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Le Cotentin littoral 1

Publié le 1 février 2024, par Charles-Erik Labadille
Goélands et surf par CEL

LES PIEDS DANS LA MER

Peut-on imaginer le Massif Armoricain sans parler de son littoral et rappeler que la vieille montagne a justement choisi les bords de mer pour profiter d’une retraite bien méritée ? D’ailleurs, peut-on vraiment parler de « basses montagnes » lorsqu’on contemple, par endroits, l’interminable ruban composé par d’imposantes falaises siliceuses qui dominent parfois de près d’une centaine de mètres la Manche ? Et quelle autre montagne française peut se targuer de dérouler un tel linéaire de côtes, que des géographes particulièrement persévérants ont estimé, pour le Massif Armoricain (Bretagne comprise bien entendu), à plus de 1 600 kilomètres, sans compter les îles ?

Néanmoins, si en particulier les granites et les roches métamorphiques sont bien représentés sur ce littoral, les grès y sont plus localisés : nous verrons qu’ils forment une sorte d’exception qui d’ailleurs ne manque pas de panache.

L’ÎLE DE TATIHOU ET LE FORT DE LA HOUGUE

Barfleur par CEL

Saint-Vaast-la-Hougue (Manche)

À voir à moins de 30 km : Cherbourg-Octeville et la Montagne du Roule, le Cap Lévi, la Pointe de Barfleur

Notre épopée commence à l’embouchure de la Saire par deux sites dont le patrimoine participe sans conteste à la qualité et à l’originalité des paysages du granite : le premier est un îlot relié au continent par un cordon armé d’une jetée d’environ 500 mètres ; le second est une île qu’on peut rejoindre à pied à marée basse (1500 mètres) mais également en véhicule amphibie (un quart d’heure) au départ du port de Saint-Vaast-la-Hougue.

Car notre première rencontre avec le granite commence bien là, tout au nord de la côte est du Cotentin. Avant, c’est-à-dire plus au sud, les terrains sont plutôt mésozoïques (secondaires), plutôt carbonatés, avec des côtes basses qui, entre autres choses, étaient bien plus «favorables» au Débarquement des Alliés (Utah Beach).

La tour de la Hougue, campée au bout de la presqu’île de même nom (parking), date de la fin du 17e siècle et rappelle des batailles plus anciennes. Comme celle de l’Île de Tatihou toute proche, elle a été édifiée par un disciple de Vauban pour la défense de la rade de Saint-Vaast particulièrement exposée aux intrusions étrangères (défaite de la Hougue contre les Anglo-Hollandais en 1692…). Classé au patrimoine de l’Unesco et intégré de nos jours dans un dispositif de valorisation environnementale, le fort peut se contourner à pied offrant ainsi une splendide occasion de découverte de milieux variés : rochers, cordon, vasières et plage.

Quant à L’Île de Tatihou, elle a connu des vocations extrêmement diverses au fil de son histoire : accueil de marins en quarantaine, d’enfants en aérium, d’adolescents en centre de rééducation, de scientifiques au laboratoire maritime… Propriété du Conservatoire du Littoral et géré depuis 20 ans par le département de la Manche, Tatihou (avec restaurant et hébergement) est aujourd’hui un musée maritime ouvert au public qui vient y découvrir un patrimoine architectural (fort Vauban, ancien lazaret…), naturel (réserve ornithologique) et végétal (jardin botanique). L’événementiel n’est pas oublié et un public nombreux assiste régulièrement aux manifestations culturelles organisées sur la petite île granitique.

LA POINTE DE BARFLEUR

Le phare de Gatteville par CEL

Barfleur, Cosqueville, Gatteville-le-Phare, Gouberville, Réthoville (Manche)

À voir à moins de 30 km : Cherbourg-Octeville et la Montagne du Roule, le Cap Lévi, l’Île de Tatihou et le Fort de Saint-Vaast-la-Hougue

Solidement ancré à la côte orientale du Cotentin, à quelque trois kilomètres au sud de sa « Pointe », Barfleur, avec ses belles maisons en granite, est un petit port de pêche et de plaisance qui mérite d’être visité. Il compte aujourd’hui au nombre de nos « plus beaux villages de France ». Hier, c’était le port préféré des ducs de Normandie et c’est de là que Guillaume partit

à la conquête de l’Angleterre. Mieux encore ! Geoffroy de MONMOUTH affirme dans son « Historia regum Britanniae » que le grand Arthur aurait aussi quitté Barfleur pour aller combattre les Romains… Ce qui reste plus sûr, c’est que les patrons-pêcheurs lèvent toujours l’ancre pour prospecter un important gisement de moules sauvages, jadis ramassées sur les rochers granitiques des alentours, de nos jours collectées plus au large, jusqu’à 50 mètres de profondeur.

Cette frange septentrionale du Val de Saire est également marquée par la présence de cordons littoraux (longés par le GR 223) qui s’arriment au soubassement granitique dans une orientation ouest-est. Ils forment une barrière qui contrarie l’écoulement de petits cours d’eau venus de vallons perpendiculaires, d’où une véritable enfilade de zones humides arrière-dunaires de grand intérêt écologique : les marais de Tocqueboeuf, la mare Jourdan et le Hable à Cosqueville, le marais de Réthoville, l’étang de Gattemare à Gouberville et Gatteville-le-Phare. Dans ce dernier site, acquis en partie par le Conservatoire du Littoral, le remarquable cordon de galets et de sable abrite, entre autres, une belle population de chou marin et borde une dépression littorale où s’affirment les roselières.

Mais le continent cède du terrain (accès par la D 116 ou par la sinueuse D 10) et s’efface bientôt devant la mer par l’intermédiaire d’un large platier granitique. Les hauts fonds qui le prolongent au large sont à l’origine des forts courants du raz de Barfleur qui, certainement,  ont partagé les mêmes cours que leurs collègues occidentaux du Cap de La Hague ! C’est pourquoi, afin d’assister la navigation dans le secteur délicat de la Pointe de Barfleur, un phare monumental a été érigé. Si certains visiteurs s’émerveillent toujours de sa hauteur de près de 75 mètres (seconde position européenne après celui de l’Île Vierge dans le Nord-Finistère), d’autres ne sont pas non plus prêts d’oublier les 365 marches qu’il leur a fallu gravir avant de jeter le coup d’œil tant espéré…

LE CAP LÉVI

Fermanville et le Cap Lévi par CEL

Fermanville (Manche)

À voir à moins de 30 km : Cherbourg-Octeville et la Montagne du Roule, la Pointe de Barfleur, l’Île de Tatihou et le Fort de Saint-Vaast-la-Hougue

Quelques kilomètres avant Cherbourg-Octeville et sa Montagne du Roule (grès armoricain) qui domine de plus de 100 mètres la rade, un nouveau pluton arme la pointe nord-est du Cotentin. Il s’agit du granite hercynien de Fermanville (qui succède à celui de Barfleur) granites que l’on retrouve régulièrement sur la côte, sauf lorsqu’ils sont masqués par des sédiments quaternaires : coulées de solifluxion périglaciaire constituant des « heads », limons des plateaux, cordons dunaires… Le petit fleuve côtier qui draine le sud de l’ensemble granitique et se jette dans la Manche entre Réville et Saint-Vaast-la-Hougue a laissé son nom au pays qu’on a pris l’habitude d’appeler le « Val de Saire ».

La découverte des paysages granitiques du Val de Saire peut s’achever au Cap Lévi (Fermanville), avancée trapue qui ferme à l’est la rade de Cherbourg. Si la côte rocheuse y est basse (5 à 15 mètres), elle n’en est pas moins battue par la mer et les vents qui y entretiennent quelques portions de landes percées de chicots granitiques. L’accès au site, situé au nord-ouest de Saint-Pierre-Église, est possible par la D 116, puis au hameau du Tot-de-Haut, par la D 210 en direction du Perrey (suivre le fléchage et parking au Fort).

Comme à l’accoutumée, le GR 223 permet de faire en 2 à 3 kilomètres (du Fort à l’anse de la Mondrée -compter le double pour une boucle-) le « tour du propriétaire » de ce site acquis en partie par le Conservatoire du Littoral avec une gestion déléguée au Département. Ici, le programme monumental est chargé avec, sur quelques centaines de mètres, pas moins d’un sémaphore, d’un phare et d’un fort napoléonien (aujourd’hui aménagé en chambres d’hôtes) construit au début du 19e siècle pour défendre avec d’autres ouvrages militaires la côte du Cotentin.

PORT RACINE ET AUTRES « PORTS D’ATTACHE »

LaMontagne du Roule à Charbourg

Gréville-Hague, Omonville-la-Petite, Saint-Germain-des-Vaux, Urville-Nacqueville

À voir à moins de 30 km : la baie d’Écalgrain et le Nez de Jobourg, le Cap de la Hague, Cherbourg, le Cap du Rozel et l’anse de Sciotot, le Cap de Flamanville, le massif dunaire de Biville, les landes et la Mare de Vauville

Poursuivons la route vers l’ouest. Cherbourg vaut bien qu’on s’y arrête, bien sûr pour sa rade, bien sûr pour ses «parapluies», mais aussi pour sa Montagne du Roule, véritable «piton» rocheux en plein coeur de la ville ! Poursuivons, poursuivons et reprenons la campagne et la mer… Ces côtes sauvages ont également abrité des hommes qui y ont laissé des traces de leur passage : certains ont été des figures locales, d’autres sont de véritables célébrités dont on vient encore visiter les retraites.

La tomne de Jacques Prévert à Omonville

Urville-Nacqueville et le village de Landemer ne sont qu’à une dizaine de kilomètres : c’est là que Boris VIAN vint, dans son enfance, passer en famille d’inoubliables vacances dans « la vraie Normandie…, celle du « haut » » (dans un chalet aujourd’hui disparu) ! On peut également «pousser» 3 km plus loin jusqu’à Gréville-Hague et au hameau de Gruchy pour voir la maison natale (ouverte au public) du peintre Jean-François MILLET et le rocher du Castel Vendon (migmatites…), cher à l’artiste. Juste après Omonville-la-Rogue, cap sur la pointe Jardeheu, ses merveilleux grès roses et son sémaphore. Vous êtes prêts pour ancrer votre goélette dans la somptueuse anse Saint-Martin qui frange la petite commune d’Omonville-la-Petite. C’est là qu’accosta Jacques PRÉVERT en 1970… L’on peut encore glisser quelques dernières « paroles » à l’oreille du colleur de mots qui repose sous une pierre de granite brut, dans le petit cimetière. De là (parking), il est possible de grimper à pied jusqu’à sa maison qui se visite.

La côte à Port-Racine

À peine à un mille marin vers l’ouest, François-Médard RACINE a laissé son nom à un port qui se targue d’être « le plus petit de France ». Le joli Port Racine (Saint-Germain-des-Vaux), coincé au fond d’une crique dominée par le Rocher du Var et fermée par la Pointe du Nez, rappelle ces temps où les corsaires (à ne pas confondre avec les pirates…) s’activaient dans leurs « courses » autorisées par une « lettre de marque » signée de leur gouvernement, de Morlaix à Granville en passant, bien entendu, par Saint-Malo, fief du mémorable Robert SURCOUF. C’est donc dans cet abri naturel, bien situé pour suivre et « poursuivre » les navires doublant le Cap de La Hague ou trafiquant avec les îles anglo-normandes, que le capitaine RACINE fit construire au début du 19e siècle une jetée qui posa les bases du futur port. De nos jours, le modeste abri accueille de petits bateaux de pêche amarrés par de longs cordages tissant un écheveau complexe au-dessus des eaux vert-bleutées de la Manche.

Les murets de La Hague

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LE CAP DE LA HAGUE

Auderville, Saint-Germain-des-Vaux (Manche)

À voir à moins de 30 km : Port Racine, Cherbourg, le Cap de Flamanville, le massif dunaire de Biville, les landes et la mare de Vauville, le Nez de Jobourg et la baie d’Écalgrain

Cap tout au nord-ouest de la péninsule cotentine, Cap sur et de la Hague où se poursuivent, depuis Barfleur, nos pérégrinations granitiques ! En effet, cette côte septentrionale est percée de gros « yeux » de granite, roche grenue surnageant dans un « bouillon » primitif de vestiges hercyniens, cadomiens et même icartiens vers le Nez de Jobourg. Ce mélange original des témoins des trois chaînes de montagnes armoricaines traduit bien la complexité géologique du Cotentin, ce petit mais second « Finistère » où nous nous trouvons…

La petite commune d’Auderville, perdue au bout des terres, laisse de peu à sa voisine, Saint-Germain-des-Vaux, la fierté d’être le point le plus septentrional du Massif Armoricain. En effet, le sémaphore de La Hague (Auderville) est légèrement en retrait par rapport au Nez Bayard situé sur Saint-Germain. La D 401, au nord d’Auderville, permet d’accéder en voiture au sémaphore. C’est à pied et par le GR 223 (tour de La Hague) qu’il faut continuer sur quelque trois cents mètres pour atteindre le Nez, ultime presqu’île de 50 mètres de large qui, comme le Chevalier de même nom, s’aventure avec témérité d’une centaine de mètres au sein des eaux de la Manche. Cette audacieuse avancée ne doit pas cacher qu’ici, à l’inverse de Jobourg, la côte est particulièrement basse : dans son ensemble, l’altitude de la frange littorale du Cap de La Hague n’est que de 5 à 10 mètres. Il faut atteindre le Rocher du Calenfrier (au sud d’Auderville) ou le Rocher du Var vers Port Racine (à l’est de Saint-Germain-des-Vaux) pour reprendre de la hauteur (de 50 à 70 mètres).

Le site de La Hague par CEL

Néanmoins, le soubassement de l’ensemble reste bien granitique, à quelques nuances près que nous allons préciser. Ce granite d’âge cadomien (environ 575 millions d’années) affleure sur le littoral de Goury (Auderville) jusqu’à l’anse Saint-Martin (Omonville-la-Petite, juste à l’est de Saint-Germain).

Le petit port de Goury (parking) est l’un des lieux privilégiés pour découvrir à la fois les paysages haguais, aux lumières et aux temps particulièrement changeants, et l’assise géologique de cet autre bout du monde. On y aperçoit, vers le nord-ouest, le phare construit dans la première moitié du 19e siècle sur l’îlot du Gros Raz pour aider à une navigation particulièrement difficile sur les hauts fonds qui séparent le continent et l’île d’Aurigny, située à peine à une quinzaine de kilomètres au large. Le grand nombre de naufrages dans le secteur, 27 pour la seule année 1823, est à l’origine de l’édification de cette tour en granite. Les courants de marée qui balaient ce goulet d’étranglement sont extrêmement violents et le raz Blanchard, puisqu’il s’agit de lui, peut atteindre les 12 nœuds (environ 21 km/h) lors des grandes marées d’équinoxe, record qui lui assure une des premières places au niveau européen. Au port, une station de sauvetage en mer, installée dans le bâtiment octogonal abritant un canot, complète ce dispositif d’assistance et de secours.

Autour de Goury, et jusqu’à Port Racine, le granite compose la côte rocheuse longée par le GR 223. Il faut néanmoins préciser que cet affleurement est régulièrement parcouru, parfois haché, par d’étroits filons d’une roche plus sombre dont les gris-verts tranchent sur les beiges-rosés du granite : ces dolérites traduisent un épisode magmatique bien plus récent, survenu lors des mouvements hercyniens qui ont affecté ici le vieux socle cadomien.

Pour mieux comprendre les paysages de La Hague, une autre particularité mérite d’être évoquée : la plupart des nombreuses prairies en fines lanières qui bordent le GR à l’est et au sud (vers l’intérieur des terres) reposent sur des dépôts quaternaires (weichséliens : de la dernière grande glaciation, on dit aussi « wurmiens » -environ 100 000 à 10 000 ans avant nos jours-) qui recouvrent le granite. Ces pâtures sont surtout réputées pour les murets de pierres sèches qui les bordent et concourent ainsi à la forte typicité du cap. Vers le hameau de La Roche (au sud-ouest d’Auderville), les rochers granitiques émergent même des formations weichséliennes.

Localement (au nord de Goury, les Mares de Terre), des nappes d’eau saumâtre peuvent être « bloquées » en surface et donnent naissance à des zones humides tout à fait intéressantes.

Enfin, toujours le long du GR en direction du sémaphore, un épais cordon littoral, constitué de galets, voile le granite et complète le remarquable panel de milieux naturels (landes, pelouses, platiers rocheux, récifs…) qui s’expriment ici.

En présence de cette originalité paysagère et biologique, on ne s’étonnera donc pas des nombreuses mesures de protection, notamment leur classement en « Grand site national ». Face à des hameaux traditionnels très homogènes et de grande qualité, où se distinguent parfois de belles maisons aux toits de lauze (épais schistes bleus), on ne s’étonnera pas non plus du nombre important de visiteurs qui viennent en été « goûter » au cachet pittoresque de cet ensemble paysager à la fois sauvage et pourtant « domestiqué » de longue date.

En effet, les Haguards ne sont pas nés d’hier et les fouilles ont révélé ici les plus vieilles industries normandes, attribuées à des hommes de l’Acheuléen supérieur (vers 220 000 ans avant J.-C., passage du Paléolithique inférieur au Paléolithique moyen). C’est notamment le cas du site de la Roche Galétan localisé à 1 km à l’est du Nez Bayard par le GR 223 (à 80 m du trait de côte, accès également possible par la D 402 au nord de Saint-Germain-des-Vaux puis à pied). Derniers Homo erectus ou premiers Néandertaliens, ces hommes préhistoriques n’en sont pas pour autant incultes et rustauds : ils connaissent l’usage du feu, aménagent l’espace avec des cabanes, des huttes et usent de technologies que nombre d’entre nous ne sauraient maîtriser : façonnage de bifaces et production en série, grâce à la « technique Levallois », d’éclats (racloirs, encoches…) utiles à la vie courante.