBAYE D’HAMBYE
Hambye (Manche)
À voir à moins de 30 km : Granville, l’abbaye de la Lucerne, la cluse de Gavray, le havre de la Vanlée, le havre de Regnéville, Coutances, les Gorges de la Vire, Villedieu-les-Poêles
Un arrêt s’impose, 5 kilomètres plus à l’est, à la remarquable abbaye bénédictine de Hambye (Manche) fondée au 12e siècle dans un grand méandre de la Sienne, à 3 kilomètres du bourg en plein bocage. Après une période florissante, l’édifice religieux tombe progressivement dans l’oubli jusqu’à devenir carrière de pierre au 19e siècle. Son cadre particulier où le rocher affleure, et les ruines de l’église abbatiale survolées par les choucas, confèrent au site un caractère « romantique » indéniable. Acquis en partie par le Conseil Général de la Manche, le site est aujourd’hui préservé et l’on peut y visiter l’ensemble conventuel le plus complet de Basse-Normandie, après celui du Mont Saint-Michel : église à ciel ouvert (entre roman et gothique), salle capitulaire, sacristie, parloir, scriptorium, bâtiment des convers où une exposition retrace l’importance de la gestion bénédictine dans l’aménagement de nos paysages.
LES GORGES ET LE VIADUC DE LA SOULEUVRE
Le Bény-Bocage, Carville, La Ferrière-Harang, Montchamp, Montchauvet, Le Tourneur (Calvados)
À voir à moins de 30 km : les Gorges de la Vire, le Mont Pinçon, les Rochers des Parcs, la cluse de Pontécoulant, le Mont de Cerisy, les cascades de la Vire, les Rochers des Rames et les Vaux de Vire
Vers Souleuvre-en-Bocage (Bény-Bocage, Calvados), nous entrons avec la Souleuvre dans le bassin-versant de la Vire. Ce petit affluent de rive droite a un tempérament bien « trempé » et c’est par la profonde cluse du Pont d’Éloy, au nord-ouest de Montchamp, qu’il pénètre en force le flanc sud du Synclinal bocain. Aujourd’hui, le secteur est surtout réputé pour son ancien « viaduc » qui surplombe la Souleuvre d’environ soixante mètres, sur les communes de Carville et de la Ferrière-Harang. Le site est extrêmement fréquenté (restaurant, parc d’aventures dans les arbres, tyrolienne géante…) et l’on y pratique depuis plus de vingt ans le saut à l’élastique, un sport qui néanmoins attire toujours beaucoup plus de spectateurs curieux que de pratiquants intrépides !
LES GORGES DE LA VIRE
Bures-les-Monts, Campeaux, Malloué, Pleines-Œuvres, Pont-Farcy, Sainte-Marie-Outre-l’Eau (Calvados), Brectouville, Fervaches, Le Mesnil-Raoult, Tessy-sur-Vire, Torigny-sur-Vire, Troigots… (Manche)
À voir à moins de 30 km : l’abbaye d’Hambye, Saint-Lô, les Gorges de la Souleuvre, le Mont Pinçon, les cascades de la Vire, Chaulieu, Saint-Michel-de-Montjoie, la forêt de Saint-Sever
Autre rivière des « sports extrêmes », la Vire fait également une entrée remarquée dans le Synclinal bocain, près de la confluence de la Souleuvre, par la cluse de Saint-Aulin (rochers d’escalade, 5 km à l’est de Campeaux) qui perce les poudingues. Le site est d’autant plus exceptionnel que ces conglomérats reposent en discontinuité sur les terrains protérozoïques (discordance cadomienne).
Puis, sur une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau, le tracé du fleuve change et la Vire coule vers l’ouest dans une sorte de gouttière qui longe le flanc du synclinal. Ce « berceau » schisteux est encadré, au nord par des crêtes gréseuses, et, au sud, par la longue barre de poudingue, seulement transpercée par de petits affluents de rive gauche : c’est le cas, par exemple, des Monts de Mérol entamés vigoureusement en cluse par la Drôme à Sainte-Marie-Outre-l’Eau.
Dans cette partie de son cours allant de Campeaux à Pont-Farcy (Calvados), le cheminement du cours d’eau n’en reste pas moins remarquable. De nombreux randonneurs suivent ses splendides méandres encaissés appelés « Gorges de la Vire », notamment par l’intermédiaire du GR de Pays du Bocage Virois qui traverse les communes de Campeaux, Malloué, Bures-les-Monts et Pleines-Œuvres, avec des dénivelées qui approchent les 80 mètres. La petite D 283 (ou le GR 221), qui relie Campeaux à la cluse de Saint-Aulin et aux Vaux de Souleuvre (à 4 km vers l’est), permet également une excellente lecture de ce bocage extrêmement vallonné, jalonné de pâtures aux pentes très fortes.
À partir de Pont-Farcy, la rivière change à nouveau de style et repart plein nord pour une traversée de la zone bocaine. C’est la folie des défilés qui recommence, d’abord dans le grès armoricain (2 km au nord de Pont-Farcy, à Beau Costil, un site difficile d’accès), mais surtout à 5 kilomètres au nord de Tessy-sur-Vire (Manche) dans les poudingues : c’est la cluse de la Chapelle-sur-Vire, empruntée par la D 359. La basilique établie sur la commune de Troigots est un important lieu de pèlerinage, avec un chemin de croix en rive droite. En rive gauche, à Fervaches, le GR 221 qui suit le chemin de halage permet de longer la Vire ; un layon équipé de rampes de sécurité permet d’accéder à flanc de versant à la Grotte du Diable, refuge créé au 19e siècle et belvédère sur le fleuve.
On ne peut terminer ce périple sur la Vire sans aller faire un saut (au sens figuré, car l’abrupt fait tout de même 80 mètres de hauteur !) aux Roches de Ham, 5 kilomètres en aval. Bien qu’il nous faille avouer, à notre grand dam, qu’il ne s’agit pas d’une cluse, il faut reconnaître que l’on ne peut passer sous silence ces grands méandres encaissés qui participent largement à la renommée du secteur de Torigny-sur-Vire (Manche, 6 km à l’est du site). Situé sur les communes du Mesnil-Raoult et de Brectouville (parking), l’escarpement, très visité aux beaux jours, est, entre autres, fréquenté par les parapentistes. Les escarpements sont également équipés pour l’escalade. Un sentier de corniche permet aux randonneurs de parcourir les crêtes schisteuses et de remarquer les oppositions de versants si caractéristiques, entre rive concave aux pentes abruptes et boisées, et rive convexe au profil doux mis en culture ou en herbe.
LES MONTS D’AUNAY ET LE MONT PINÇON
Campandré-Valcongrain, Jurques, Le Plessis-Grimoult, Les Monts d’Aunay, Ondefontaine, Roucamps (Calvados)
À voir à moins de 30 km : les gorges et le viaduc de la Souleuvre, Saint-Martin-de-Sallen, la Boucle du Hom, les Rochers des Parcs, la cluse de Pontécoulant, le Mont de Cerisy, les cascades de la Vire
Comment manquer, à 2 kilomètres au sud d’Aunay-sur-Odon (aujourd’hui Les Monts-d’Aunay), cette puissante ligne de hauteur qui, à plus de 320 mètres d’altitude, souligne sur une douzaine de kilomètres le flanc nord du Synclinal bocain ? Ce contrefort raide, fait de poudingues et de quartzites particulièrement durs, a mieux résisté à l’érosion que les terrains qui l’entourent ; il marque les paysages qui prennent ici une véritable allure montagnarde. Cette solide barre rocheuse court de Jurques (et son zoo) à l’ouest jusqu’à Saint-Martin-de-Sallen à l’est, en passant par Roucamps, Ondefontaine et Campandré-Valcongrain. Ces terres très acides et donc infertiles forment un long ruban vert que se partagent les landes (Jurques, le Mont-Pinçon) et surtout les forêts : bois de Brimbois, bois du Buron, forêt domaniale de Valcongrain, bois du Roi, de la Motte, de Culey… Quelques cours d’eau, surtout des ruisseaux aujourd’hui insignifiants, ont pourtant réussi a traverser ce «barrage» rocheux presqu’à la perpendiculaire : c’est le cas par exemple du ruisseau de la Chaîne dont la cluse étroite est dominée par la Pierre Dialan, bloc erratique plutôt que dolmen à l’origine du nom de la commune nouvelle de Jurques : Dialan sur Chaîne. Pas très loin, c’est l’Odon proche de ses sources qui suit le même scénario.
Au niveau des Monts-d’Aunay, le long et haut relief boisé annonce et protège l’éminence la plus septentrionale du Massif Armoricain située 2 kilomètres en retrait (vers le sud) : il s’agit du Mont Pinçon, point culminant à 362 mètres du département du Calvados ; cette hauteur est située tout juste à une trentaine de kilomètres de la capitale régionale, Caen. D’Aunay, on y «monte» par une petite route très pentue pour, une fois le sommet atteint (antenne), redescendre «très fort» vers le village du Plessis-Grimoult.
Privé d’escarpements bien que la roche ne soit jamais très loin sous le pied, le Mont Pinçon possède pourtant une grande part des attributs des terres gréseuses : fortes montées comme nous l’avons vu ; paysages non habités ou presque ; végétation fruste composée de boisements piqués de bouleaux, de peuplements résineux, de landes et de rares tourbières ; belvédères naturels et… antennes ! Car les relais de toutes formes et de tous acabits, de télévision, de radio, de téléphonie portable.., sont bien l’apanage (dont on se passerait volontiers sur un plan esthétique…) des hauts lieux ! Celui du Mont Pinçon est installé dès 1956 sur un premier pylône, remplacé dans les années 60 par une nouvelle structure tubulaire de 220 mètres de hauteur.
Le Mont Pinçon, comme bien des sites dominant les campagnes alentour (le Montormel pour la « poche de Falaise-Chambois », la Croix de Médavy en Forêt d’Écouves…), a été un point stratégique convoité et le théâtre de violents affrontements pendant la Bataille de Normandie. Un monument commémoratif implanté au cœur de la lande rappelle ces événements et offre un large point de vue sur le bocage vallonné.
LA CLUSE DE PONTÉCOULANT
La Chapelle-Engerbold, Pontécoulant, Saint-Vigor-les-Mézerets (Calvados)
À voir à moins de 30 km : les cascades de la Vire, les Gorges de la Souleuvre, le Mont Pinçon, la Boucle du Hom, les Rochers de la Houle, les Rochers des Parcs, Pont-d’Ouilly, la Roche d’Oëtre, les méandres de Rouvrou, Pont-Erembourg et les Gorges du Noireau, les Gorges de la Vère, le Mont de Cerisy
Changeons de bord une nouvelle fois pour récupérer le flanc sud du Synclinal bocain, en limite de la Suisse Normande, limite qui ne relève d’ailleurs que de l’arbitraire car, comme nous allons bientôt le voir, une partie de la Suisse Normande appartient bel et bien au Synclinal bocain ! Les deux entités d’orientations différentes (nord-sud et ouest-est) se croisent donc perpendiculairement et se superposent sur une dizaine de kilomètres.
Ce flanc sud, souligné presque sans interruption de La Haye-Pesnel (Manche) à Neuvy-au-Houlme (Orne) par l’affleurement des poudingues pourprés cambriens, est à l’origine de bien des secteurs pittoresques car bien souvent escarpés. C’est le cas du site du château de Pontécoulant (Calvados), dominé au nord d’une centaine de mètres par la robuste barre gréseuse.
Le qualificatif « d’écrin », bien souvent trop galvaudé, convient parfaitement au val bocager façonné par la rivière vive qu’est la Druance. À l’amont du plan d’eau et du château (16e et 18e siècle, visite possible), la percée encaissée de la Roche aux Renards est une véritable cluse empruntée par le torrent et la D 298.
Plus à l’ouest, la même ligne de crête est refranchie par deux fois par le cours d’eau : au niveau de Saint-Vigor-les-Mézerets (buttes des Grands Monts), puis de Lassy (cluse du Moulin de la Bruyère). Encore plus à l’ouest, nous avons vu que la Vire s’est «payé» le même petit plaisir avec la cluse de Saint-Aulin.
LA SUISSE NORMANDE DU SYNCLINAL BOCAIN
Caumont-sur-Orne, Clécy, Cossesseville, La Pommeraye, Le Bô, Le Vey, Saint-Omer, Saint-Rémy, Saint-Martin-de-Sallen (Calvados)…
À voir à moins de 30 km : le Mont de Cerisy, le Mont Pinçon, la Boucle du Hom, Caen, les Rochers de la Houle, le val de Laize, la Brèche au Diable, le coteau du Mesnil-Soleil, Falaise, Pont-d’Ouilly, les méandres de Rouvrou, la Roche d’Oëtre et les Gorges de la Rouvre, les Gorges de Saint-Aubert et le lac de Rabodanges, Flers, le Mont de Cerisy, les Gorges de la Vère, Pont-Erembourg et les Gorges du Noireau, Condé-sur-Noireau, la cluse de Pontécoulant
La Suisse Normande (dont nous allons reparler plus précisément) est donc mariée, pour part, avec le Synclinal bocain. Pour part, car la Suisse Normande est associée par principe au cours du fleuve Orne qui, au nord et au sud du pli primaire, traverse dans les départements du Calvados et de l’Orne des secteurs de nature bien différente. Il n’empêche : dans leur partie commune, les deux entités, géologique et géographique, partagent bien des éléments, poudingues et grès, encaissement du réseau hydrographique, pentes fortes, cluses… au point qu’il est délicat, notamment vers l’ouest, de trouver une limite à deux territoires par de nombreux point bien semblables !
Dans la Suisse Normande du Synclinal, les cluses s’observent également au niveau des affleurements de poudingues. Ces conglomérats, des grès enfermant des graviers et des galets, se sont déposés au tout début du Paléozoïque (Cambrien) ; ils forment les couches les plus anciennes, les plus profondes des synclinaux et n’apparaissent que sur leurs flancs redressés sous forme de bandes de roches dures. Ces crêtes résistantes qui font saillie et encadrent au nord et au sud le Synclinal bocain, sont l’occasion de deux escales pour découvrir ce pays au décor accidenté.
C’est sur le flanc nord du synclinal, au niveau de Caumont-sur-Orne, que les formes appalachiennes sont les mieux dessinées. Les conglomérats et grès pourprés, longés par la petite Départementale 134, forment une longue bande boisée percée au droit de Caumont par la cluse de l’Orne. La route de Clécy à Thury-Harcourt (D 562), perpendiculaire au relief comme le fleuve, utilise d’ailleurs cette trouée naturelle pour opérer son passage sud – nord et s’échapper du Synclinal bocain. La barre rocheuse, qui surplombe le cours d’eau d’une centaine de mètres, offre sur ses hauteurs deux magnifiques points de vue. En rive droite et proche de l’Orne, c’est le site de la chapelle de Bonne Nouvelle à Esson.
En rive gauche et un peu plus éloigné (à une dizaine de kilomètres, accès par le Pont-de-la-Mousse et le Mesnil-Roger), c’est celui de la chapelle Saint-Joseph à Saint-Martin-de-Sallen, un village qui vaut la visite. De Saint-Joseph campé au sommet de la crête allongée, le regard domine, en direction du nord, les vastes bas-plateaux précambriens (flysch briovérien) de Thury-Harcourt situés à l’emplacement de l’ancien anticlinal primaire disparu.
De retour vers Caumont et la chapelle Bonne Nouvelle, le modelé appalachien devient évident sur cette aile orientale de la crête. L’observateur remarque à l’œil nu toute une succession de cluses qui tronçonnent, par morceaux de 500 à 1000 mètres de long, la barre rocheuse : cluse de Bonne Nouvelle, des Fosses, de La Courrière, de Combray, les trois premières empruntées par de petites routes. Les plantations de résineux aidant, les paysages prennent ici un petit air « vosgien »…
Pour le flanc méridional du Synclinal bocain, le tracé de l’Orne est plus complexe. Venu du sud, des terrains précambriens de Pont-d’Ouilly, Saint-Cristophe et Le Bô, le fleuve semble d’abord rater son entrée en force dans le pli primaire. Il se heurte de front au « rempart » de poudingues et de grès pourprés qui borde le synclinal à Clécy (rive gauche) – Le Vey (rive droite), vire à angle droit vers l’ouest pour longer la bande résistante sur plus d’un kilomètre. C’est ainsi qu’est mis en évidence le splendide escarpement des Rochers des Parcs, élément minéral qu’on repère à partir de nombreux endroits et donc véritable symbole identitaire des paysages locaux. Cette longue barrière presque verticale (Espace Naturel Sensible du Calvados), au pied tapissé de pierriers plus ou moins boisés, est un site extrêmement fréquenté de nos jours par les grimpeurs, tout comme la rivière l’est par les touristes s’initiant aux plaisirs du canoë-kayak. Les marcheurs ne sont pas en reste et peuvent suivre les Rochers des Parcs par le bas (accès en rive droite par le camping du Vey et tout droit vers le viaduc) ou par le haut (accès par la petite route à gauche, face au camping).
Après un kilomètre et demi de parcours conjoint « crête-rivière », brusquement, juste après le viaduc et profitant certainement d’une zone de fractures, l’Orne reprend sa liberté. Elle tourne à nouveau à angle droit au nord entre les Rochers des Parcs (Le Vey, rive droite) et ceux de la Croix de la Faverie et de la Cambronnerie (Clécy, rive gauche). C’est par cette cluse empruntée par la départementale 168 que le fleuve entre dans la « capitale » de la Suisse Normande : les nombreuses activités sportives et touristiques ont fixé ici, à touche-touche sur les bords de l’Orne, restaurants, crêperies et points de location (les « guinguettes »).
En fait, comme au nord vers Caumont, la barre rocheuse, ici aussi, est « découpée » en tronçons que l’on peut découvrir un peu mieux en regagnant un dernier point. Cette étape sera également l’occasion d’embrasser du regard cette part septentrionale (calvadosienne) de la Suisse Normande. À Clécy, il faut traverser l’Orne au pont et emprunter en voiture la D 133a qui mène au Vey ; deux kilomètres plus loin, après le Haut du Vey, tourner à droite vers la Cour à Mombret –les Rochers des Parcs sont indiqués- et tout droit vers un petit parking.
D’ici et vers l’ouest (à pied par la petite route puis le chemin à droite), on accède rapidement au sentier de crête qui suit l’enfilade des Rochers des Parcs et offre de remarquables et nombreux belvédères naturels. C’est l’itinéraire « classique » qu’empruntent de nombreux visiteurs, avec vues sur les plateaux méridionaux
entaillés par l’Orne et le Noireau et, au terme de la promenade, un belvédère « plongeant » sur Clécy, le viaduc et au nord, le « Pain de sucre ».
LA CLUSE DE L’ANTE
Falaise (Calvados)
À voir à moins de 30 km : Pont-d’Ouilly, Clécy et les Rochers des Parcs, les Rochers de la Houle, la Boucle du Hom, le Val de Laize, la Brèche au Diable, le camp celtique de Bierre, le Vaudobin, Argentan, le Rocher du Mesnil-Glaise, les méandres de La Courbe, Putanges et le lac de Rabodanges, les Gorges de Saint-Aubert, la Roche d’Oëtre et les Gorges de la Rouvre, les méandres de Rouvrou, les Gorges du Noireau et Pont-Erembourg
Comme à Pontécoulant et sa cluse au Renard, on peut se poser ici la question : à Falaise (Calvados), sommes-nous encore en Suisse Normande ? Si ce n’est plus le cas, ces paysages-là y ressemblent pourtant fortement ! Quoi qu’il en soit, nous sommes avec certitude dans la terminaison orientale du Synclinal bocain qui vient «flirter» ici avec les dépôts calcaires laissés par d’anciennes mers au Jurassique (200 à 150 millions d’années environ). Ce flanc nord du synclinal est fait de puissantes barres rocheuses façonnées dans les grès armoricains blanc-gris (quartzites de l’Ordovicien) qui émmergent donc ou, par endroits, plongent sous les terrains calcaires du Bassin Parisien. Le versant méridional du synclinal est situé hors agglomération, à 7 ou 8 kilomètres plus au sud. Il est matérialisé par une longue bande de poudingues pourprés résistants à l’origine d’un fort talus d’une soixantaine de mètres de hauteur qu’on peut suivre de Fourneaux-le-Val à Cordey. Fort de cette constatation, on peut dire que si le Synclinal bocain au niveau de Falaise n’a pas perdu de sa superbe (comme nous allons le voir), il a tout du moins perdu de l’épaisseur, à l’approche du terme de sa course vers l’Orient. Entre ces deux bords plus ou mùoins relevés, les calcaires (Martigny-sur-l’Ante, Noron-l’Abbaye, Saint-Martin-de-Mieux, Saint-Pierre-du-Bû) «jouent à cache-cache» avec les grès (La Hoguette, Saint-Clair, Bois de Saint-André) ; tout comme la grande culture céréalière (openfields) s’amuse avec le bocage touffu.
Il faut d’abord commencer au cœur de Falaise par une visite de courtoisie à Guillaume-le-Conquérant et ses descendants, à leur forteresse plantée sur son piton de quartzites et à la cluse de l’Ante qui l’entaille, histoire de ne pas nous faire oublier qu’il existe encore d’étroits défilés armoricains, même ici aux marges parisiennes ! On peut suivre un moment cette profonde entaille par le chemin des Roches qui se faufile entre escarpement et énormes blocs de grès armoricain (portion du GR de Pays « Tour du Pays de Falaise »). La brèche sépare l’éminence du château ducal du Mont Myrrha. Pour y « grimper », il faut prendre une petite voie goudronnée au pied des remparts, le chemin de la Cabotte. Du sommet, plutôt colonisé par les ajoncs d’Europe que par les bruyères, on surplombe la cluse de l’Ante et l’ensemble de la cité où se dessinent de jolies venelles et les vestiges des fortifications (remparts, porte des Cordeliers…). Campé sur le promontoire opposé, le redoutable château (12e-13e siècles) fait face : c’est un imposant ensemble de deux donjons quadrangulaires typiques de l’architecture anglo-normande et d’une tour circulaire.
LA CLUSE DU VAUDOBIN
Bailleul, Guêprei (Orne)
À voir à moins de 30 km : le camp celtique de Bierre, la Roche d’Oëtre, les méandre de Rouvrou, la Suisse Normande, Falaise, le coteau du Mesnil-Soleil, Argentan, le Rocher du Mesnil-Glaise, les méandres de La Courbe, Putanges-Le-Lac
Précisons que depuis Falaise (Calvados), la course vers l’est du Synclinal bocain est de plus en plus difficile. Beaucoup plus étroit, il doit, comme nous l’avons vu, de surcroît disputer le terrain avec un adversaire de taille, le Bassin Parisien qui néanmoins, arrive ici à ses limites occidentales.
Le Vaudobin (ou vaux d’Obin) ! Voilà un autre site où la curiosité des petites gens a été confrontée à une nouvelle énigme géologique. Pour nous, c’est l’occasion de découvrir cette fois la Calotte rouge et la légende des « pas-de-bœufs » !
L’action se situe entre Trun et Argentan (Orne), à Bailleul et Guéprei, où les gorges du Meillon comptent parmi les plus belles percées dans les grès du département, mais toujours en limite de Bassin Parisien. D’ailleurs, à proximité à Villedieu-les-Bailleuls, le front de taille d’une remarquable ancienne carrière (privée, accès avec autorisation du propriétaire) permet d’observer les grès primaires redressés qui portent les calcaires secondaires horizontaux : c’est la « discordance » du Jurassique sur l’Ordovicien.
Les rochers, les landes…, la faune et la flore particulières du Vaudobin sont à l’origine de la reconnaissance de ce lieu comme Espace Naturel Sensible (ENS) du département de l’Orne. Précisons d’ailleurs que la plupart des cluses sont également reconnues de longue date comme Monuments Historiques, sites classés ou inscrits, pour leurs paysages d’exception.
La Calotte rouge a bien de la chance ; en effet, il habite un endroit particulièrement pittoresque et plutôt atypique en Normandie, surtout lorsque l’on vient du nord ou de l’est, des « planitudes » du bassin sédimentaire. Ici, tout n’est que paysages accidentés, gorge profonde entaillée dans la roche, parois redressées où se situe la grotte de notre personnage ; elle domine d’imposants pierriers aux blocs monumentaux effondrés les uns sur les autres !
En fait, ces pierriers semblent traduire le choc d’un combat de Titans, l’effet d’un cataclysme, ressemblent à un chantier de démolition naturel dont on fait remonter les origines aux temps des grandes glaciations (Pléistocène, 2,6 millions d’années à 11 000 ans). Ici, en régime périglaciaire, les infiltrations d’eau, les alternances de gel et de dégel font « craquer » la pierre dont les éclats s’accumulent peu à peu. Ils forment des éboulis apparemment désordonnés où chaque pierre détachée semble avoir suivi son chemin en fonction de son poids, des obstacles, de l’absence ou non d’un tapis neigeux… au moment du décrochement. Pourtant, au sein-même de l’édifice, des séquences plus grossières et plus fines peuvent exister et traduire des épisodes plus froids de début de cycle, puis plus doux : c’est ce qu’une coupe à la base d’un autre pierrier, celui du Grand-Pâtis dans les Alpes Mancelles, a révélé au géologue Guy MARY.
Ces amas naturels de pierres présentent une pente moyenne de 37°. Ils s’observent surtout dans le grès armoricain : le site de la Fosse Arthour en possède de remarquables ; après le Vaudobin, Bierre, la Suisse Normande, Andaines, Ècouves, les Alpes Mancelles viendront allonger la liste ; mais on les rencontre également parfois dans le granite et les cornéennes (Gorges de Saint-Aubert, Orne), voire les schistes briovériens (Thury-Harcourt, Calvados). Ces pierriers deviennent, une fois stabilisés, les supports d’une végétation originale et adaptée : plantes grasses, notamment le nombril de Vénus et les orpins ; fougères avec, à leur tête, le polypode ; mais surtout les plantes pionnières par excellence que sont les mousses et les lichens, avec une centaine d’espèces qui y a été décrite, dont certaines rares et protégées (Cladonia rangiferina…). Malheureusement, la tendance observée pour le dernier demi-siècle est au reboisement (de l’ordre de 25 à 30 % des surfaces) et cette fermeture des milieux est une sérieuse menace de banalisation, autant d’un point de vue biologique que paysager.
Quoi qu’il en soi, notre Calotte profite sans compter de tous les bienfaits de la nature et, comme bien des solitaires, du silence et du calme des lieux. Il choisit plutôt les heures précoces ou tardives pour vaquer à ses activités –mâcher la racine du polypode au bon goût de réglisse ; ramasser les myrtilles en bordure de pierrier ; cueillir les jeunes feuilles d’ombilics qu’on sait bonnes en salades ; visiter ses quelques ruches pour le miel de bruyère…- car il faut dire que ce sauvage n’apprécie guère la compagnie des hommes… Il supporte tout juste celle de ses bêtes, qu’il mène paître vers le Meillon. Là, adossé à la paroi redressée, il les surveille quand elles se rafraîchissent et hume les senteurs du soir, écoute le chant lointain d’un grillon, le souffle léger du vol d’une chauve-souris chassant au long du cours d’eau… Or une nuit de lune, tiré de sa rêverie par les bavardages d’intrus, il s’enfuit avec son troupeau pris de panique qui laisse sur le rocher les traces de ses glissades ; à côté de ces « pas de bœufs », on voit les petits trous faits par le bout de la canne de la Calotte. On dit dans le pays que c’est un fé (masculin local de fée) qui, en fait, cacherait sous son petit bonnet rouge… des cornes ! Mais n’est ce pas là que malveillance suscitée par l’incompréhension d’un personnage aux mœurs trop différentes et donc de « mauvaise réputation » ?
Pour ce qui est des glissades et des trous de canne, les géologues normands y ont vu respectivement : les traces bilobées de trilobites, fossiles typiques du Paléozoïque (des arthropodes proches de nos crustacés actuels) vivant il y a 500 millions d’années sur le fond des mers ; des orifices de terriers verticaux (skolithos) creusés par des vers marins occupant les mêmes sables qui formeront bien plus tard les grès armoricains…
Quant à la Calotte, on dit qu’il vit toujours au fond des bois de l’Orne : il a simplement ôté son couvre-chef et s’est laissé pousser la barbe, pour plus de discrétion…
LE CAMP CELTIQUE DE BIERRE
Merri (Orne)
À voir à moins de 30 km : la cluse du Vaudobin, la Roche d’Oëtre, les méandres de Rouvrou, le coteau du Mesnil-Soleil, Falaise, Argentan, le Rocher du Mesnil-Glaise, les méandres de La Courbe, Putanges-Pont-Écrepin
Bierre (ou Bière), sur la commune de Merri, est situé au nord-ouest du Vaudobin, sur la même crête gréseuse. On peut parcourir ces 3 kilomètres par un sentier balisé ou accéder directement à l’endroit en voiture (parking). C’est notre dernière «double» cluse pour le Synclinal bocain, entaillée par le ruisseau du Douit et un petit affluent nommé le Fossé de Launais. Cette confluence vallonée et apparemment naturelle encadre le site sur trois de ses côtés (ouest, nord, est) ; il ne restait donc plus qu’à conforter cette protection et à «boucher» le quatrième côté vers le sud pour se sentir chez soi, entre Massif Armoricain (aujopurd’hui le bois de Feuillet) au sud et, au nord et en contrebas, les vastes étendues plates du Bassin Parisien («plaine» de Trun). Il ne restait plus…, c’est une façon de parler, parce que lorsqu’on voit la taille des empilements de pierres…
On donne le nom d’éperon barré à ce type de dispositif défensif. Il s’agit d’un camp « celtique » restauré dont les enceintes sont littéralement « bâties » dans le grès armoricain. Le site est impressionnant car il montre bien la masse colossale de matériaux qui pouvait être manipulée pour la mise en œuvre de constructions défensives.
Sur une surface d’environ 8 hectares, le camp d’origine préhistorique est constitué d’un ensemble de bâtiments protégés par des fossés et une triple enceinte (tri castrum) de terre et de pierre sèche. Débutée au Néolithique ancien et moyen (5 000 à 3 500 ans av. J.-C.), l’occupation devient particulièrement importante aux époques celtiques du bronze final et du premier âge du fer (de 900 à 450 ans av. J.-C.), date, semble-t-il, de l’édification des premières levées. Elle continue aux temps gallo-romains pour durer jusqu’au Moyen Âge. Le site est mis en culture au 19e siècle et les murailles éboulées deviennent (redeviennent ?) des pierriers. Un important chantier de fouilles et de réhabilitation des enceintes (mené depuis 1980) permet aujourd’hui de mieux apprécier ce que pouvait être ce camp fortifié utilisant d’après les estimations 50 000 m3 de grès, avec des enceintes imposantes dont la plus importante atteint 32 mètres à la base ! Aujourd’hui, comme le Vaudobin, le camp celtique de Bierre est un Espace Naturel Sensible du département de l’Orne ouvert à la visite.