Jamais content, Alain Souchon, 1977
Publié le 4 décembre 2022, par Charles-Erik LabadilleL'album Jamais content

Jamais content est le troisième 33 tours d’Alain Souchon sorti en 1977. Il reçoit un excellent accueil du public (Disque d’or) et certains titres comme « Jamais content », « Allô maman bobo », « Y’a d’la rumba dans l’air »… deviendront même des « standards ». On peut ajouter à ce tiercé de tête deux ballades bien « ficelées » et particulièrement attachantes, « 18 ans que je t’ai à l’œil » et « J’ai perdu tout ce que j’aimais ».
Jamais content, c’est également la première grande collaboration « Souchon / Voulzy » et la mieux « remplie » car, hormis deux chansons composées par Alain Souchon, toutes les autres musiques sont signées Laurent Voulzy. La direction artistique est assurée par Bob Socquet, celui qui a réuni les deux artistes en 1973, et les arrangements sont de Laurent Voulzy.

Cinq titres nous ont donc bien plu dans cet album, ce qui est déjà un score très honorable ! Avant de les aborder en détail, voyons ce que les autres chansons nous ont glissé à l’oreille…
Poulailler’s song (Alain Souchon, Laurent Voulzy),
qui plaît pourtant à beaucoup de monde, nous emballe moins. Il y a certes ce « Comprenez-moi ! » du refrain chanté à la façon d’une poule qui vient de pondre, suivi des caquètements des deux artistes qui s’en donnent à cœur joie… Il y a certes le rythme saccadé du couplet et la mélodie qui sont sympas. Mais l’attaque frontale, la critique et le sarcasme vis-à-vis des travers des autres (ici le conservatisme et le conformisme) sont des genres qui, à notre avis, ne vont guère à Alain Souchon qui, depuis trois ans, nous a habitués au sourire, et non au rire facile.
La p’tite Bill elle est malade, A. Souchon, 1977, extrait
La p’tit’ Bill elle est malade (Alain Souchon),
malade d’amour… Cette demoiselle pourrait être un personnage de Madeleine Lemaître alias Nell Pierlain écrivant des romans roses pour la collection Harlequin pour nourrir la tribu Souchon :
« Ell’ [la p’tit’ Bill] a trop lu d’littératur’ La plum’ cœur les égratignur’ Les p’tits revolvers en dentell’ Les coups d’ombrell’ ».
La p’tit’ Bill c’est en tout cas une des nombreuses héroïnes ordinaires d’Alain Souchon dont le cas anonyme devient exemplaire : « La p’tit’ Bill ell’ fait la gueul’ Ell’ dit qu’ell’ est tout l’temps tout’ seul’ Mais tout l’monde vit séparé Du mond’ entier ». La p’tit’ Bill pleure sur un piano un peu désaccordé, joué solo. Ce clavier « bastringue » solitaire reviendra régulièrement par la suite dans l’œuvre d’Alain Souchon.

C’est la guitare qui accompagne l’intro des deux titres suivants, avec le même picking enjoué (presque copié-collé), pourtant utilisé pour illustrer des thématiques bien différentes mais souriantes.
Le p’tit chanteur (Alain Souchon).
Avec ce titre, l’auteur a dû se dire : « Et pourquoi pas moi pour faire le prochain héros ? ». Alors il compare les malheurs du personnage public (le chanteur) :
« À la télé c’est sûr pour cacher sa blessur’ Sur sa figur’ y’a des tonn’ de peintur’ » ;
et ceux des autres héros ordinaires :
« Y’a pas ton électro-cardio dans les journaux Ton chagrin sur le dos t’es un escargot qui dit bo bo bo bo ».
Conclusion : connu ou inconnu, c’est du pareil au même !
L’autorail, A. Souchon, L. Voulzy, 1977, extrait
L’autorail (Alain Souchon, Laurent Voulzy)
Après l’apologie du gars ou de la fille ordinaires, nous descendons encore d’un cran pour passer cette fois à l’éloge de l’objet inanimé ou presque : en effet, notre train roule, avance et nous emmène dans des pays merveilleux… avec une musique joliment rétro sur le refrain et, quand on arrive à la station du dernier refrain, des mots qui nous disent :
« Michelin’ lézard quel panard Viaducs rivièr’ tout l’bazar Et viv’ l’erreur d’aiguillag’ qui nous laisserait toi et moi Deux mois sur voie (…) de garag’ ».
Et puis pour finir, on croirait entendre un Stéphane Sanseverino avant l’heure qui nous dit :
« Contre les compagnies aériennes, je n’ai aucun grief Mais tout de même, SNCF »…
Bref, « L’autorail » est une bonne chanson d’actualité, avec le retour en grâce tout récent des déplacements par rail. Cet intermède qui défend des valeurs du passé sur lesquelles on revient s’inscrit dignement dans la lignée de « Qui dit qui rit », « Y’a d’la rumba dans l’air »…, et mériterait certainement d’être redécouvert.
Loulou doux (Alain Souchon, Laurent Voulzy),
en revanche, a tout de la chanson de remplissage : une musique impersonnelle certainement « pompée » sur un rock de l’époque ; une mélodie aux abonnés absents et des paroles qu’Alain Souchon aurait dû laisser écrire à d’autres.
Allô maman bobo, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1977, tonalité FA majeur


Allô maman bobo. A. Souchon / L. Voulzy. Extrait
Avec « Allô maman bobo », Alain Souchon pousse un peu plus loin son petit héros râleur introduit avec « J’ai 10 ans ». Cette fois, il a grandi et c’est maintenant une sorte de grand ado attardé, toujours décalé et encore plus seul qui, bien qu’ayant acquis le statut envié de « vedette des variétés », vomit encore son « quatre heures » (avant les spectacles ?).
J’train’ fumée j’me r’trouv’ avec mal au cœur J’ai vomi tout mon quatre heures
Fêtes nuits foll’ avec les gens qu’on du bol Maint’nant qu’j’fais du music hall
Face à la vie, les hommes ont des comportements bien différents : il y a les optimistes (ou les chanceux, les « gens qu’ont du bol »…) qui sont heureux de tout, qui aiment la vie et s’y accrochent comme des moules à leurs rochers ; il y a ceux aussi qui n’ont pas le temps de se poser de questions métaphysiques, car leur existence pénible ou sordide accapare entièrement leurs pensées et leurs actes ; et puis il y a ceux, que leurs jours soient doux ou amers, qui auraient préféré ne pas être de ce monde et, quelque part, le reprochent à leurs géniteurs : « Allô maman bobo, Maman comment tu m’as fait j’suis pas beau ». Ce profond sentiment de malaise, de mal-être est rarement avoué en face, par peur ou, tout bonnement, pour ne pas faire de peine ; dans l’intimité, c’est la voie détournée qui est privilégiée et ici, c’est donc celle du téléphone : « Allô maman… ». En revanche l’auteur, en l’occurrence le sieur Souchon, n’a pas peur de révéler sa fragilité à la feuille blanche et donc au vaste et « grand » public : voilà un des privilèges (et aussi une contradiction…) offerts à l’artiste.
« J’suis mal en campagn’ et j’suis mal en vill’…
J’suis mal à la scène et mal en vill’…
J’suis mal en homm’ dur et mal en p’tit cœur
Peut-êtr’ un p’tit peu trop rêveur… »

Les insatisfaits chroniques, souvent mélancoliques, sont généralement aussi des rêveurs, toujours à la recherche de la moindre utopie, d’un monde meilleur.
« Moi j’voulais les sorties d’port à la voile La nuit barrer les étoiles »
Désorientés, inquiets par nature, les anxieux flamboyants développent pourtant une énergie redoutable pour faire bouger les choses car ils les remettent systématiquement en question. Cette instabilité permanente a souvent pour corollaire un véritable sens critique alimenté par un profond esprit de contradiction.
CE Labadille. L’esprit de contradiction. Extrait
Partageant des dispositions voisines de celles d’Alain Souchon, j’ai moi-même écrit sur un sujet que je crois bien connaître :
« Qu’est c’qui remet tout en question pour de bon Les rois les lois les conventions les traditions
Qu’est c’qui r’met l’endroit à l’envers faut le fair’ Et montr’ à l’avant son derrièr’
C’est l’esprit de contradiction, de contradiction ».
Allô maman bobo, démo guitare, Salvéda.
La gamme majeure

En 2014, « Allo maman bobo » a été joué par Souchon et Voulzy en Fa majeur. Nous vous en avons proposé une version en Sol majeur. Essayons de préciser cette notion essentielle de tonalité. Elle sera très utile pour comprendre sur quels principes harmoniques peuvent se construire les morceaux (voir l’article « Jamais content », chanson J’ai perdu tout c’que j’aimais »).
Dans la musique « classique » européenne, la tonalité peut se définir comme « notre » langage musical, établi à la fois : sur une gamme (succession) de 8 notes nommée par la première d’entre elle (appelée tonique, celle qui donne le ton) : gamme de Do, gamme de Ré… ; et sur son mode, majeur ou mineur (gamme de Do majeur, gamme de Do mineur…) qui repose sur l’ordre, la succession des tons et des demi-tons dans cette gamme.
Jamais content, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1977, tonalité SOL majeur
Avec Jamais content, Alain Souchon franchit le pas et dévoile son visage plus critique. Après l’autodérision et la révélation de son instabilité dans Allô maman bobo, il glisse vers un registre plus frontal où il avoue cette fois être « Carrément méchant, jamais content ». C’est du moins ce que lui reproche une personne proche : « Ell’ me dit que… ».
C’est curieux, car j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça quelque part. Jadis, quelques compagnes et amis m’ont également dit que j’étais un rien « mauvais », bref, carrément un mauvais gars ! Mauvais, méchant, quel est le mieux ou quel est le pire ? Peu importe, mais j’ai sauté sur l’occasion pour faire trente ans après Souchon une petite chanson sur le sujet. En voici un extrait :
CE Labadille, 2010, Le chabada du mauvais gars, extrait


Jamais content, 1977, Alain Souchon, extrait
En tout cas, avec « Jamais content », nul n’est besoin de se faire l’interprète de l’auteur car il ne mâche plus ses mots.
Des mots qui désavouent le monde bourgeois avec
« Des pharmaciens des notair’ Qui m’trouvaient carrément vulgair’ très ordinair’ » ;
on croirait entendre Jacques Brel chanter « les bourgeois, c’est comme les cochons… » ;
des mots qui fustigent le service militaire et l’armée avec
« Y voulaient que j’tomb’ des avions Accroché à un champignon J’leur ai carrément dit non pas beau l’avion » ;
on croirait Maxime Le Forestier chanter « Parachutiste » ;

des mots qui réprouvent le monde de la finance et de la corruption avec
« Promoteurs y voulaient canaill’ Que j’fass’ dessous d’tabl’ homm’ de paill’ » ;
on dirait… Jacques Dutronc en train de chanter
« Mais un jour près du jardin Passa un homme qui au revers de son veston Portait une fleur de béton… »
ou peut être Bernard Lavilliers avec « Corruption » ? Des mots qui condamnent l’urbanisation sauvage et le bétonnage avec
« Construir’ des tours de carton bleu Pour qu’les p’tits garçons mett’ leurs jeux J’yai carrément mis l’feu bien fait pour eux » ;
on croirait entendre Renaud chanter « Laisse béton » ou « Putain c’qu’il est blême, mon HLM ».
Le tout est entonné sous le couvert d’une autocritique qui vise à mieux faire passer la pilule : en définitive, les mots d’un chanteur « Carrément méchant, jamais content » sont-ils crédibles ? Pour Souchon, la réponse est au second degré et, bien entendu, positive…
Jamais content, guitare, plan du rock, démo Salvéda
Pour la musique, il s’agit d’un rock en SOL, avec simplement deux accords : G (Sol) et C (Do). Pour faciliter l’interprétation, le morceau peut se jouer comme un blues en MI, grâce à un capodastre posé à la 3ème case : E (Mi) et A (La), comme sur la tablature ci-après :

Les intervalles

Dans « Allô maman bobo« , nous avons vu que la gamme majeure est composée de 7 degrés séparés entre eux par des demi-tons et des tons. Revenons sur cette notion d’intervalle qui peut séparer deux notes successives.
Un intervalle, c’est la distance en tons et demi-tons, qui sépare un degré (une note) d’un autre. L’acquisition de cette notion permet, entre autres, de comprendre comment sont composés les accords et, sur votre guitare, de mieux appréhender les renversements (les doigtés) qu’au début, on a tendance à apprendre par cœur. Ainsi, au cours du temps, la logique peut épauler la mémoire qui, avouons-le, a toujours ses limites…

Y’a d’la rumba dans l’air, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1977, tonalité de RÉ majeur

Cannes

Y’a d’la rumba dans l’air. Souchon / Voulzy. Extrait
Beaucoup de nostalgie et de désuétude (et de dérision) dans cette chanson qui retrace le climat des années d’avant-guerre (39-45). Elles succèdent à celles de la « Belle Époque » qui, déjà, de la fin du XIXème siècle jusqu’au début de la Guerre 14, sont marquées par une forte expansion économique rapidement synonyme de progrès et d’insouciance. Inscrit dans une dynamique très voisine, le spectaculaire redressement économique des années 20 à 30 amène à une période d’euphorie sociale, d’amusement et d’effervescence culturelle que l’on a appelé les « Années Folles ». Elle se poursuivra, au moins sur le plan artistique, par « l’Âge d’Or » du cinéma français de 30 à 40.


Également beaucoup de dérision dans cette chanson dont le personnage-clé pourrait être bien un Jean Gabin « has been », revenant sur son « âge d’or » pour y revivre les fêtes de ses années de jeune premier (1935…). En effet, Souchon utilise dans l’introduction de la chanson le fameux « je sais, je sais… » que l’acteur vient « d’immortaliser » dans une chanson de 1974 intitulée « Maintenant je sais » (H. Green, J.L. Dabadie). Néanmoins, il faut noter que notre chanteur ne prend guère de risque avec cette parodie où il va jusqu’à appeler Jean Gabin « pépère », puisque ce dernier est décédé en 1976, soit un an avant la sortie de « Y’a d’la rumba dans l’air »…

Le choix d’une rumba n’est pas fortuit. Il répond à une recherche d’exotisme ou, pour faire plus moderne, de « World music » que l’on retrouvera dans d’autres compositions de Souchon et Voulzy : « Le soleil donne », « Amélie Colbert », « Spirit of samba »… Ce choix n’est pas étonnant non plus car rumba signifie « fête » en espagnol et colle donc à la thématique choisie. Au-delà de l’ironie sous-jacente, on ne manquera pas de retrouver chez nos auteurs une part de nostalgie pour des années un peu folles, un peu rêvées… Comme bien des chansons de Souchon, « Y’a d’la rumba » évoque donc aussi le temps qui passe.

La rumba arrive en France à partir des années 20, tout comme bien d’autres musiques exotiques et le jazz. Cette couleur se retrouve bien entendu dans l’harmonie développée savamment par Laurent Voulzy pour ce morceau en RÉ majeur (voir la grille) : accords septièmes majeurs (D7M, G7M) ; neuvième (A9, C9) ; quinte augmentée (A7/5+) ; et deux lignes mélodiques occasionnées par les successions d’accords : ré, réb, do (accords de D, D7M et D7) ; et sol, solb, fa et mi (accords de Gm, Gm7M, Gm7, Gm6), descentes que l’on retrouvera assez régulièrement utilisées par Voulzy dans d’autres morceaux et d’autres tonalités (« Karin Redinger », « Song of you », « Amélie Colbert »…). Au final, malgré sa simplicité apparente, « Y’a d’la rumba dans l’air » est un morceau à l’harmonie plutôt sophistiquée.

LA LECTURE D’UNE GRILLE (d’accords)

En plus de la tablature, il existe un autre outil, très employé en musique, pour suivre rythmiquement et jouer un morceau : c’est la grille d’accords.
Dans une grille, un carreau représente une mesure, c’est tout ce qu’il faut retenir. Cette grille se suit de gauche à droite et de bas en haut en jouant les accords dont les noms sont écrits dans chacun des carreaux. 1 seul nom d’accord dans 1 carreau : il durera ici 4 temps. 2 noms d’accords dans 1 carreau : chacun durera 2 temps. 4 noms dans 1 carreau : chacun durera 1 temps. Une double barre avec deux points vous indique d’aller à la suivante et de rejouer la portion de grille située entre les deux doubles barres.

Bugatti...
Quant au balancement chaloupé de cette chanson, il donne l’occasion d’approfondir nos connaissances rythmiques débutées avec les battements de pied qui, depuis l’article « J’ai dix ans » 1974, ne doivent plus guère avoir de secret pour vous…
Mesures et changement de mesure dans un morceau binaire

En chanson, et en musique folk, pop, rock, le type de mesure le plus utilisé est le 4/4. La mesure correspond à un découpage mathématique du morceau et la partition est donc « tronçonnée » en plusieurs fragments d’une même durée…
18 ans que je t’ai à l’œil, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1977, tonalité de SOL majeur
J’ai perdu tout ce que j’aimais, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 1977, tonalité de RÉ majeur

18 ans que... j'ai perdu...

18 ans que j’t’ai à l’oeil, 1977, A Souchon / L Voulzy, extrait
J’ai perdu tout c’que j’aimais, 1977, A Souchon / L Voulzy, extrait
Si « Y’a d’la rumba dans l’air » est plutôt sophistiquée, c’est tout l’inverse avec « 18 ans que je t’ai à l’œil » et « J’ai perdu tout ce que j’aimais ». Néanmoins, la simplicité de l’harmonie est largement compensée par de belles mélodies qui touchent et se retiennent bien. Globalement, il y a six accords dans 18 ans… …et la même chose dans J’ai perdu… ! Donc, sobriété, sobriété…
Pourtant, si les deux titres sont en Mi mineur, ils ne sont pas dans la même tonalité. En effet, 18 ans que j’t’ai à l’œil est en MI mineur et dans la tonalité de SOL ; J’ai perdu tout ce que j’aimais est aussi en Mi mineur mais dans la tonalité de RÉ. Il y a là un petit secret et la « patte » du sieur Voulzy qui « connaît bien la musique ». Expliquons-nous…
L'harmonisation de la gamme majeure

Dans nos civilisations occidentales, la gamme majeure a été choisie pour construire les mélodies, c’est-à-dire jouer des notes les unes après les autres (lecture horizontale). On peut également jouer des notes en même temps (lecture verticale), on parle alors d’accords et d’harmonie. Et, bien entendu, on peut enfin produire des accords conjointement à une mélodie pour créer un « accompagnement », c’est ce que l’on fait dans tous les styles de musique, chanson, variété, blues, jazz… Mais comment faire pour que ces accords sonnent « justes » avec la gamme sélectionnée.
À regarder les deux chansons, on pourrait croire qu’elles sont dans la même tonalité. En effet, le couplet de « J’ai perdu » commence par un accord de SOL et son refrain par un MI mineur ; et le couplet de « 18 ans » commence par un MI mineur et son refrain par un SOL. Tout cela se ressemble beaucoup, vous en conviendrez…
Pourtant, les deux titres sont écrits dans deux tonalités différentes ! Il y a donc une subtilité et on reconnait là la « patte » de Laurent Voulzy. Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il « connait bien la musique » et en particulier la « règle bien utile » déjà présentée dans « Bidon » et qui concerne « l’harmonisation de la gamme majeure ». Alors, tentons de replacer les accords des deux chansons sur notre petit schéma de base : I, IIm, IIIm, IV, V, VIm…
Les 6 accords de « J’ai perdu » trouvent bien leur place sur la gamme de RÉ majeur :
RÉ (I), MIm (IIm), FA#m (IIIm), SOL (IV), LA7 (V7), SIm (VIm), VIIm7/5b (non utilisé).
Les 6 accords utilisés dans « 18 ans » fonctionnent plutôt sur la gamme de SOL majeur : SOL (I), LAm (IIm), SI7 (hors tonalité), DO (IV), RÉ7 (V7), MIm (VIm), VIIm7/5b (non utilisé).
Ainsi, malgré ce petit air de ressemblance trouvé à la première écoute, les deux chansons sont bien différentes !



La perte d’un être cher, voilà la thématique de ces deux chansons mélancoliques : s’il s’agit de celle d’une compagne dans « J’ai perdu tout ce que j’aimais », Alain Souchon dévoile dans « 18 ans que je t’ai à l’œil » comment il affronte celle d’un père disparu dans un accident de voiture alors que l’auteur n’avait que quatorze ans.
Le registre n’est donc pas au sourire… Néanmoins, on note que le sarcasme n’a pas disparu pour évoquer le chagrin d’amour :
« Ell’ est partie fair’ du voilier Avec ce grand crétin frisé ».
En revanche, dans 18 ans…, c’est un homme beaucoup plus discret, sensible qui semble d’ailleurs ne plus s’adresser qu’à lui-même, au travers d’images fortes mais toutes personnelles sur la disparition et surtout le désarroi qu’elle laisse :
T’es à Bagneux dans les feuill’ J’vais jamais t’voir j’aim’ pas ça...
T’es dans ma peau mes p’tits airs Un fil débranché plus d’air Dans des camions à gasoil Qui tap’ dur sous les étoil’

L’automne est là, à quatorze ans… Plus qu’un message, c’est une discussion privée et très intime entre un fils et son père :
« Tu m’as manqué bien des fois… » ;
« Et si tu m’voyais des fois J’suis pas trop gentil pas sympa ». Alain Souchon, 1977.
