Le Cotentin littoral 2
Publié le 6 mars 2024, par Charles-Erik LabadilleLA BAIE D’ÉCALGRAIN ET LE NEZ DE JOBOURG
Jobourg, Auderville (Manche)
À voir à moins de 30 km : le Cap de la Hague, Port Racine, Cherbourg-Octeville, le Cap de Flamanville, les dunes de Biville, les landes et la Mare de Vauville
Passons aux rivages gréseux. Ils nous entraînent tout d’abord à la découverte de plusieurs tronçons de la merveilleuse côte ouest du Cotentin dont les paysages âpres et sauvages ont séduit plus d’un voyageur. À l’instar de la Bretagne, les terres sont ici téméraires et finissent en un puissant promontoire qui s’avance, plein nord, dans les eaux de la Manche.
Notre premier arrêt se situe entre le Cap de la Hague et le Nez de Voidries, entre Auderville et Jobourg, dans un synclinal qui doit justement son nom à cette dernière commune. La baie d’Écalgrain est bien façonnée dans une petite enclave de différents sédiments paléozoïques (grès cambriens, grès de May, grès siluriens…) qui se poursuit dans l’arrière-pays. En particulier, la Pointe du Houpret, qui ferme la baie au nord, est de nature gréseuse. Ces grès hercyniens beiges à rosés apparaissent également sur l’estran, sous forme d’affleurements qui « percent » les amas de galets et les bancs de sables fins qui constituant l’immense plage. Néanmoins, au niveau de la Pointe de la Côte Soufflée qui limite la baie au sud, les grès entrent en contact avec les terrains cadomiens (granodiorite, roche proche du granite). Mieux encore, la géologie locale étant d’une extrême diversité, le randonneur curieux pourra, cette pointe passée, pousser encore plus au sud sur environ 500 mètres pour atteindre la petite anse du Cul-rond : là apparaissent cette fois les roches icartiennes (gneiss), vieilles d’environ 2 milliards d’années ! Quel formidable périple dans le temps pour découvrir, à la façon d’un Gargantua, trois montagnes en guère plus de trois enjambées !
Au premier coup d’œil, l’anse d’Écalgrain, avec sa longue grève sableuse dominée tout du long par les landes mauves et rousses puis fermée par ses deux caps rocheux, a un air de baie des Trépassés (Bretagne), et vice-versa… Pourtant, point ici de marins enchantés par le chant d’une sirène ou de cortèges de revenants ! Il ne reste simplement que l’ombre et la mémoire d’anciens moulins tournant jadis dans la vallée jusqu’à laisser un nom au site : écalgrain, c’est-à-dire écaler le grain… Mais à bien y réfléchir, outre la lumière et les paysages changeant au gré de vents et de ciels lourds ou dégagés, il y a bien une autre analogie avec la cousine finistérienne. Ce bout du monde, isolé au cœur d’une nature sauvage, était également un sérieux refuge de « naufrageurs » parcourant les plages en quête des « trésors » abandonnés par la mer aux lendemains des tempêtes ; les « Haguards » étaient aussi des marins-contrebandiers dont les cargaisons clandestines en provenance des îles anglo-normandes étaient déchargées à la nuit, souvent au nez et à la barbe des « gabelous », ces douaniers surveillant la côte du haut de cabanes construites sur les falaises. L’un de ces « gabions », récemment restauré, est visible un peu au nord de la Pointe du Houpret, sur le « chemin des douaniers » (GR 223) qui mène au phare de Goury. Ce même sentier permet d’ailleurs de constater la massivité et la hauteur des falaises : environ 90 mètres au Houpret, presque 130 mètres au Nez de Jobourg.
Pour les amoureux du site d’Écalgrain, un chemin de petite randonnée (PR) rejoint le « GR 223 / GR de Pays Tour de la Hague » et crée ainsi une boucle de randonnée d’environ 8 kilomètres. Ce PR qui s’éloigne un peu du littoral permet de découvrir vers l’intérieur la marqueterie d’un bocage à petites mailles ; des villages dévorés d’hortensias roses et bleus, aux maisons de grès parfois couvertes de lauzes, ces épaisses ardoises de schiste bleu (hameaux Grainval, Samson…) ; la lande du Verbec, constellée de blocs blancs et habitée par les légendes.
En revanche, le cavalier des landes de Jobourg, qui y galopait jadis à bride abattue par les nuits de tempête, semble bel et bien avoir disparu. Aurait-il été avalé, comme la lande, par une apparition bien plus phénoménale qui s’étale aujourd’hui sur près de 220 hectares et porte le nom de Centre de retraitement et de stockage des combustibles irradiés ?
On ne peut quitter l’endroit sans effectuer un dernier arrêt, sur les gneiss immémoriaux du Nez de Voidries et du Nez de Jobourg, deux « appendices » particulièrement proéminents qui n’auraient pas déplu à Edmond ROSTAND et son Cyrano : situées sur la commune de Jobourg, à environ 1 km de la baie d’Écalgrain (par le sentier des douaniers), ces falaises « hors d’âge » (Icartien) dominent en effet, comme nous l’avons dit, la Manche de près de 130 mètres de hauteur ! Des Voidries, s’ouvrent par beau temps de larges panoramas : au nord, vers la Pointe de Goury (Auderville) et son phare ; au sud, jusqu’au Cap de Flamanville ; au large, passé le terrible raz Blanchard -un courant de marée singulièrement violent-, sur les îles anglo-normandes à peine distantes de quelques miles (Aurigny, et plus au sud, Guernesey, Herm, Sercq et Jersey). Le Nez de Jobourg est, pour sa part, une réserve ornithologique qui accueille grands corbeaux (Corvus corax), cormorans huppés (Phalacrocorax aristotelis), goélands (Larus sp.) et fulmars (Fulmarus sp.)… C’est dans ces paysages sauvages, sur ces rochers et ces pelouses que vous croiserez peut-être les chèvres férales (retournées à l’état sauvage) de la Hague, un troupeau qui arpente en semi-liberté les vallons pentus de ce bout du monde.
Enfin, si le territoire de la Hague dans son ensemble est plutôt « vide d’hommes », sauf aux beaux jours où la fréquentation touristique devient conséquente, c’est pourtant un site occupé de longue date. Des fouilles menées, entre autres, à Saint-Germain-des-Vaux ont révélé la présence d’industries humaines du Paléolithique moyen, datées de 220 000 à 150 000 ans. Cette fréquentation des sites littoraux par des groupes de chasseurs-pêcheurs-cueilleurs (derniers Homo erectus et / ou premiers Néandertaliens) a continué, peut-être par éclipse, jusqu’à l’arrivée en Europe d’Homo sapiens, l’homme moderne. Ce dernier dresse au Néolithique, à partir du cinquième millénaire avant notre ère, des mégalithes qui sont parvenus jusqu’à nous, plus ou moins bien conservés. On peut citer, toujours à Saint-Germain-des-Vaux, le menhir de « la Grosse Pierre » ; ou encore, en guise de transition avec l’article suivant, « les Pierres Pouquelées », allée couverte de 14,5 mètres de long toujours dressée, malgré quelques dommages subis au 19e siècle, dans les landes de Vauville situées à environ à 6 km du Nez de Jobourg par le GR 223.
LES LANDES ET LA MARE DE VAUVILLE
Vauville (Manche)
À voir à moins de 30 km : le Cap de la Hague, Port Racine, Cherbourg-Octeville, le Cap de Flamanville, les dunes de Biville
Alors que les tables de couverture des Pierres Pouquelées volontairement importées sur place par les constructeurs sont en granodiorite, les piliers-supports de l’allée couverte sont faits de ce quartzite silurien (sorte de grès) qui affleure sur la colline qui domine au nord Vauville. On peut accéder au site par une petite route pentue qui part de la D 318 (vers Beaumont-Hague, en sortie du bourg de Vauville), et gravit d’un trait les 100 mètres qui séparent le sommet de l’éminence du petit ruisseau de la Vallée de Beaumont qui coule à son pied. C’est certainement de cette hauteur couverte de lande que s’ouvre le plus beau panorama sur l’anse de Vauville, ses 11 kilomètres de plage d’un seul tenant, son cordon dunaire qui protège une remarquable mare arrière-littorale frangée de roselières, ses grands ensembles de landes à bruyères et fougères-aigle qui font face à la mer, landes des Cottes, du Catillon, du Thot…
La présence de ces grandes portions de landes, sur plus de 650 hectares, n’est pas due au hasard mais bien à la présence de substrats primaires gréseux et acides, poudingue et arkoses (un grès contenant du feldspath et de l’argile), grès armoricain, grès de May (localité proche de Caen où cette roche a été décrite)… Ces formations végétales basses façonnées par les vents littoraux sont inscrites, pour leur grande valeur biologique et paysagère, au titre des Espaces Naturels Sensibles du département de la Manche et acquises, pour bonne part, par le Conservatoire du littoral. On y trouve des plantes remarquables, comme la petite centaurée fausse-scille (Centaurium scilloides) protégée au niveau national, et les rossolis (Drosera sp.) qui s’abritent dans les dépressions tourbeuses. Les oiseaux peu communs ne sont pas de reste et on peut notamment y observer l’engoulevent d’Europe (Caprimulgus europaeus), le busard Saint-Martin (Circus cyaneus), la fauvette pitchou (Sylvia undata)… Sur le site des Pouquelées, en particulier, de nombreux sentiers équipés de tablettes pédagogiques permettent de sillonner ces étendues sauvages pour mieux les découvrir. De ces hauteurs, par beau temps lorsqu’une brume légère voile à peine les horizons lointains, le caractère exceptionnel du site n’échappe pas au visiteur qui prend conscience de l’instant et du site privilégiés qui s’offrent à lui.
Redescendu au pied du versant et en bord de D 318, le géologue amateur peut s’arrêter à l’entrée d’une ancienne carrière qui présente bien des intérêts, en partie révélés par un panneau d’information. Ici, dans ce flanc nord du synclinal de Siouville, les grès de May affleurent en bancs peu épais mais particulièrement redressés. Les surfaces de ces plages fossiles, basculées ultérieurement par les mouvements hercyniens, laissent apparaître quelques témoins de l’activité marine et biologique à l’Ordovicien, vers 450 millions d’années avant nos jours. De nombreuses rides et ondulations, inscrites dans la roche, traduisent le façonnement ancien du littoral par la mer, comme ces « ripple marks » provoquées par le mouvement de l’eau à la surface des sédiments ; on remarque d’ailleurs des formes identiques au bas de nos grèves sableuses actuelles… Parfois, certaines des marques observées correspondent à des traces de déplacements (ou de repos) d’organismes vivant à cette époque, pour certains, encore inconnus ; sur les hauts fonds, en milieu sous-aquatique, il s’agit bien souvent de pistes d’arthropodes, notamment les « bilobites », traces laissées par des trilobites, fossiles typiques du Paléozoïque.
Vauville, c’est aussi un joli bourg très accueillant, « croulant » en juin-juillet sous les hortensias… C’est enfin la « Mare de Vauville », terme bien inapproprié pour désigner un long marais d’eau douce de 62 hectares, devenu réserve naturelle de France. L’endroit compte au nombre des dernières zones humides arrière-dunaires, défendu des assauts de la Manche par son puissant cordon de sable. En effet, dans la Manche et plus généralement dans le Massif Armoricain, ces milieux ont fortement régressé au point de devenir des raretés. Trois causes principales ont amené à cet état de fait : la dégradation des dunes « protectrices », par extraction de sable pour la construction, notamment après-guerre ; le sur-piétinement lié à la fréquentation touristique des cinquante dernières années ; l’assèchement progressif des nappes du fait du creusement de nombreux puits artésiens pour l’arrosage des cultures maraîchères primeurs de plein champ souvent très développées sur les littoraux sableux. La réserve de Vauville est gérée par le Groupe Ornithologique Normand qui, depuis une trentaine d’années, y a recensé plus de 150 espèces d’oiseaux. Un observatoire est ouvert au public en toute saison. Au sud de la Mare, le puissant massif dunaire de Biville pose les premiers imposants jalons d’un long dispositif sableux « tronçonné » par quelques avancées rocheuses (Flamanville, Le Rozel, Carteret).
LES MASSIFS DUNAIRES DE BIVILLE ET DE SURTAINVILLE
Biville, Vasteville, Héauville, Surtainville, Baubigny, les Moitiers-d’Allonne… (Manche)
À voir à moins de 30 km : les landes et la Mare de Vauville, le Nez de Jobourg et la baie d’Écalgrain, le Cap de la Hague, Port Racine, Cherbourg, le Cap de Flamanville, le Cap de Carteret, Saint-Sauveur-le-Vicomte, le Mont Castre et le havre de Portbail
Au sud de la Mare de Vauville débute sur une trentaine de kilomètres (dont une bonne quinzaine de sables) une succession de puissants massifs dunaires juste interrompue par quelques imposantes avancées rocheuses. En particulier, le Cap de Carteret sépare deux ensembles relativement distincts, par leur physionomie et leur état de conservation.
Au sud, les surfaces dunaires, parfois étendues, sont plutôt basses et, en ce sens, assez similaires aux formes développées en Bretagne. En outre, la bande sableuse est fragmentée par l’urbanisation, souvent diffuse mais parfois concentrée avec la présence de villes balnéaires comme Barneville (jouxtant Carteret), Saint-Germain-sur-Ay, Agon-Coutainville, Hauteville-sur-Mer… Le cordon littoral est lui-même percé par de puissants estuaires appelés localement havres : havres de Carteret, de Lessay, de Regnéville… Enfin, les champs de dunes ne s’enfoncent généralement guère vers l’intérieur des terres où ils finissent bien souvent en champs de carottes, du moins de Portbail au sud d’Agon où les cultures maraîchères sont bien implantées !
Au nord de Barneville-Carteret, les massifs dunaires sont dits « perchés », car lors de leur formation, le sable plaqué contre les anciennes falaises a fossilisé ces dernières. L’altitude générale, liée à celle des anciens rivages, est donc beaucoup plus importante : 110 mètres au Calvaire des dunes à Biville, offrant une vue panoramique sur l’anse de Vauville ; entre 50 et 70 mètres à l’ouest d’Hatainville (vers la table d’orientation)… Le relief relatif est également plus tourmenté, avec des dénivelées qui peuvent atteindre la quinzaine de mètres pour certaines éminences.
Ces dunes perchées se divisent en deux vastes ensembles quasi exempts d’urbanisation : le massif de Vauville-Biville-Vasteville-Héauville (près de 700 ha) situé entre le Nez de Jobourg et le Cap de Flamanville ; celui de Surtainville-Baubigny-Hatainville (800 ha) encadré par le Cap du Rozel et celui de Carteret.
Dans le Cotentin, toutes ces dunes sont appelées « mielles », terme dérivé de l’ancien scandinave « Mjellar » désignant les édifices de sable. Par extension et sur la base de la même étymologie, l’oyat (Ammophila arenaria), robuste graminée typique de ces milieux et capable de les fixer par un rhizome souterrain très développé, a pris le nom local de « milgreu ».
Au vu de la dimension du complexe septentrional, de son altitude, du cadre grandiose et préservé, on comprend aisément l’importance que revêtent ces mielles « nordique » à l’échelle armoricaine. De plus, les paysages sont souvent ouverts et, si l’arbre est présent, les bois sont relativement circonscrits. Mieux encore ! Certaines dunes y sont encore « vivantes » et le massif de Biville constitue un des plus beaux exemples français de barkhanes ! De quoi s’agit-il donc ? Eh bien, de dunes en « croissants » mais à la différence des formes paraboliques aux « bras » pointant face au vent (et fixés), les barkhanes, bien connues dans certains déserts (Taklamakan en Chine…), avancent « cornes en avant » dans le sens des vents dominants. La pente avant est plutôt raide, marquée par des éboulements de sables mobiles.
Les sables côtiers ont une origine complexe et proviennent, pour bonne part, de la désagrégation de grès (les « sandstones » des Anglais = pierres à sable) mais également des granites (des gneiss…) qui, par « pourrissement », donnent un sable argileux, l’arène. Ces matériaux meubles sont emportés par les cours d’eau jusqu’au littoral, parfois bien plus loin. Rappelons-nous que pendant les grands froids quaternaires, le niveau de la Manche était bien plus bas au point que l’Angleterre pouvait être reliée au continent à certaines périodes. Avec le réchauffement intervenant à la fin de la dernière glaciation, d’environ 17 000 à 7 000 ans avant nos jours, les eaux ont remonté d’une centaine de mètres (transgression flandrienne). Pendant cet épisode, la mer a peu à peu repoussé, avec l’aide des vents, ces sables vers les lignes actuelles de rivage, les dunes envahissant graduellement l’intérieur des terres. Lors de cette progression, d’anciens marais littoraux ont pu être piégés sous le massif, d’où parfois l’importance locale de nappes souterraines d’eau douce, comme à Vauville-Biville.
De nos jours, la nature des milieux est toujours dépendante des contraintes de salinité et de courants d’air (sans parler des actions humaines !), de sorte qu’une « zonation » très classique des écosystèmes s’observe généralement du front de mer jusqu’à l’intérieur des terres. Dans ce cadre, un rôle essentiel est tenu par les végétations pionnières, capables d’adaptations fortes et de colonisation d’espaces vierges, et donc de fixation et de stabilisation des matériaux mobiles. Aux avant-postes littoraux sur les hauts de plage, le chiendent des sables (Elytrigia juncea) retient les grains de sable de la dune embryonnaire encore atteinte par les embruns. Portées par les vents, les particules mobiles s’accumulent plus en arrière pour former la dune blanche (ou dune mobile) où le sel est peu à peu lessivé : c’est le domaine de l’oyat (Ammophila arenaria). Sur la côte du Cotentin (et notamment à Biville), il le partage avec une autre robuste graminée qui y forme parfois de belles populations aux nuances bleutées (les feuilles sont glauques) : c’est le seigle de mer (Leymus arenarius), protégé au niveau national car c’est plutôt une plante typique des littoraux boréaux. Enfin, à une certaine distance du littoral, les vents sont moins « opérationnels », les plantes plus nombreuses et les sables s’enrichissent en humus qui les assombrit. C’est la dune grise, peu mobile, couverte par des pelouses naturelles où les orchidées calcicoles sont souvent fréquentes : en effet si, à l’origine, les sables sont essentiellement siliceux, ils contiennent également ici du calcium dû à la présence de nombreux débris de coquillages…
Du point de vue de cette « zonation », le massif de Vauville-Biville est également très significatif car la succession des végétations caractéristiques des dunes atlantiques est quasi complète : par endroits, cordons de galets à chou marin (Crambe maritima, protection nationale) ; « laisse » de mer à cakilier maritime (Cakile maritima), zone riche en nitrates où s’accumulent les débris naturels organiques apportés (laissés…) par la mer ; dunes embryonnaires, blanches, grises ; vaste dépression intra-dunaire ; dunes perchées ; landes ; fruticées (formations végétales composées d’arbrisseaux et d’arbustes, prunelliers, aubépines…) et dunes boisées. Il va sans dire que les sites de Biville… et d’Hatainville… bénéficient de toutes les mesures de protection et gestion habituelles (Natura 2000, site classé…) !
L’accès au complexe dunaire de Biville peut s’effectuer par la plage ou-et à partir de la Mare de Vauville. Néanmoins, de ce bourg, nous conseillons également un petit détour par le plateau et la D 237 (qui longe l’aérodrome puis prendre à droite la D 318 en direction de Biville) car un arrêt s’impose dans les landes du Thot et au belvédère de même nom (magnifique vue panoramique). Dans Biville, on peut atteindre les dunes par le Calvaire des dunes (déjà signalé, belvédère sur le magnifique ensemble « bosselé » et descente à pied) ou par le Hameau Gardin et le « Chemin de la dune », petite route très pentue qui emprunte la vallée Gardin pour bientôt déboucher au cœur du site (parking).
Biville est un ancien terrain d’entraînement militaire. Un temps, il fut d’ailleurs question d’y installer l’usine de retraitement de la Hague… Aujourd’hui, le Conservatoire du Littoral se substitue progressivement à l’armée dans la maîtrise foncière des lieux. Outre le chou marin et le seigle de mer (ou élyme des sables) déjà mentionnés et bien d’autres espèces protégées et peu communes (œillet de France…), de belles populations de véroniques en épi (Veronica spicata) et de rosiers à feuilles de pimprenelle (Rosa pimpinellifolia) méritent d’être signalées. En règle générale, les dunes sont des biotopes chauds et secs qui conviennent à des organismes très spécialisés et donc bien souvent peu communs. Cependant, les dépressions intra-dunaires (ou « pannes », ou encore « lettes » en Gascogne) offrent une remarquable alternative à des espèces dont la survie nécessite la présence temporaire ou constante d’eau. C’est notamment le cas des amphibiens et la Mare de Vauville abrite les 16 espèces de batraciens présentes en Basse-Normandie : tritons crêtés (Triturus cristatus) et marbrés (T. marmoratus), pélodyte ponctué (Pelodytes punctatus), crapaud calamite (Bufo calamita)…
À Surtainville, Baubigny et Les Moitiers-d’Allonne (Hatainville), comme à Biville et dans bien d’autres massifs, la pose de clôtures en échalas de châtaignier (ganivelles) et la plantation d’oyats sont les techniques utilisées pour freiner la migration des sables, canaliser les fréquentations touristiques et permettre la restauration des dunes érodées. Ce second massif septentrional n’a presque rien à envier au précédent, peut-être ses pannes sont-elles moins développées (que la « Mare ») mais pourtant bien fréquentées : le liparis de loesel (Liparis loeselii), la littorelle à une fleur (Litorella uniflora), l’âche rampante (Helosciadium repens), la spiranthe d’été (Spiranthes aestivalis)… Enfin, la nature calcaire des sables des dunes grises est à l’origine, là aussi, de la présence d’autres orchidées : spiranthe d’automne (Spiranthes autumnalis), orchis pyramidal (Anacamptis pyramidalis), ophrys araignée (Ophrys sphegodes)…
Outre ses vagues de dunes, Biville (-Vauville, Manche) est également reconnu pour ses houles régulières appréciées par les surfeurs et les enfants qui chevauchent les crêtes écumantes sur leurs body-boards, ces planches sur lesquelles il suffit de rester allongé pour être porté par les flots impétueux… Plus au sud, passés Siouville et le Cap de Flamanville, l’anse de Sciotot et la Pointe du Rozel sont également des « spots » recherchés par les amateurs de vagues, parfois impressionnantes !
LE CAP DE FLAMANVILLE
Flamanville (Manche)
À voir à moins de 30 km : le massif dunaire de Biville, les landes et la mare de Vauville, la baie d’Écalgrain et le Nez de Jobourg, la Pointe de la Hague, Cherbourg, le massif dunaire de Surtainville, le Cap du Rozel et l’anse de Sciotot
Quittons les grès pour revenir aux granites et en particulier à ceux de Flamanville situés un peu plus au sud. Cet arrêt ne tient certes pas à la notoriété nationale de cette dernière commune surtout due à la présence d’une centrale nucléaire « les pieds dans la mer », de surcroit voisine de l’usine de retraitement de la Hague (située à une vingtaine de kilomètres…) ; ni à la célébrité devenue internationale d’une collectivité engagée dans un projet d’Evolutionary Power Reactor (EPR), ce « réacteur pressurisé européen de troisième génération » qui équipera également quelques autres sites de par le monde (Finlande, Chine). Mais il serait dommage de ne pas s’imprégner ici des remarquables paysages du nord de la péninsule et de la Hague, sorte de « Bretagne en raccourci » comme le disait le géologue Alexandre BIGOT.
Le massif granitique de Flamanville, d’âge hercynien, forme un petit batholithe allongé d’est en ouest (7 km sur 4) qui s’avance sur la mer en une sorte de protubérance arrondie. Le contact avec la Manche s’opère par l’intermédiaire de hautes falaises (jusqu’à 80-90 m) que l’on peut partiellement suivre par le GR 223 qui, au nord du massif, doit contourner par l’intérieur des terres la centrale électrique. Le sud de la commune offre donc un accès préférentiel à ce chemin littoral, notamment par la petite route du sémaphore (parking) : au sud du château (parc, étangs et jardin des dahlias en visite libre), prendre la D 4E2 en direction des Pieux puis la première à droite (suivre le fléchage) vers la Chasse du Bas et la Chasse de la Houe.
Perché sur la crête, enveloppé d’ajoncs et de rocailles sur lesquels tranchent les roses pâles de l’édifice, le sémaphore (restaurant, gîte d’étape) se remarque de loin. Cette halte sur ce magnifique sentier est en soi une curiosité que vient compléter, à quelques pas, une seconde particularité : il s’agit de la Pierre au Rey, un amoncellement de quelques gros blocs arrondis où les uns voient un dolmen, les autres un petit chaos granitique… Leur avis donné, les marcheurs peuvent retirer les chaussures de randonnée pour se mettre à table et goûter un repos mérité, ou continuer plein nord ou plein sud.
Si la première destination est choisie, le GR les amène, passée la centrale, jusqu’au port de Diélette d’où, en saison, l’on peut rejoindre en une heure Guernesey (en anglais Guernsey) ou Aurigny (Alderney), dépendances de la Couronne britannique. Outre les échanges avec les îles anglo-normandes, l’activité de ce port s’est jadis construite sur la commercialisation du granite de Flamanville (pierre de taille) qui lui a longtemps valu ses forts tonnages. Une importante extraction sous-marine du minerai de fer sur les lieux-mêmes et son exploitation industrielle ont ensuite pris le relais à partir de la seconde moitié du 19e siècle pour s’éteindre dans les années soixante. Aujourd’hui, la marina de Diélette (commune de Flamanville) est essentiellement orientée vers la plaisance, les anglo-normandes et Guernesey situé à une cinquantaine de kilomètres au large.
LE CAP DU ROZEL
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Après cet intermède « mouvant », revenons à nos grès pour terminer cette visite de la côte ouest du Cotentin par deux avancées qui ne manquent pas de caractère… et d’un certain aplomb : 67 m au Cap du Rozel, 64 m au Cap de Carteret. La nature de la roche y est certes pour quelque chose, bien que dans les deux cas le cadre géologique soit mixte, grès et schistes. Les deux pointes rocheuses, comme il vient d’être dit, encadrent de vastes étendues sableuses.
Au nord du Cap du Rozel, s’étire la longue anse de Sciotot (façonnée dans les schistes et les grès du Rozel) alignant ses 4 kilomètres de plages bordées de dunes qui viennent « butter », en direction de la Hague, sur le puissant môle granitique de Flamanville. Ces grèves de Sciotot (Les Pieux) et du Rozel bordées de paysages idylliques sont également des « spots » réputés pour le surf. Dans ce cadre, le personnel du camping « Le Ranch » joue un rôle d’informateur apprécié des sportifs qui y retirent les informations capitales sur l’état et la forme des houles… On notera d’ailleurs que d’autres mammifères peuvent chevaucher ici les vagues écumeuses et il n’est pas rare d’apercevoir de la plage des « troupeaux » de grands dauphins (Tursiops truncatus) passer au large. Au sud du cap, l’anse de Surtainville n’est pas moins belle…
Un kilomètre à l’intérieur des terres, le petit village du Rozel va dans le même sens du dépaysement : maisons traditionnelles encadrant des routes resserrées, cours intérieures plantées de palmiers dont la présence trahit la clémence du climat océanique, château « fortifié » (12e-19e siècles) ceint de murailles crénelées (séjours en chambres et cottages)… Mais la séduction du site a joué bien plus avant et l’abri établi en pied de falaise atteste une occupation humaine vers la fin du dernier interglaciaire et/ou de la dernière glaciation (vers 110 000 ans, pierres taillées, vestiges de consommation d’aurochs…) ! Le GR 223 permet de gravir le cap rocheux (poudingues et arkoses du Cambrien) et d’atteindre la « Maris stella » (l’Étoile de mer), statue érigée pour protéger les marins. Un peu plus loin, avant d’entamer la descente, un magnifique panorama s’ouvre sur la plage de Surtainville (où d’importantes fouilles archéologiques ont été menées par le paléontologue Dominique Cliquet) et, au loin, sur le Cap de Carteret.
LE CAP DE CARTERET
Barneville-Carteret (Manche)
À voir à moins de 30 km : le Cap de Flamanville, Saint-Sauveur-le-Vicomte, Doville et le Mont Castre, le havre et les landes de Lessay, le havre de Portbail, les dunes de Surtainville, le Cap du Rozel
Par route cette fois, après la traversée de la ville (Barneville-Carteret), on atteint la Corniche (table d’orientation) et le phare qui couronne la pointe rocheuse. De là s’ouvre un point de vue vers le nord, avec au premier plan, les ruines d’une petite église dédiée à Saint-Germain-le-Scot (qui évangélisa le Cotentin au 5e siècle) et, au-delà, le massif dunaire d’Hatainville que l’on peut rejoindre par le même GR 223. La pointe rocheuse « contient » donc, en quelque sorte, les sables septentrionaux et les sépare du havre de Carteret, vaste estuaire bordé sur son flanc sud par la plage de Barneville.
La falaise vive et, par endroits, déchiquetée, est constituée d’une formation hétérogène, justement nommée « schistes et grès de Carteret » et datée du début de l’ère primaire. La morphologie en gradins la rend plutôt accessible et permet un large développement des végétations littorales, pelouses naturelles à petites plantes annuelles supportant les embruns (aérohalines), lande… La richesse botanique locale se traduit, entre autres, par la présence de quelques espèces protégées au niveau national : la petite centaurée à feuilles en tête (Centaurium capitatum), la patience des rochers (Rumex rupestris) et de nombreuses plantes présentant un intérêt régional. Pour la faune, on retiendra que l’endroit compte parmi les rares sites de reproduction du grand corbeau (Corvus corax).