Ecoutez d'où ma peine vient, Alain Souchon, 2008
Publié le 27 juillet 2023, par Charles-Erik Labadille
Elle danse...
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L’album Écoutez d’où ma peine vient

Solstice de Blanca Li par Laurent Philippe
Bon, ne le cachons pas plus longtemps, cet album est moins bon que les précédents. Mais attention, ne nous faites pas dire ce que nous n’avons pas dit, il n’est pas mauvais non plus ! D’ailleurs, le problème vient-il de l’album ou de nous ? C’est que voilà, nous sommes devenu difficile avec le temps, nous avons pris des habitudes de luxe car Alain Souchon nous a accoutumé au meilleur. Alors, essayons de faire le point pour voir ce qui éventuellement aurait pu moins bien fonctionner dans cette fournée de 2008…
Tout d’abord, précisons qu’Alain Souchon et ses musiciens ont un peu « gonflé », comme un « bubble » album, un projet initial où le chanteur n’avait écrit au préalable, pour un documentaire de France 3, que deux chansons. Deux chansons, deux chansons, l’équipe gamberge…, et pourquoi pas un album ? Seulement, pour arriver à 10 titres (puisque le onzième est une reprise de « Bonjour tristesse » déjà enregistré en 2005), il aurait fallu avoir la ressource, l’endurance d’un marathonien en même temps que la vitesse d’un sprinter ce qui, en règle générale, n’est guère compatible. Alors, les 10 chansons, nous les avons bien, mais le résultat n’est peut-être pas à la hauteur des attentes, d’autant que l’ami Voulzy, totalement accaparé par son projet de recollage de petits morceaux d’airs pop (voir Recollection), n’a pu participer que pour une chanson. À ce rapide tour de magie permettant de changer deux chansons en dix, s’ajoutent également des petits défauts devenus récurrents dont l’accumulation pourrait, à terme, devenir gênante.
Nous allons sans doute ressasser les mêmes jérémiades, mais il faut bien justifier nos petites doléances visant essentiellement les musiques, des musiques, une fois n’est pas coutume, quasiment toutes écrites par Alain Souchon (en collaboration avec son fils Pierre pour deux). L’un des points les plus sensibles, nous en avons déjà parlé, tient au manque de cohérence de l’album due à la juxtaposition de styles trop différents. On ne pioche pas les yeux fermés dans la boîte à musique et pouf ! On sort un calypso ; pouf, on sort un disco ! Pouf pouf, on sort un folk… À notre sens, ça ne peut pas fonctionner comme ça car cela nuit à l’ambiance d’un album qui peut même devenir chaotique, les montagnes russes, le coq à l’âne… Mangeons donc le coq au vin et restons-en à l’âne qui, sur la pochette, à l’air bien sympa… Variété, variétés…, quelques arrangements de Renaud Letang ne nous ont pas non plus convaincu, ceux de « 8 mètres carrés », « Parachute doré », « Sidi Ferouch », « Oh la guitare »…) et semblent même avoir amplifié ce décalage entre les morceaux, certains étant restés presque précieux, d’autres étant devenus, c’est difficile à avouer, un peu « lourds ». Sur le plan de la composition musicale, il a déjà également été évoqué la monotonie que peuvent apporter les courtes séquences répétitives, ces « boucles » supportant parfois des chansons entières : c’est le cas ici de « Sidi Ferouch », « La compagnie »… Enfin, le propre des bonnes chansons, c’est d’avoir des mélodies qui accrochent. Il y en a dans cet album, nous allons y venir, mais l’inverse est également vrai : « La compagnie », « Parachute doré », « Sidi Ferouch » n’ont pas ce petit fil conducteur qui guide l’oreille.
Alors, cette multiplication des pains, permettant de passer de 2 à 10, n’aurait-elle pas totalement abouti ? « Parachute doré », « La compagnie », « Sidi Ferouch », peut-être pas assez cuits, peut-être pas assez sucrés, nous ont moins emballé. Ceci dit, ces propos ne doivent pas être pris comme une vérité universelle : ils n’engagent que nous. Certains apprécieront sans doute ces chansons qui nous laissent plus froids. Car à côté de toute considération artistique, il y a aussi et toujours une question de goût personnel.

Au final, nous pourrions encore évoquer une dernière chose, puisque nous en sommes aux contenus créatifs. La musique n’est pas un sacerdoce à qui l’on doit tout sacrifier, son temps, sa santé, sa présence, son envie d’autre chose et en plus, nous savons tous que l’inspiration, ça va ça vient ! Pour notre part, nous nous sommes d’ailleurs souvent dit que, passée l’écriture d’une cinquantaine de chansons, le discours peine à rester original. C’est l’important problème du renouvellement des idées, des contenus qui, à la longue, se tarissent forcément ou, au moins, passent des crues aux étiages : c’est la baisse de régime ! Alors, pour nos deux auteurs-compositeurs, à combien de chansons en sommes-nous en 2008 ? Environ 120 écrits pour monsieur Souchon ? Une cinquantaine de musiques pour monsieur Voulzy, sans compter une autre cinquantaine écrite pour Alain Souchon ? Sachant qu’année après année, œuvre après œuvre, il faut dépenser de plus en plus d’énergie pour rester créatif, le contrat nous semble donc bien rempli. Alors, dernier tour de passe-passe, transformons plutôt nos quelques chicanes en compliments que nous adressons à ces deux-là : en effet, bon an mal an, il faut reconnaître qu’ils ont maintenu leur production à un niveau de qualité tout à fait bon.

Parachute doré (Alain Souchon, David Mc Neil, Pierre Souchon)
Cette chanson pose deux questions. D’abord, choisir une musique caribéenne pour coller aux paroles, cela peut sembler justifié, du moins au début, car cette pointe d’humour due au décalage entre danse, calypso et représentants syndicaux, traders, briefings…, fait sourire.
« Adieu mégaphon’ adieu calicots Adieu représentants syndicaux
A moi le soleil et le calypso La nana la noix de coco »
Mais au bout des mêmes 4 accords : RÉ, LA6, SIm, FA#7 répétés dans 6 couplets, 3 refrains et plus de 4 minutes ? Ensuite, Alain Souchon s’inspire du contexte économique de l’époque, la crise financière mondiale également nommée Grande Récession (2007-2008). Pourquoi pas ? Mais a-t-on véritablement besoin d’un chanteur de son envergure pour dénoncer des magouilles qui ne sont un secret pour personne, les dérives de certaines (et certainement pas toutes) grandes entreprises en difficulté qui accordent néanmoins des fortunes à leurs cadres au moment de les évincer ? Comme nous l’avons déjà dit pour « Poulailler’s song », ce type de discours nous semble un peu facile, en tout cas maladroit. Alors, passer l’info en flash, pourquoi pas ? Mais au bout de 6 couplets, 3 refrains et plus de 4 minutes…, ce Souchon militant ne nous convainc pas trop.

La compagnie (Alain Souchon)
Nous n’allons pas remettre ça mais c’est vrai qu’il n’y a pas grande mélodie dans cette « Compagnie ». Nous avons aussi l’impression de regarder un circuit de petit train qui tourne, tourne…, sur les 4 mêmes accords : MIbm (VIm), SOLb (I), SIbm (IIIm), DOb (IV) qu’on pourra bien entendu jouer, pour plus de facilité, avec un capo à la première case : RÉm, FA, LAm, SIb, enfantin non ?
On peut se demander également si le rapprochement entre une idée rétro : « C’est fini la compagnie international’ des wagons-lits » et la conclusion d’une idylle : « C’est fini ta compagnie » suffit pour conduire une chanson sur nos pérégrinations, géographiques et amoureuses.
Au vu de ce qui précède et tout bien réfléchi, nous préférons les voyages en bateau, la compagnie transatlantique et « La vie intime est maritime » (1985), éventuellement les déplacements plus courts mais plus populaires avec cette « Michelin’ lézard » qu’on appelle « L’autorail » (1977) !

Sidi Ferouch (Alain Souchon, Pierre Souchon)
On ne peut pas dire que les synthés glougloutant et tintinnabulant servent beaucoup un titre où le chanteur fait l’effort de chanter bilingue, en français et en arabe, nous allons voir pourquoi. Donc, nous qui aurions espéré une ambiance « musique du monde », nous sommes plutôt resté sur notre faim. La principale barrière de Sidi Ferrouch, ce n’est pas celle de la langue mais bien celle des arrangements ! Ajoutez à cela une mélodie discrète, 4 accords : SOL#m (VIm), MI (IV), DO#m (IIm), FA#(V) qui se mordent la queue et la boucle est bouclée. Non, pas tout à fait car même le sens des paroles se fait désirer sauf, à notre avis, si l’on fait partie d’un petit cercle d’initiés. Tout cela est bien dommage car le thème de la chanson avait un excellent potentiel. Sans avoir les codes, la seule chose qu’on comprend en l’écoutant, c’est qu’un artiste, certainement Alain Souchon, aimerait bien retourner chanter là où il a été particulièrement bien été accueilli :
« Il y a dix ans je crois ces Algériens Reprenaient avec moi au refrain
Et par cett’ ferveur chantée Je sentais mon cœur touché »
Alors, essayons d’aller plus loin et de décrypter la « substantifique moelle »… Sidi Ferrouch, aujourd’hui Sidi Fredj, est une presqu’île située à 30 km à l’ouest d’Alger. C’est aussi tout un symbole car c’est la ville du débarquement qui a permis la prise d’Alger par les Français en 1830, premier acte de la conquête de l’Algérie. Alors, imaginez la surprise d’Alain Souchon, lors d’une représentation dans ce centre touristique balnéaire, lorsqu’il entend le public algérien reprendre en cœur les paroles de ses chansons ! C’est un véritable message d’amour et, par la suite, le chanteur va donc vouloir retrouver ce fervent public, ce qu’on va lui déconseiller fortement. En effet, nous sommes au début des années 90 et pour l’Algérie commence la « Décennie noire », également appelées « années de plomb » ou « années de braise », violente guerre civile qui va opposer le gouvernement algérien à divers groupes islamistes. En 10 ans, les affrontements font près de 200 000 morts et disparus, un million de personnes déplacées. Selon les observateurs, la fin de la « décennie noire » est située entre 2002 et 2005. Alors, en 1998, Alain Souchon qui ne peut retourner à Sidi Ferrouch à cause des risques d’attentat, décide d’écrire son désir de fraternité et son envie de retrouver son public sur l’autre rive de la Méditerranée.

Oh la guitare (Louis Aragon, Alain Souchon)
Avec ce titre, Alain Souchon entre dans la longue liste (non exhaustive) de tous ces chanteurs qui ont mis Louis Aragon en musique : Léo Ferré, Jean Ferrat, Georges Brassens, Hélène Martin, Catherine Sauvage, Colette Magny, Jacques Douai, Jacques Bertin… Pour « Oh la guitare », il existe même une première version plus bossa (1971), faite par Hélène Martin qui, pour sa part, fait ressortir le petit côté douloureux de la chanson :
« Guitare la guitare Il me la faut pour que je croie
À ce trist’ air, à ce trist’ art Qui m’aid’ à mieux porter ma croix »
Une fois n’est pas coutume, la version d’Alain Souchon est plutôt gaie, enlevée, et n’est pas déplaisante. Cette légèreté pourrait rappeler un autre poème d’Aragon mis en musique cette fois par Léo Ferré, « L’étrangère » où il est question de tzigane, de bonne aventure et aussi de musique :
« À chaque fois tout recommence Toute musique me saisit
Et la plus banale romance M’est éternelle poésie »
À propos de cette dernière, Aragon confessait : « À chaque fois que j’ai été mis en musique par quelqu’un, je m’en suis émerveillé, cela m’a appris beaucoup sur moi-même, sur ma poésie. »
En plus de l’interprétation du grand Léo, il faut écouter cette Étrangère dans le splendide arrangement qu’en a fait Stéphane Sanseverino. Il n’y a pas de guitare dans le poème, mais avec Sanseverino, on en entend partout…

Écoutez d’où ma peine vient (Alain Souchon)
Ecoutez d’où ma peine vient, Alain Souchon, 2008, extrait
Le choix d’une musique country, enjouée, donne un petit côté fantaisiste, cocasse aux paroles. Pourtant, le doute y est inscrit ce qui, au final, se traduit par un air de « est-c’que ce monde est sérieux » ? On pense bien entendu au refrain de Francis Cabrel où le taureau de La corrida (1994) se pose cette question. Ici, ce sont les ours qui se questionnent (en écoutant du Bob Dylan !) et, accessoirement, Alain Souchon qui s’interroge sur la durée et l’intérêt de la vie, de l’amour… sur le ton toujours mi-figue mi-raisin qu’on lui connaît :
« Est-ce que c’est long ou court la vie
Est-ce que c’est con ou lourd… »,
l’alternative n’est pas vraiment joyeuse… Si certains d’entre vous, à l’écoute des paroles de la chanson, s’interrogent sur la signification de :
« Le pauv’ petit 27 de Janis Joplin »,
qu’ils sachent tout simplement qu’elle est disparue à 27 ans. Elle fait d’ailleurs partie du Club (très fermé) des 27 où on entre facilement mais d’où on ne revient pas… Il rassemble des stars du rock et du blues qui sont tous morts à cet âge : Jimi Hendrix, Jim Morrison, Janis Joplin, Brian Jones, Kurt Cobain, Amy Winehouse et quelques autres. Quant aux « ours blancs [qui] nous regardent avec des yeux drôles », ou peut-être d’un drôle d’œil, serait-ce pour nous prévenir que ces pluies terribles (A hard rain’s a-gonna fall) qui tombent aux pôles remplacent peu à peu, pour leur plus grand malheur, blizzard et averses de neige ? C’est fort probable car en 2008, on en sait déjà long sur le changement climatique qui nous menace. En effet, si en 2024 Donald Trump semble toujours ne pas être au courant, c’est pourtant il y a près de 70 ans maintenant, en 1957, que les recherches d’un de ses concitoyens, Roger Revelle, (associé à Hans Suess) montrent que les océans n’absorbent qu’une partie du CO2, le reste s’accumulant dans l’atmosphère avec pour conséquence possible l’accroissement de l’effet de serre par les émissions de gaz d’origine humaine et le réchauffement de la planète. À partir de là, tout s’accélère. On commence à mesurer les taux de CO2 en 1958 ; leur augmentation constante est démontrée (courbe de Keeling) dans les années 70 ; le terme de réchauffement climatique est utilisé pour la première fois (Wallace Broecker) en 1975 ; on découvre l’existence du trou d’ozone stratosphérique en 1987 ; l’année suivante, c’est la création du GIEC (Groupement d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat ; et en 2008, les ours blancs écoutent The times they are a-changin’ et tirent la sonnette d’alarme comme nous le révèle Alain Souchon…
Rêveur, Alain Souchon, David Mc Neil, tonalité RÉ majeur

Le temps change ou « Les temps changent » ? C’est plutôt sur cette seconde assertion que le chanteur aidé de son fidèle collaborateur David Mc Neil décide de bâtir cette nouvelle chanson. Mais, mais…, le sens de « The times they are a-changin’ » n’est pas celui qu’avait jadis envisagé Bob Dylan (1964). Bien au contraire ! Les lois du marché, de la finance (le CAC 40), de la guerre, l’avancée des technologies, du modernisme… l’ont fait dévier de sa trajectoire initialement prévue par les rêveurs :
« Et c’est le CAC qu’a commandé C’est le CAC qu’a cadencé
C’est le CAC avec son gling-gling Qu’a fait The times they ar’ a-changin’ »
Alors nos deux rêveurs se souviennent avec nostalgie d’une parenthèse bénie qu’ils ont vécue durant leur jeunesse :
« Du haut de ces cerfs-volants riants On voyait l’vieux mond’ s’en allant
Et venir à nous ces nouveautés La Paix l’Amour et la Liberté »
et font le parallèle avec les égarements de la vie actuelle qu’ils fustigent :
« Maint’nant du café du coin jusqu’aux antipod’ La vie vaut moins cher qu’un ipod
Et moi j’attends avant de chanter J’attends les gars de sécurité
J’esquiss’ quelques pas de dans’ Sous les caméras de surveillanc’ »
Rêveur est donc une sorte de chronique, de vies d’abord insouciantes et insoumises, puis de plus en plus formatées, sécurisées. S’il y a bien là une critique ouverte de la société de consommation, on trouve également, en filigrane, l’aveu d’avoir bien changé à titre personnel…
Rêveur, Alain Souchon, David Mc Neil, extrait
Rêveur, c’est également une chanson à part entière, avec paroles et musique. C’est un air folk, avec pedal steel guitar, guitares country genre flat picking (picking au médiator), qui démarre doucement pour peindre la sphère hippie et prend le tempo western quand la vie s’accélère dans les cities modernes où les business men, les traders se pressent… C’est une sorte de I IV V (jouée SOL, RÉ, LA…) avec SIm (VIm) en prime, mais également étoffée par l’ajout d’accords extérieurs qui personnalisent fortement le titre. Tout particulièrement, on note cet accord de MIb hors tonalité qui intervient sur : « (on di)-sait quand ce s’ra (nous)… » et donne à cet endroit une couleur très particulière au chant, variation qu’on pourrait presque qualifier de « souchonesque » car souvent utilisée, notamment à l’époque de la collaboration avec Michel Jonasz (de 1976-1983). Au niveau du refrain, on retrouve un procédé voisin : la voix sur « oh oh oh » (sol, lab, la) suit la transition chromatique assurée par l’insertion d’un LAb entre les deux accords de SOL7 et de LA7, avant de se conclure sur l’accord de RÉ (« On était rêveurs »).
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Les saisons, Alain Souchon, tonalités RÉ majeur (et Sol majeur)

Avec Les saisons Alain Souchon profite de l’occasion pour nous dire qu’en amour, ce n’est jamais le moment, ou plutôt jamais la saison !
Parce que quand « L’hiver est parti, l’amour aussi », quand « Le printemps s’enfuit L’amour aussi », quand « L’été tourne court Aussi l’amour » et quand vient l’automne :
« Parlant de nous de nos baisers en allés En marchant dans les allées
Disant de l’amour pour quell’ raison Ce n’est jamais la saison »
On pourrait rapprocher ce titre de « La fille d’avril » (2001) où il est dit cette fois que c’est au fil de leurs mois de naissance que le tempérament des filles varie.
Les saisons, Alain Souchon, extrait
Sur le plan musical, c’est un joli folk unplugged (acoustique) joué en arpèges à la guitare. Le morceau est en RÉ mais des petites libertés prises avec la tonalité s’entendent parfaitement à certains endroits. Écoutez attentivement juste avant et pendant les courts interludes instrumentaux (qui remplacent les refrains) et vous constaterez que certains accords se « font remarquer ». Il s’agit tout d’abord de l’accord qui arrive juste après « l’hiver est parti », un RÉ7 qui sonne différemment du reste car avec lui nous sommes passés pour un court instant en SOL majeur, une gamme assez proche de celle de RÉ. On revient gentiment à la tonalité d’origine pour 3 accords : SOL (IV), LA (V), RÉ (I) et, à nouveau, c’est un rapide retour en ton de SOL par l’intermédiaire d’un accord de DO (qui n’appartient pas à la gamme de RÉ). Cet « équilibrisme » dans la composition permet d’apporter des couleurs particulières qui peuvent véritablement singulariser des morceaux et c’est le cas ici.
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Elle danse, Alain Souchon, tonalité MIb majeur
S’il n’y en avait qu’une à garder dans l’album, pour nous ce serait cette fille-là avec qui on irait bien, rien que pour la soutenir, faire un pas de danse. 4 petits vers suffisent à Alain Souchon pour nous dresser le tableau :
« D’un boubou bien habillée Et pour ne pas oublier
Ell’ dans’ sous les peupliers Sous les peupliers mouillés »
Le couple « boubou » (vêtement africain) et « peupliers mouillés » (arbres européens) ne trompe pas, nous allons parler d’immigration, nous allons parler des pays de départ,
elle danse « Pour ne pas oublier son pays pouilleux oublié Son pays tout dépouillé son président fou à lier… »
nous allons parler des cités d’accueil,
« Ell’ dans’ un malheur
Les vendeurs de shit Qui bloqu’ l’ascenseur »,
nous allons parler de misère, de détresse, d’infortune, de populations déplacées par les conflits politiques, les extrémismes, les guerres, les catastrophes naturelles et les bouleversements climatiques ; mais nous allons aussi parler d’humilité, d’humanité, de résilience avec cette fille qui danse pour se reconstruire, qui danse à la fois pour oublier la tristesse, la tragédie et ne pas oublier sa famille, son pays :
« Petit villag’ où rien ne boug’ le bétail
Petit’ maison de boue roug’ au toit de paill’ »
Il fallait bien que le Soudanais de « C’est déjà ça » (1993) ait sa petite sœur de route ! C’est désormais fait et « elle danse sous les peupliers », loin de son pays qu’on imagine peuplé de Tontons macoutes ou autres acolytes mobutistes…
Elle danse, Alain Souchon, extrait
Elle danse a donc une thématique forte. La musique est à la hauteur car elle dispose de tout ce qui fait les bonnes chansons : simplicité mais efficacité de la grille harmonique, mélodie somptueuse et orchestration adaptée. Entrons un peu plus dans le détail et, pour nous faire mieux comprendre, reprenons tout cela un demi-ton en dessous, en RÉ majeur (il suffira de mettre un capo à la case 1 pour retrouver la tonalité initiale).
Il y a d’abord le gimmick de départ en RÉ qui structure le morceau et se retient bien ; il égrène ces 8 notes sur une bonne partie des couplets : fa#, la, ré, fa# (notes de l’accord de RÉ) ; sol, la, ré, fa# (notes d’un RÉ avec quarte à la basse). Nombre de chansons africaines sont construites sur ce type de boucle courte souvent jouée sur un instrument traditionnel. Lorsque intervient le second accord sur « peupliers mouillés », la boucle en RÉ fonctionne encore sur ce SIm car les deux accords, des relatifs, ont 2 notes communes sur 3 (ré fa# do# et si ré fa#). En fin de couplet 3, on retrouve « l’effet Souchon » (comme dans les 2 chansons précédentes), magnifique, avec le SIm remplacé cette fois par un LAm hors tonalité sur « la voient » : nous sommes passé pour un court instant dans le ton de SOL majeur. Puis on abandonne le mode mineur pour passer en majeur avec le refrain bien plus gai qui porte la danse : « La la la… » et tourne sur un magnifique I IV V : RÉ (I), LA(V), SOL (IV)… Un dernier détail : plus loin, lors du pont (« Petit village où rien ne bouge… », Alain Souchon très « joueur » refait une incursion dans le ton de SOL : RÉ (V ou I), DO (IV), LAm (IIm)…
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8 mètres carrés (Alain Souchon)
Terminons par deux chansons qui nous dérangent un peu. « 8 mètres carrés » est la septième composition de l’album en ton de RÉ (ou de MIb, ce qui est un peu pareil), alors même si ce titre n’est pas désagréable, ça fait un peu beaucoup… Ajoutons que les 4 couplets et les 3 refrains sont construits sur la même base de 5 accords, nous n’insistons pas mais vous voyez ce que nous voulons dire… Quant à la thématique, elle est un peu particulière : 20 ans après Les cadors (Ultra moderne solitude, 1988), nous retournons à la case « prison » mais cette fois, c’est une fille qui est derrière les verrous. Jusque-là, pas de problème… Mais de là à affirmer que les femmes, elles, elles n’ont pas un mauvais fond, que c’est par admiration et en toute humilité qu’elles suivent leur « bad boy », que :
« C’est toujours, toujours par amour qu’elles tombent »,
le chanteur scie peut-être les barreaux un peu vite…
Popopo (Alain Souchon, Laurent Voulzy)
Popopo, Alain Souchon, Laurent Voulzy, extrait
Difficile également de comprendre ce que cherche Alain Souchon avec cette chanson sur le guérillero à gueule d’ange, Che Guevara. Souhaite-t’il souligner la contradiction des idéologies révolutionnaires qui, pour atteindre des objectifs de paix et de liberté, passent par les armes et la contrainte ? Désire-t-il qu’on soit plus réservé à l’égard d’une symbolique mal maîtrisée et qui peut déboucher, par simplification ou déformation, sur l’admiration sans réserve d’un héros aux mains tachées de sang ?
« La gueul’ de beau mec le béret Le cigar’ au bec parfait
Sur le t-shirt d’Adriana »
Sur ce second point, on peut répondre que, plus que la simple reconnaissance d’une icône de la révolution cubaine, l’utilisation populaire de l’image du Che correspond plutôt chez les jeunes à un besoin d’affichage d’un symbole de rébellion et de contre-culture. Alors, une problématique aussi complexe a-t-elle sa place en chanson ? C’est en tout cas la question que nous continuons de nous poser suite à l’écoute de celle d’Alain Souchon.
