Laurent Voulzy, singles 84-88
Publié le 10 avril 2023, par Charles-Erik Labadille
Belle-Île-en-Mer...
Véronique Jannot, 2012, extrait de la pochette du CD « Tout doux »
Les années 84-88 marquent la consécration du talent de Laurent Voulzy. Certainement « vidé » par la réalisation de son second album Bopper en larmes (la gestation en home studio a duré 13 mois !), il ne produira durant cette période que des singles, 4 au total : Désir, désir 1984 ; Belle-Île-en-Mer 1985 ; My song of you 1987 ; et Le soleil donne 1988. Il est clair que la qualité de ces 4 titres (et leur succès postérieur) aurait pu permettre de porter la publication d’un nouvel album, ce qui n’a pas été le cas, certainement faute d’autres compositions.
Néanmoins, le travail de cette époque sera résumé dans la compilation Belle-Île-en-Mer 1977 / 1988 publiée en 1989. Nos quatre chansons, associées dans cet album à treize autres titres des années précédentes, perdent un peu de leur sens originel, ce qu’on peut regretter car elles auraient pu permettre de développer une atmosphère originale, comme celle portée par le splendide album Caché derrière sorti 3 ans plus tard (1992).
Mais plutôt que d’afficher des regrets, des critiques faciles, mettons-nous à la place de l’artiste : qu’aurions-nous pu lui proposer à cette époque pour rassembler sur un même opus une dizaine de titres inscrits dans la mouvance de ces quatre-là. Tout d’abord, deux qui sont déjà sur la compilation tout juste citée : « Karin Redinger » et « Le cœur grenadine » qui sont bien dans l’esprit (mais qui sont déjà dans le premier album…), nous voilà arrivés à 6 ! Allez, Laurent aurait pu nous en composer une septième au lieu de partir en vacances cette année-là… Et pour compléter, pourquoi pas trois reprises du collègue Souchon, dont il a tout de même écrit les musiques, en demandant au même compère de venir les chanter avec lui : pour notre part, nous verrions bien : « J’ai perdu tout c’que j’aimais » (1977) ; « Rame » (1980) ; « Somerset Maugham » (1981, qu’ils ont d’ailleurs interprété ensemble l’année d’avant) et « Banale song » (1983). Mince, ça en fait onze au total, que du bonheur !

Désir, désir, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1984, Tonalité DO majeur

Désir, désir, L. Voulzy /A. Souchon, 1984, extrait
C’est une chanson qui, dès le départ, affiche sa banalité, se dit prosaïque : « Mais tout’ les chansons racont’ la mêm’ histoir’ Y’a toujours un garçon et un’ fill’… ». Pourquoi ce « Mais » d’introduction ? C’est peut-être pour se déculpabiliser, comme si l’auteur disait : je vais vous faire une chanson d’amour, « mais », sous-entendu ce n’est pas de ma faute, car vous le savez bien, toutes les chansons sont des chansons d’amour. C’est peut-être un peu réducteur comme discours ? Mais tout ça est dit avec un grand sourire, alors on pardonne cet apparent manque de prétention littéraire. Apparent, car si Alain Souchon de dédouane d’entrée, il sait bien que Laurent est un grand sentimental et que pour lui, il y a un challenge à tenir : il va falloir chanter l’amour d’une autre façon, un peu drôle pour changer de l’éternel refrain, choisir un angle inhabituel, rechercher les situations un peu cocasses…
C’est décidé, c’est d’un amour, sinon vache du moins conflictuel qu’il va parler, et cette fois, c’est donc « toujours toujours qui rim’ avec ouh ouh… », les pleurs, snif snif, je t’aim’ moi non plus, un autre s’est déjà essayé au genre…, d’autres également et Souchon n’oublie pas les grands maîtres des « tragédies divin’ ». Mais Corneille, Racine disaient-ils déjà aussi : « Baby I need you baby » ? Pas sûr, sinon je m’en serais souvenu le jour du Bac !
Ayant pris le parti d’en sourire et d’amuser la galerie, Alain Souchon, dans le refrain, décrit « Cett’ chos’-là » sous forme de charade, avec un raccourci drolatique qui néanmoins peut faire froid dans le dos :
Mon premier c’est désir Mon deuxièm’ du plaisir Mon troisièm’ c’est souffrir Et mon tout fait des souvenirs…

« Cett’ chos’-là », vous avez deviné ? Eh oui, c’est l’amour, peut-être cette fois avec un petit a qui semble principalement se résumer à la séduction, au désir. Par la suite, viendra la douleur mais, la compensation, c’est que cet amour laissera quelques souvenirs…
Pour le reste, les mots de Souchon ne trompent pas et c’est l’amour- « hostilités » dont il parle : la guerr’…, ça rend fou…, y’a du danger…, des victim’…, un assassin…, pendu à l’ham’çon…, mourir…. Car si soupir rime avec désir, plaisir…, il fonctionne bien aussi avec souffrir, donc dur de choisir…
À l’époque, il semble que pour Laurent Voulzy cela soit plutôt désir double (Désir désir, titre de la chanson) car il l’interprète en duo avec sa compagne du moment, l’actrice Véronique Jannot, héroïne de la série TV Pause café avec qui il vivra une dizaine d’années. Depuis, ils se sont séparés, ce qui montre que la chanson disait vrai…

« Désir désir » est un morceau plutôt folk, à la musique joyeuse, enlevée qui contraste avec des paroles qu’elle contribue donc à égayer : le tragique du texte est gommé par la musique enjouée… : voilà un bon truc à utiliser pour donner un coup de neuf, de joyeux à des discours tristounets ! En revanche, mettez des accords mineurs sur les mots de « Désir désir » et vous verrez, vous serez étonné par le sinistre résultat obtenu !
Choeurs de Laurent Voulzy, 1977 / 2001, extraits
« Désir désir » est aussi une bonne chanson pour découvrir une des particularités de la musique de Voulzy : ses chœurs. Volontairement, du moins à cette époque (années 80-90), il souhaite par leur intermédiaire apporter à ses morceaux une couleur « teen », festive, un peu « beach girls » car ces chœurs sont dominés par des voix de filles, de jeunes filles rieuses qu’on verrait bien courir sur la plage ou, le soir, discuter fort autour d’un feu ou dans une soirée chez une copine ou un copain. La voix sans artifice ni vibrato de Véronique Jannot, presque enfantine, s’accorde bien à cet univers d’adolescents joyeux. Virginie Constantin participera également jusqu’en 2001 (« Slow down ») à ces interventions vocales très caractéristiques. En écoute, voici quelques exemples de ces chœurs tirés du répertoire de l’époque : « Bubble star » 1978; « Rockollection » 1977 ; « Surfin Jack » 1980; « Idéal simplifié » 1981; « Bopper en larmes » 1983 ; « Désir désir » 1984 ; « Le soleil donne » 1988 ; « Le pouvoir des fleurs » 1992 ; « Slow down » 2001.
L’HARMONISATION DES CHŒURS

Puisque les gammes, leurs degrés et les différents intervalles qui les séparent n’ont plus aucun secret pour vous (voir les articles « Bidon » 1976, « Allô maman bobo » 1977…), il peut être dit quelques mots sur la recherche, en chanson, de secondes et troisièmes voix qui vont accompagner celle du chanteur principal.
En fait, la technique est assez proche de celle de la composition des accords (voir « Jamais content » 1977). En bref, il faut se plier à deux règles essentielles : suivre les accords qui accompagnent la voix principale : respecter la ou les gammes sur lesquelles le morceau a été composé (nombre de dièses, de bémols…).
Voyons d’abord la seconde voix. Bien que ce ne soit pas une obligation, on choisit souvent de la démarrer à la tierce (1 2 3, comptez sur vos doigts…) de la note sur laquelle démarre la mélodie…
Pour conclure avec Désir désir, signalons que Laurent Voulzy y a utilisé 5 accords sur les 7 possibles en tonalité de SOL, 3 majeurs et deux mineurs : SOL (I), SIm7 (IIIm7), DO (IV), RÉ (V) MIm (VIm) et qu’un changement de ton en LA majeur intervient pour conclure le morceau (LA, DO#m7, RÉ, MI, FA#m7).
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Belle-Île-en-Mer, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1985, tonalité SOL majeur

Isolement...

L’isolement par Digitalrecruiters
Belle-Île-en-Mer, L. Voulzy / A. Souchon, 1985, extrait
La force de « Belle-île-en-Mer », c’est que dès le début, ça sent les voyages, l’évasion, le dépaysement, la nature un peu vierge…, bref ce qui fait rêver en ces temps où la grande ville à tendance à manger le paysage, où le béton s’arrange pour grignoter insidieusement le sauvage et nos cerveaux. « Belle-Île-en-Mer », c’est encore plus fort car Alain Souchon a su, sur les orientations de Laurent Voulzy, combiner cet exotisme et la détresse des populations locales isolées, d’indigènes qu’on a longtemps pris pour des inférieurs, il faut bien le dire… Faut-il rappeler que le « I have a dream » (Je fais un rêve) du pasteur Martin Luther King a tout juste 60 ans (1963) et qu’à cette époque si proche, les Afro-Américains étaient encore considérés comme des sous-hommes par un bon nombre de blancs. On rêve également, mais là, c’est de l’ironie de notre part, quand on pense à tous ces yankees du Texas, de l’Alabama, de Géorgie et même de Floride, ces paysans ignares et frustes qui un temps ont fait rêver l’Europe et dont certains croient encore dur et fort en la ségrégation ! Et là, nous sommes dans l’immense continent américain, les vastes plaines… Le sentiment d’enfermement est encore plus grand chez les insulaires, cloîtrés par l’océan. Bien entendu, Voulzy n’est pas vraiment un indigène, ou alors à demi (c’est encore de l’humour…), qui comme bon nombre de métis a subi en France, dans les années 60, les quolibets et les vexations des soi-disant camarades d’école, des voisins de palier… Cette peine, cette amertume, « ce sentiment de solitude et d’isolement » se retrouve donc dans « Belle-Île-en-Mer » et donne à la ballade son caractère de plaidoyer pour la défense des différences en tous genres. « Belle-Île-en-mer » va donc beaucoup plus loin que le simple voyage dans les îles et c’est certainement ce discours universel qui en a fait le succès.
Alain Souchon a donc bien choisi ce qu’il pouvait comparer pour arriver à sa démonstration : d’une part les îles séparées par l’eau qui les « laiss’ à part », de l’autre le gamin Voulzy perdu en France avec
« violenc’ manqu’ d’indulgence par les différenc’ [qu’il a] Café léger au lait mélangé séparés petits enfants… ».

Belle-Île est une ballade très lente, en Sol, et l’ambiance dégagée par la guitare acoustique contribue à renforcer le sentiment nostalgique qu’on a à l’écoute du morceau, inscrit entre révolte intérieure et mélancolie. L’énumération des lieux : Bell’-Îl’-en-Mer, Marie-Galant’, Saint-Vincent…, mélange de terres françaises et des Caraïbes, fonctionne bien avec la succession des accords possibles sur la gamme de SOL : SOL (I), DO (IV) , SIm (IIIm), MI (VI qui devrait être mineur mais qui, en majeur, amène l’accord suivant (résolution), LAm (IIm), RÉ (V) qui ramène au SOL de départ (résolution), six accords sur sept possibles avec la gamme de SOL, une grande « recette » à la Voulzy que nous avons déjà vue avec la chanson précédente, « Désir désir ».
Le compositeur va ensuite utiliser un nouveau procédé répétitif pour insister sur le catalogue qu’il doit présenter dans le second couplet, l’énumération de ses misères :
« Corsair’ sur terr’ un peu solitair’
L’amour j’le voyais passer Ohé Ohé… »,
appuyé par l’assonance et l’allitération en « r » développée par Souchon, ou dans le premier couplet déjà cité :
« En France violenc’ manqu’ d’indulgenc’… ».
L’enchaînement systématique dans la partition originale du DO et du SOL7 sur 8 mesures (c’est très long…) crée une sorte de « ritournelle » qui insiste sur les mots. Nous vous proposons une variante avec une sorte de balancement créé par une descente et une remontée de basses : SOL basse sol ; SOL basse fa ; MIm basse mi… ce qui donne sol fa mi fa mi fa mi…, sorte de douce ondulation qui rappelle le cycle des vagues… et donc les îles, ou le recommencement perpétuel des mêmes souffrances…
Belle-Île-en-Mer, Voulzy/Souchon, démo guitare par Salvéda




Jugée meilleure chanson de l’année en 1986, « Belle-Île-en-Mer » est élue aux mêmes Victoires de la musique, en 1990, meilleure chanson des années 1980 et 14ème chanson du siècle. Pourtant, Laurent Voulzy révèle dans une interview au Télégramme d’octobre 2021 qu’à l’origine, l’avenir de cet hymne à la tolérance était loin d’être certain. Enregistré d’abord en 85 en face B du single « Les nuits sans Kim Wilde », le titre passe d’abord plus ou moins inaperçu. Redécouvert par hasard quelques mois plus tard à la radio par l’auteur lui-même, le titre attire son oreille. Voulzy raconte : « Elle ne passait jamais à la radio à l’époque. La chanson m’a fait un effet, je l’avais oubliée. C’était comme si c’était celle de quelqu’un d’autre. Ce n’était pas de l’autosatisfaction, mais je me suis dit qu’en fait elle était bien ». Il fait alors des pieds et des mains auprès de sa maison de disque d’abord réticente pour que le titre soit remixé et réédité. Un nouveau single est publié où Belle-Île vole la vedette et la face A aux « Nuits sans Kim Wilde ». Cette fois, la chanson est lancée et les radios la passent en boucle.
Les nuits sans Kim Wilde (Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1985)

« Les nuits sans Kim Wilde », « Belle-Île-en-Mer ». « Belle-Île-en-Mer », « Les nuits… ». Nous l’avons vu, un coup devant, un coup derrière, qui a gagné ? L’histoire nous dit que ce n’est pas « Les nuits sans… »
Kim Wilde est une jolie chanteuse pop britannique qui a connu le succès dans les années 80 avec des titres comme « Kids in America », « Cambodia »… À cette époque, Laurent Voulzy avoue avoir une sorte d’attirance pour la chanteuse dont il enregistre tous les shows télévisés. La cassette arrive entre les mains d’Alain Souchon qui, comprenant la fascination de son complice, lui propose de la mettre en chanson.
« J’ai des amoureus’ Au visag’ parfait
Qui s’endorm’ heureus’ Oui, mais
Les nuits sans Kim Wilde… »
La chanson, un peu sur un mode Gainsbourg, est envisagée comme une partie de flipper effrénée où Laurent affronterait l’image lumineuse de la chanteuse reproduite sur le fronton de la machine.
« Sur mon flipper noir Où tout seul je frim’
L’effigie d’ma rock star M’assassin’
Allez play the gam’ Shoot again start again »
Les nuits sans Kim Wilde, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1985, extrait
Contactée, Kim Wilde accepte d’intervenir sur la fin de l’enregistrement et de participer au clip réalisé à Paris. Une batterie qui bastonne, des synthés à la pelle, une ambiance eighties et presque disco mais bien assumée, et une mélodie qui prouve une fois encore le talent de Laurent Voulzy dans ce domaine. Le refrain est même époustouflant :
« Oh j’dépens’ mon énergie À oublier la nuit
Take it easy easy Take it easy, easy
Oh quell’ étrang’ affair’ Dans mon cœur ce mystèr’ Kim Wild’ »
et ces chœurs féminins…, rien que pour tout ça, « Les nuits sans Kim wilde » est un vrai petit chef-d’œuvre !
My song of you, Laurent Voulzy, Alain Souchon 1987, tonalités RÉ majeur et LA majeur, Minhia song of you 2017, DO# majeur

Un chant vers...

Nuit étoilée sur le Rhône, 1888, Vincent Van Gogh
My song of you, L. Voulzy / A. Souchon, 1987, extrait
« My song of you » fait partie des chansons les plus connues de Laurent Voulzy, même si elle n’a pas eu le retentissement planétaire de la british song auquel son titre fait allusion, « Your song » d’Elton John sortie en 1970. Dommage, car c’était encore bien joué par le roublard Alain Souchon qui, avec cette façon détournée de dire Your song, inscrivait d’office, en jouant avec les mots, la chanson dans la lignée du grand succès. Quoi qu’il en soit, ce titre est également une façon pratique de souligner, avant même que la musique ne commence, qu’il s’agit d’une grande chanson d’amour.

Bien sûr, cet air à la Voulzy donne l’occasion au poète de quelques nouvelles bonnes « sorties » à sa façon : « Song of you c’est pour séccotin’ you C’est d’la colle chantée pour que tu partes jamais », voilà un joli mélange d’anglais, de français et de néologisme à la Souchon ! Ou encore une belle formule qui pourrait laisser croire aux filles, si elles ne connaissaient pas l’humour de l’auteur, que rester dans sa cuisine à attendre le retour d’Ulysse, c’est ce qu’il y a de mieux pour elle :
Pour qu’les beaux bateaux les jolis avions
La laiss’ tranquill’ rêveus’ à la maison
Que ses itinérair’ tout’ ses croisièr’ ce soit moi…

Quant au mélodiste, ce n’est pas Elton John mais d’autres références qu’il a en tête lorsqu’il compose « My song of you ». L’hommage aux ballades de Paul McCartney est affiché, et ce ne sont pas des clins d’œil mais bien de véritables « citations » : chœurs sur « y’ait que moi –a-a » ; chant de cuivre à la Beatles (cor anglais ?) après « Your min’ you be mine » ; son de guitare solo à la Lennon dans le 4ème refrain et riff de guitare doublée en fin de chanson. Là, on voit bien que Laurent s’est fait plaisir en saluant ses maîtres anglo-saxons !


Cependant, il y a également un lien avec « Your song », c’est que l’harmonie recherchée de la chanson se prête facilement à un arrangement jazzy. Ainsi, comme Al Jarreau, entre autres, a repris « Your song », Laurent Voulzy proposera trente ans plus tard avec la chanteuse d’origine brésiienne Nina Miranda une version portugaise de « My song of you » intitulée « Minhia song of you » (dans l’album Belem sorti en 2017).
En effet, dans la première partie (couplet) en RÉ, les accords I et IV peuvent être joués sans problème avec septièmes majeurs (RÉ7M, SOL7M), ce qui donne tout de suite une couleur plus vaporeuse, plus élargie au morceau. On note encore une fois que Laurent Voulzy utilise les accords IIm (MIm), IIIm7 (FA#m7), V (LA), VIm7 (SIm7) donc 6 des 7 accords possibles sur la gamme de RÉ (RÉ7M, MIm7, FA#m7 SOL7M LA SIm7 DO#m7/5b).
En fin de couplet, pour amener le refrain en tonalité de LA (Song of you…), il transforme le MIm (tierce mineure sol) de la partie précédente (IIm de la gamme de RÉ) en MI majeur (tierce majeure sol#), ce MI (V de la gamme de LA) devenant la résolution chargée d’introduire le LA qui suit. Si les accords utilisés pour le refrain sont assez proches de ceux du couplet mais dans une autre tonalité : LA7M (I), SIm7 (IIm7), DO#m7 (IIIm7), RÉ7M (IV7M), MI (V), Laurent Voulzy glisse pour commencer cette seconde partie un contre-chant dont il a l’habitude (voir « Y’a d’la rumba dans l’air » 1977, « Karin redinger » 1979) : « la, sol#, sol… », descente mélodique autorisée par l’enchaînement des accords de LA, LA7M, LA7. Enfin, pour revenir à la tonalité du thème de départ (RÉ), Laurent Voulzy utilise l’accord de LA qui, en tant que résolution, va ramener un accord situé 2,5 tons au-dessus de lui, donc le RÉ du début. En fait, ce même LA majeur est présent dans les deux gammes utilisées dans le morceau : il est construit sur le Vème degré de la gamme de RÉ, également sur le Ier degré de la gamme de LA. Ce qui nous amène, pour conclure, à aborder le cas des changements de tons dans un morceau.
CHANGEMENT DE TONALITÉ DANS UN MORCEAU

On saisit bien avec « My song of you » qu’une chanson est une véritable construction et que certaines règles de composition aident à un bon avancement des travaux. Prenons le cas de ce changement de ton, Ré pour le couplet, La pour le refrain : il amène de la diversité dans le morceau, le second thème faisant oublier le premier.
Cette technique du changement de ton au sein d’une même œuvre est même, dans la pratique, régulièrement utilisée pour rallonger la durée d’une chanson où la répétition du thème, peut-être trop simple à l’origine, deviendrait vite « rengaine » si on y changeait pas un petit quelque chose. On se borne alors à répéter ce fragment musical mais dans une autre tonalité, voire parfois plusieurs si l’on souhaite que ça « dure » encore plus. Le plus souvent, on augmente la tonalité d’un demi-ton ou d’un ton…
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Le soleil donne, Lauent Voulzy, Alain Souchon, 1988, tonalité RÉ majeur

Le soleil donne

Le soleil donne, L. Voulzy / A. Souchon 1988, extrait
Avec cette chanson qui deviendra un des plus grands succès de notre Guadelouparisien, Laurent Voulzy et Alain Souchon enfoncent définitivement le clou planté avec « Le cœur grenadine » (1979) et « Belle-Île-en-Mer » (1985). Comme le clou mérite d’être peint pour ne pas rouiller à la longue, ils passeront la dernière couche 15 ans plus tard avec « Amélie Colbert » (2001). En attendant, Alain Souchon qui a déjà entendu Laurent commenter son enfance en disant : « On devait être deux bronzés dans la cour de l’école… », a fait une nouvelle trouvaille littéraire pour inviter avec le sourire au respect de toutes les cultures et toutes les couleurs de peau. En effet, comment soutenir le droit à la différence en général, et à celle de son ami en particulier, sans être trop sentencieux, trop donneur de leçon ? Bronzés…, bronzés… ?, mais c’est bien sûr… Il faut mettre le soleil dans le coup !
Le soleil donn’ de l’or intelligent
Le soleil donn’ la mêm’ couleur aux gens

Allez, il faut reconnaître que la trouvaille est excellente et c’est à cela qu’on reconnaît un bon parolier. Il n’en faudra pas plus pour que le soleil donne devienne un hymne à la fraternité. L’auteur ajoute juste « l’envie que tout l’mond’ s’aim’ », « vieux désir super qu’on s’rait tous un peu frèr’ » pour que la chanson atteigne vraiment la dimension humaniste, altruiste, histoire de dire qu’en plus du soleil, l’homme est également impliqué.
Laurent Voulzy va également participer à ce jeu, en abattant ses cartes habituelles pour que le travail commencé par les mots s’étoffe et devienne une véritable machine de guerre, euh non…, plutôt une véritable machine de paix !
Tout d’abord, pour renforcer cette idée de fraternité, de partage, le texte est chanté en 4 langues : d’abord le français, puis l’anglais, l’espagnol et le portugais.
Bien entendu, il y a le gimmick incontournable du style Voulzy qui va personnaliser la chanson : ici, c’est un phrasé de trompette, pour faire un peu Amérique latine, Cuba et salsa, qui va assurer le passage d’un couplet à l’autre tout en donnant un point de repère fort.
La danse, la gaîté, les tapements de mains, la fête sont également au programme, car derrière la nonchalance toute méditerranéenne du chant, le rythme bossa-samba, avec la grosse caisse très présente, comme un rythme de cœur (tou-toum, tou-toum, tou-toum…) assure l’ambiance « Carnaval de Rio » et permet les déhanchés suggestifs.


Et puis il y a ce « plan » de guitare rythmique dont il faut bien parler : une petite trouvaille aussi qui va plaire à plus d’un gratteux ! Parfois, l’origine d’un morceau tient tout simplement à la découverte d’un bon enchaînement de deux ou trois accords. Nous nous demandons encore aujourd’hui si Laurent a trouvé celui-là sur le coin de banquette de son salon, couché sur le lit d’un hôtel de banlieue, assis face à la mer…, ou s’il l’a tout simplement pompé chez un collègue musicien, sur un disque… On a tous fait ça et on ne saura jamais le fin fond de l’histoire… Mais on se demande comment un plan (ici sur deux accords) aussi simple mais aussi « fonctionnel » ne se retrouve pas dans une kyrielle de morceaux ! D’ailleurs, peut-être que c’est le cas et qu’il va falloir que nous affinions notre culture musicale chez Salvéda ? Il s’agit d’un accord de SOL et d’un accord de LA. Jusqu’ici, rien d’exceptionnel, si ce n’est qu’ils sont situés sur les degrés IV (SOL) et V (LA7) d’une gamme dont le degré I (RÉ) ne sera jamais joué dans le morceau, ce qui est plus rare. Pour développer cette sensation d’inconnu (le fait d’être en ton de RÉ n’est donc que suggéré), de flou (le propre des accords de la bossa-nova), les deux accords vont avoir la même basse : sol pour l’accord de SOL, donc sa tonique ; sol pour l’accord de LA donc sa septième. Cerise sur le gâteau, on ajoute dans l’accord de SOL la note la (seconde) et les deux accords deviennent encore plus proches : ils ont deux notes communes (sol et la), et deux notes voisines d’un ton (ré et si pour l’accord de SOL qui deviennent mi et do# pour l’accord de LA) ce qui crée une résolution ascendante de l’un vers l’autre. Il n’est donc pas étonnant que l’on puisse passer si facilement du premier au second accord !
Accord de LA7 (notes et intervalles) :
LA/sol (LA7) : sol (7m) mi (5j) la (1) do# (3M)
Accord de SOL2 (notes et intervalles) :
SOL2 : sol (1) ré (5j) la (2M) si (3M)
L’impression d’imprécision, de fondu harmonique, de vague, donc de mélange de couleurs (on y revient !) est renforcée par la mélodie qui, sur ces deux accords, est essentiellement construite sur la note la, « Tap’ sur nos… » : la la la… ; « L’envie que tout… » : la la la la…
Pour finaliser le morceau, dont la construction est assez simple, Laurent Voulzy propose un pont avec FA#m7 (IIIm7) et SOL2 (IV) ; et un refrain avec SIm (VIm), SOL2 (IV) et LA (V) où « Oh oh oh oh », il va enfoncer le clou de « La mêm’couleur aux gens… ».
Le soleil donne, L. Voulzy / A. Souchon, démo de l’intro guitare par Salvéda

Le soleil, source Justgeek
