J'ai dix ans, 1974
Publié le 8 novembre 2022, par Charles-Erik LabadilleTrois petits 45 tours et puis s’en vont…

Notre histoire pourrait commencer avec l’achat vers 1960 d’une première guitare par Alain Souchon, et un séjour en Angleterre deux à trois ans plus tard (de 17 à 19 ans) où il emporte dans ses bagages ses mentors français (Brassens, Ferré, Brel, Béart…) et s’intéresse à la musique anglo-saxonne. 10 ans plus tard, après avoir tenté sa chance dans la chanson à Paris (cabarets de la Rive Gauche), il devient membre de la SACEM et, à 28 ans (1972) sort trois 45 tours chez Pathé Marconi qui n’ont pas le résultat attendu. Il faut dire que les chansons concernées :

- Je suis un voyageur,
- Restons chez nous,
- Un coin de solitude
- Qu’est-ce qu’ils ont les hommes,
- Et demain sera un autre jour,
- Léocadia,

ne se signalent pas par leur originalité et donc ne se démarquent guère de la concurrence « variétisante » du début des années 70. La musique est très conventionnelle, on y sent l’influence de « grands » du moment : Serge Lama, Michel Delpech, Marcel Amont, parfois peut-être Jean Ferrat, Hugues Aufray… Et les paroles ne viennent pas sauver la mise : plutôt attendues, voire convenues, elles montrent une sorte de grand adolescent attardé avec des utopies déjà fatiguées, une espèce de trentenaire boy-scout, idéaliste mais très naïf dans ses propos.
L’année suivante, un ami le présente à un directeur artistique de RCA, Bob Socquet qui l’encourage à interpréter lui-même un titre qu’il a composé à l’origine pour Frédéric François. Chantée pour la première fois au festival de Spa en Belgique, l’amour 1830 est sélectionnée au concours de la Rose d’Or d’Antibes où Alain Souchon remporte deux prix de « consolation » (prix spécial de la critique et le prix de la presse). C’est le déclic qui entraîne l’enregistrement d’un nouveau recueil de 6 compositions où figure en bonne place la chanson primée.
L’album « J’ai dix ans »

En effet, quand il paraît chez RCA en 1974, J’ai dix ans ne s’appelle pas J’ai dix ans (car il n’a pas de nom), et a la forme d’un EP, soit un « Extended Play » avec seulement 6 chansons. Les gens, quand ils en parlent, l’appellent plutôt « Petite annonce », du titre du premier morceau. Ce n’est que plus tard, suite au succès de « J’ai dix ans », que le disque deviendra un LP, un « Long Play », auquel on ajoutera quelques chansons pour faire l’album J’ai dix ans, le premier d’Alain Souchon.
Par rapport aux premiers 45 tours de l’auteur, ce disque est plutôt plaisant, et on ne peut pas contester l’intérêt général des paroles et de certaines musiques. Mais il continue également à avoir les défauts de l’époque. Si les textes tirent déjà leur épingle du jeu, les musiques s’inscrivent encore dans le courant des « variétés » françaises d’alors. Alors…, ça sonne plutôt consensuel, donc pas très original. Les harmonies et les mélodies ont, dans l’ensemble, quelque chose de prévisible, d’attendu, sans parler, pour certaines compositions, d’un romantisme grandiloquent très en vogue dans la variété du moment.

Et les arrangements, plutôt pompeux, parfois même sirupeux, n’arrangent pas vraiment les choses… Curieusement, une bonne part est due à… …Laurent Voulzy ! À l’écoute, on peut même avoir du mal à supporter certains chœurs féminins languissants ou vocalisant à la lyrique, certaines trompettes emphatiques, et quelques nappes de violons noyant tout sur leur passage ! En définitive, nous restons persuadé que 8 chansons sur 11, libérées de leur gangue orchestrale, sonneraient bien plus moderne et valoriseraient mieux des paroles un peu éclipsées par tout ce bruit et cette fureur des débuts des années 70 !
Dans cet univers très conventionnel, voire un peu défraîchi, « J’ai dix ans » apparaît presque comme un ovni. Alors, si ce n’est pas un album « mémorable », J’ai dix ans est tout de même un album plein de charmes (désuets, rétro ?), à écouter au moins par curiosité.

Hormis « J’ai dix ans » que nous allons voir en détail plus tard, on peut visiter les autres titres de l’album, peut-être pour se faire une meilleure idée des thématiques choisies et des orientations suivies par un Alain Souchon presque à ses débuts.
Tout d’abord, trois chansons se détachent du lot, nous semble-t-il, mais pour des raisons différentes. Elles font toutes trois partie de la première mouture EP.
Petite annonce, Alain Souchon, 1974, extrait
Petite annonce (Alain Souchon)
On peut regretter la musique un peu surfaite (surtout pour le refrain), les arrangements presque insupportables (notamment ces chœurs soupirants mais pas que…), mais l’on devine déjà sur le couplet l’intonation, le phrasé du futur interprète ; on sent aussi sa désillusion dans cette recherche, par petite annonce, de la fille introuvable, de la fille rêvée ; on découvre également le faiseur de mots : « Cherch’ un’ fill’ aubépin’ au dédal’ des planèt’ Dans des années prièr’ peut-êtr’ peut-êtr’ peut-êtr’ Cherch’ un amour lumièr’ et j’ai mal à la têt’ Écrivez ».
Portée par une autre musique, cette chanson aurait certainement pu aller loin…
C’était un soir, Alain Souchon, 1974, extrait
C’était un soir (Alain Souchon)
Ici, c’est un autre futur leitmotiv de l’auteur qui se fait jour : la mélancolie. Il dit préférer à la monotonie de sa vie actuelle, les joies mais aussi les chagrins du passé quand, au moins, il se passait quelque chose :
C'était un soir de temps qui pass’ Avec ses mégots ses palac’ Et ces visag’ fatigués fatigués J'avais des soirs de poésie tout là bas quand j'étais p’tit Avec des rir’ de confitur’ coulant sur des pag’ d'écritur’ J'avais des soirs de tragédie de larm’ et de piqûr’ d'orties De vrais chagrins au fond des nuits de mes nuits
La musique, quant à elle, ressemble plus à du « Souchon », peut-être même a-t-elle des intonations à la Jonasz ? Ici, la guitare sèche, le piano Fender Rhodes…, la basse-batterie et des arrangements plus discrets (de Laurent Voulzy) permettent une meilleure mise en valeur du texte.

Coluche n’aurait pas renié ce « T’es con t’aurais dû v’nir. Le 10 mars 1974, il signe le contrat d’un premier disque : l’album des Adieux.
T’aurais dû v’nir, version acoustique, Alain Souchon, 1974, extrait
T’aurais du v’nir, version arrangée, Alain Souchon, 1974, extrait
T’aurais dû venir (Alain Souchon)
C’est le petit côté subversif, autocritique, iconoclaste qui fait son apparition avec cette chanson. L’utopie, quant à elle, se résume à « « Nous rêvions d’avenir T’es con t’aurais dû v’nir », un peu comme si on disait « c’était sympa, t’as raté quelque chose, même si… ». Un discours plus direct donc, de l’autocritique, du second degré cette fois, avec même ce côté un peu iconoclaste, comme ses parents qui proposent : « Notre fill’ a grandi ell’ est bell’ Viens dormir avec ell’ ». T’aurais dû venir est donc une véritable chanson de transition pour le style d’Alain Souchon, avec d’une part son petit côté variété, de l’autre la nouvelle tendance qui se dévoile avec un phrasé plus rapide, plus rythmique des paroles : « Le lendemain, café au lait au lit À partir d’aujourd’hui, on se lève à midi ». En fait, dans la version orginale (EP), la chanson est juste ébauchée, presque comme si elle était improvisée en studio : une guitare, une voix, discussion avec les techniciens, 1 min 38… Cette version unplugged (débranchée, naturelle) est plutôt sympa et annonce certainement le Souchon « nouveau » ; elle se rapproche de « J’ai dix ans » dont elle se fait l’écho en fin d’album. La version orchestrée ajoutée au LP, avec la seule batterie « rock » de l’album, curieusement, est un peu décevante et rend moins compte du caractère innovant qu’aurait pu avoir le titre. Cette version, sortie en 45 tours un peu après, ne connaîtra d’ailleurs pas le succès.

Partir, A. Souchon, Claude Vallois, 1974, extrait
Poursuivons avec les deux derniers titres de l’EP originel.
Partir (Alain Souchon, Claude Vallois),
comme remède à la déception…, c’est un texte très classique sur une bonne musique qui pourraient être « sauvés » par des arrangements plus légers portés, par le souffle du vent et du voyage…
L’amour 1830 (Alain souchon)
Le texte ne nous emballe pas trop. Mais la mélodie se retient bien, la musique se laisse écouter, avec même cette petite intro qui annonce peut-être les années Jonasz (« Je voulais te dire que je t’attends », 1976). En revanche, il y a toujours ces arrangements too much !
Londres sur Tamise (Alain Souchon, Claude Valois)
La chanson est très proche, dans la forme, de « L’amour 1830 ». On s’éloigne des généralités, et l’auteur, dans un style plus personnel, nous fait ses premières confidences, souvenirs d’une époque où il vivait en Angleterre. Si la fêlure, la fragilité d’Alain Souchon transparaissent encore mal, cette nostalgie, ce dépit amoureux resteront au programme du chanteur pendant de longues années.
Hormis ce dernier titre, les 4 autres chansons ajoutées pour « fabriquer » le Long Play sont moins intéressantes.
Les paquebots (Alain Souchon)
On sent un peu de la déclamation de Brel dans cette chanson où la nostalgie s’invite pour nous faire regretter la disparition des traversées romantiques : « Les grands paquebots sont morts ».
La fille du brouillard (Alain Souchon)
Avec ce morceau arrangé façon klezmer (une autre mode des variétés des années 70), on plonge dans une légende de Bavière accompagné par une sirène qui apporte l’amour (Lorelei, Lorelei !…, mais quel est l’intérêt d’avoir choisi cette thématique ?).
« Le château » (Alain Souchon, Claude Vallois, Laurent Voulzy),
très sirupeux, presque dégoulinant d’arrangements, présente un intérêt limité : quittons la ville folle, rien que toi et moi dans ton château… Cette thématique, revisitée beaucoup plus tard avec « L’Île du dédain » (La vie Théodore, 2005) montrera comment les Souchon, au mieux de leur forme, peuvent casser la baraque (ou le château).
Les oiseaux (Alain Souchon, Claude Vallois)
Nous préférerions presque ne pas en parler tellement la chanson est conventionnelle et naïve. D’ailleurs nous avons été étonné de ne pas voir Chantal Goya figurer au nombre des auteurs : « Leurs fusils sont levés, non non pas les oiseaux… laissez les chanter ! ». C’est sans doute la plus mauvaise chanson de l’album, mais il en faut bien une ! Comme quoi, même les grands hommes peuvent commettre des erreurs. Alors, cessons de ruminer, parlons plutôt des grands bonheurs et attaquons… … « J’ai dix ans » avec son célèbre « Si tu m’crois pas, hé T’ar ta gueule à la récré » !
La chanson "J'ai dix ans" (tonalité SOL)
J’ai dix ans. Alain Souchon / Laurent Voulzy 1974. Extrait
C’est donc le premier tube qui révèle au grand public la collaboration d’Alain Souchon et de Laurent Voulzy. C’est le premier succès d’Alain Souchon car il se présente dans la chanson comme un jeune homme qui refuse obstinément la vie adulte et donc de grandir :
J’ai dix ans Je sais que c’est pas vrai mais j’ai dix ans Laissez-moi rêver que j’ai dix ans Ça fait bientôt quinze ans que j’ai dix ans Ça paraît bizarre…
Pourquoi « car » ? Parce qu’Alain Souchon ne se présente pas comme n’importe quel gamin, il choisit le cancre un peu rêveur qui cherche surtout à s’amuser, vivre et rigoler : « J’ai dix ans je vais à l’écol’ et j’entends De bell’ parol’s doucement Moi je rigol’ cerf-volant Je rêv’ et je vol' »

Et les Français aiment en secret ces gentils vauriens car ils s’inscrivent dans la longue tradition culturelle d’un peuple râleur et rigolard. L’affaire commence peut-être en 1912 avec le livre de Louis Pergaud « La guerre des boutons ». Elle se poursuit avec le photographe Robert Doisneau qui présente en 1934 le fameux cliché intitulé « La sonnette ». Elle s’installe avec l’adaptation au cinéma en 1961 par Yves Robert de cette même « guerre des boutons ». Comment ne pas craquer devant la célèbre réplique de Martin Lartigue alias Petit Gibus : « Ben mon vieux si j’aurais su j’aurais po v’nu ! »

Ce franc parler est repris par Alain Souchon qui lui aussi a trouvé la formule qui « frappe » : « Si tu m’crois pas hé, tar’ ta gueul’ à la récré ! »

Cet esprit « frondeur », introduit également par le célèbre livre de Jules Romain « Les copains » publié en 1913, se perpétuera naturellement jusqu’en 1961 avec la sortie du premier album BD d’un petit Gaulois rigolard présenté par René Goscinny et Albert Uderzo. Dans la foulée, le premier s’associera à Jean-Jacques Sempé pour créer « Le petit Nicolas » (notre illustration). Tout ce terreau fertile n’est donc pas étranger à la bonne fortune en 1974 de « J’ai dix ans » ; ni à la future carrière réussie du chanteur Alain Souchon qui a trouvé là la nouvelle position à défendre dans l’univers impitoyable de la chanson française et du show business : il campera un personnage original, à l’image décalée, fragile mais mordante, toute en autodérision, mélancolique mais également critique. C’est peut-être là sa vraie nature, profondément duale. Observateur attentif des réalités sociales de son époque, il deviendra au fil des décennies une sorte de La Bruyère du 20ème siècle en nous livrant régulièrement de nouveaux « Caractères » à méditer.
Ce qui séduit également d’entrée dans « J’ai dix ans », c’est ce rythme enthousiaste qui amènera rapidement les foules à taper dans leurs mains pour accompagner le chanteur. Ce rythme, ce swing, ce groove comme on dit aujourd’hui, mérite bien un premier approfondissement technique. Et puisque les foules battent des mains pour souligner la cadence, les musiciens doivent d’abord apprendre à taper du pied pour se repérer et trouver des points d’appui dans un espace-temps pour le moins infini…

Taper du pied...
Rythme, pulsation, tempo et... ...taper du pied !

Gratter des notes ou des accords sur sa guitare est une bonne chose, mais les jouer en mesure, en rythme est essentiel. En effet, avec l’harmonie, le rythme est la seconde composante musicale naturelle, et si certaines fausses notes ne sont pas remarquées par les moins mélomanes, la plus petite erreur rythmique attire les gros yeux de tous les auditeurs, quelle que soit leur culture musicale ! Alors, essayons de comprendre les premiers rudiments de ce balancement régulier qu’on nommait hier le swing et qu’on appelle aujourd’hui le groove.
Pour mettre un premier pied dans ce monde délicat plein de chausse-trapes, nous vous proposons de vous associer à un partenaire très utile, justement votre pied (voire même vos deux pieds). Non, il ne s’agit pas d’une plaisanterie ou d’une de nos dernières fantaisies. Si bien des musiciens formidables desti-nés à de beaux parcours artistiques n’ont pas besoin de cet artifice un peu fruste et bruyant, bon nombre d’amateurs et d’autodidactes ne cherchant que le plaisir dans la musique doivent une fière chandelle à cet allié de choix capable de marquer les temps mais aussi de repérer les contretemps !…
Bip Bop, Wings, 1971, extrait
Si le texte a donc contribué au succès de J’ai dix ans, la musique de Laurent Voulzy y a également largement participé. Aux dires du compositeur, il s’agit d’un « picking » inspiré par la chanson Bip Bop de 1971 des Wings (Paul McCartney) et son gimmick de guitare un peu particulier. Il s’agit d’un « choke » qui se répète sur les 3 accords principaux (MI, LA, SI7), entendez par là un « poussé » sur une corde qui permet d’atteindre le demi-ton supérieur (ici, Fa# poussé vers le Sol). Il est vrai qu’on retrouve bien l’esprit de « Bip Bop » à l’écoute du début de « J’ai dix ans ». Cette confession de Voulzy l’excuse donc à moitié ! Mais voyons si le contexte français de l’époque est porteur pour cette chanson typiquement folk et « picking ».
L’ARRIVÉE DU FOLK EN FRANCE
La fille du nord, B. Dylan / H. Aufray, 1965, extrait
Le folk et le « protest song » (en gros, la « chanson engagée ») venus des États-Unis s’installent véritablement en France avec Hugues Aufray et son disque « Hugues Aufray chante Dylan » édité par Barclay en 1965. L’album trouve rapidement un accueil très favorable dans la jeunesse, écho qui ne va pas se démentir dans la dizaine d’années qui va suivre.
Je perds ou bien je gagne, Graeme Allwright, 1968, extrait
Sur les talons (de santiags) de ce pionnier français de la World Music, c’est Graeme Allwright qui va « exploser » avec la sortie en 1966 et 1968 de ses deux premiers albums « Joue, joue, joue » et « Le jour de clarté » largement plébiscités par le public de l’hexagone. Outre l’introduction auprès de ce dernier du chanteur et poète canadien Léonard Cohen, Allwright apporte un « son » encore rare à l’époque avec des arrangements qui font la part belle à des guitares acoustiques très « folk » et des musiciens qui pratiquent des techniques encore quasi inconnues sur le vieux continent, entre autres, le « picking » : les chansons « Je perds ou bien je gagne » et « La ligne Holworth » de l’album « Le jour de clarté » sont représentatives de ce style d’accompagnement à la guitare.
Pour ma part, « gratouillant » depuis deux ans, c’est en 1973 que j’ai découvert cette technique. Nous étions en automne, employés depuis trois mois comme saisonniers pour ramasser les pommes et tailler les arbres dans une exploitation berrichonne. Moi et trois potes de Normandie avions monté un petit groupe, nous étions déjà très fiers d’interpréter nos premières compositions le soir à la veillée devant l’assemblée des cueilleurs et, bien entendu des cueilleuses… Quelle désillusion quand sont arrivés dans ce petit monde bucolique deux nouveaux jeunes saisonniers, guitares en mains et pratiquant déjà un « picking » irréprochable ! Néanmoins, après bien des sollicitations restées sans réponse puis quelques jours de torture, nous avons réussi à leur tirer du nez (et des doigts) la recette de ce véritable chamboulement musical dont il faut bien dire quelques mots :
Le "guitar picking" ou "finger picking" ou encore "picking" tout court

Old country rock, Steve Waring, Roger Mason, 1970, extrait
Le picking apparaît en France au milieu des années 60, « importé » par les guitaristes-chanteurs Steve Waring et Roger Mason. Ils introduisent également un nouveau mode d’écriture de la musique, adapté à la guitare et moins « rébarbatif » que le solfège en publiant quelques-unes de leurs partitions sous forme de tablatures (voir dans cette rubrique, « Caché derrière », « La lecture d’une tablature »). Leur disque « Guitare américaine Spécial instrumental » avec tablatures paraît aux éditions Le chant du monde en 1970. Ces deux pionniers participent à la transmission de la guitare folk et à l’apprentissage du finger picking en publiant en 1971 « L’anti-méthode de la guitare folk ».
My old friend Pat, Marcel Dadi, 1973, extrait
Ils seront bientôt rattrapés par un outsider qui va très vite s’imposer comme le pilier incontournable du style picking. Marcel Dadi commence à se faire connaître dans le cadre des soirées du mardi du Centre américain du boulevard Raspail à Paris, ces Hootenanny organisés par Lionel Rocheman et auxquels participent de nombreux guitaristes, Waring, Mason, mais également Stefan Grossman, Michel Haumont, Hervé Cristiani, Dick Annegarn… Les facilités de Dadi à pratiquer un style de guitare encore peu connu vont le propulser en avant : apparitions à la télé, tenue d’une rubrique dans la revue Rock & Folk et sortie de son premier album en 1973 : « La guitare à Dadi » qui devient Disque d’or. Peu après, il publie « La méthode de guitare à Dadi » vendue à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires et qui va véritablement vulgariser le picking. Entre autres, on trouve dans cette méthode la tablature de « La ligne Holworth » de Graeme Allwright qui deviendra un des standards français du guitar picking. Au moins à une période de leur carrière, certains guitaristes se sont fait une spécialité de cette technique de jeu : parmi les plus connus, citons Pierre Bensusan, Alain Giroux et Jean-Félix Lalanne (le frangin de Francis)…
Sacré géranium, Dick Annegarn, 1973, extrait
Terminons ce court historique en citant le petit génie de la famille picking, le pataphysicien à la créativité débordante Dick Annegarn. Son jeu de guitare très original et « bien trempé » avec claquement des lignes de basse, percussions… a marqué toute une génération d’instrumentistes. Mais ce « hollandais volant » à la voix grave et rocailleuse, apparaîtra et disparaîtra, comme dans la légende, maintes fois dans l’univers du show business. Plutôt flegmatique et discret, il semble ne jamais avoir trop prisé une vie médiatique encombrante, comme semble l’annoncer cet extrait d’une chanson de son premier album « Sacré géranium » :
Quell’ tribu voudrait m’adopter Je suis un égaré Sans carte d’identité Je me pli’rai à vos coutum’ Si vous acceptez mon volum’
Je suis un bébé éléphant égaré Pourriez-vous s’il-vous-plait Me rechercher…

Mais alors, en quoi consiste cette technique apparemment « prodigieuse ». À l’origine, elle tente de reproduire le style de jeu des pianistes de ragtime et a été pratiquée par de nombreux bluesmen et musiciens de country américains. Littéralement, il s’agit de « cueillir au doigt (finger-picking) les notes. Et chaque doigt de la main droite va avoir un rôle particulier à jouer dans le cadre de cet arpège très rythmé. Comme au piano mais avec une seule main disponible (la gauche pour les droitiers), le guitariste doit pouvoir réaliser en même temps l’accompagnement (main gauche du pianiste) et la mélodie (main droite du pianiste) pour le morceau choisi.
J’ai dix ans, démo Salvéda, capo 3eme case, extrait

Après ce que nous venons de voir, on peut dire que le « picking » de Voulzy, en 1974, s’inscrit sans réserve dans un contexte favorable. De plus, cet accompagnement très gai (accords essentiellement majeurs) et plein de vitalité (rythme des basses alternées) se marie particulièrement bien avec les paroles « rigolotes » de Souchon.
À terme, « J’ai dix ans » donnera son nom à ce premier disque studio d’Alain Souchon et sera son premier succès commercial. Les autres titres resteront plus confidentiels,
La lecture d'une tablature

Mais au fait, aussi intéressante que soit la tablature de « J’ai dix ans », faut-il encore pouvoir la déchiffrer ! Voici donc quelques infos :
La tablature permet de lire la musique lorsqu’elle est écrite pour guitare. Les 6 traits horizontaux (et non 5 lignes comme dans une portée classique) représentent les 6 cordes de la guitare Mi grave La Ré Sol Si Mi aigu, la Mi grave étant en bas (on met toujours les basses vers le bas en musique, ce qui est logique). Les chiffres écrits sur ces cordes représentent les cases dans lesquelles se posent les doigts au cours du morceau.