Bopper en larmes, Laurent Voulzy 1983
Publié le 2 avril 2023, par Charles-Erik Labadille
Bopper en larmes...
L’album Bopper en larmes

Charlie Parker par Feelingblabla
Bopper en larmes, le second album de Laurent Voulzy, rassemble 13 chansons mais la durée de l’opus reste « classique », 45 minutes, car 4 chansons n’excèdent pas les 2 minutes. Pour de nombreux fans, c’est le meilleur de l’artiste. Sans aller jusque-là, on peut dire que c’est un des plus étonnants, par la diversité des ambiances, par son côté expérimental, par l’assimilation de diverses influences qui apportent une variété indéniable, par sa structure originale, justement avec ses morceaux très courts qui alternent et introduisent d’autres beaucoup plus longs, 6 minutes 30 et plus pour « Black poule » et « En pas oublié ou ». Mais lorsque l’on recherche des chansons acoustiques, « unplugged » à interpréter « guitare-chant », ce qui est notre cas chez Salvéda, c’est l’un des pires car l’on peut dire sans se tromper que Bopper en larmes est l’album le plus « pop » de Laurent Voulzy, avec de nombreux synthés, des boîtes à rythme, bref des programmations et des bruitages en tous genres. On y sent le souffle des grands maîtres, Beatles, Beach Boys, Police et même Pink Floyd et Tangerine Dream… Alors, même si nous apprécions l’esprit de cet album, il est évident qu’une fois déshabillés de leurs beaux atours pop, peu de titres conservent un intérêt pour une interprétation directe, spontanée. Bopper en larmes est un album qui vaut d’abord pour ses arrangements, pour lesquels Laurent Voulzy nous montre pour une des premières fois ses grandes qualités de « bidouilleur » musical (terme utilisé sans connotation péjorative, bien au contraire). Alain Souchon, comme « trafiqueur » de mots, a participé à 6 titres.
Bopper en larmes, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1983, tonalités MI majeur et LAb majeur

Prenons « Bopper en larmes » pour aborder la « popitude » de l’album. On voit bien qu’Alain Souchon a dû adapter le texte à la structure complexe du morceau où la répétition des séquences musicales et le leitmotiv « bopper en larmes » chanté pas moins de 27 fois sont la règle imposée. Avec ce cadre particulièrement rigide et itératif, il est clair qu’il est délicat de donner un sens précis aux paroles qui restent suggestives. Il s’agirait donc d’un bopper (musicien de jazz-bop) en peine d’amour, ce qui autorise Alain Souchon à glisser une petite rime amusante « Pleure le bopper ». Le formatage du morceau déjà évoqué implique des vers particulièrement courts, un vrai casse-tête poétique, de la gymnastique à 3, 4 ou 5 pieds. Seuls les deux ponts à l’harmonie plus ample permettent de glisser un discours plus développé : « Comm’ un Bœing perdu plus d’signal Dériv’ dans la nuit sentimental’
Sans son amour son cristal Il est largué dans les étoil’ Le bopper en larm’ ». Voilà peut-être, au passage, un petit hommage à Charlélie Couture qui a « déchiré » deux ans auparavant (1981) avec son avion sans ailes (1981) ?
Pour la musique, on peut laisser un peu la parole à Marco Stivell qui dit très justement :
Ces guitares à la Andy Summers, ces voix dans tous les sens (présence des frères Costa), cette intro longue en crescendo, ces enchaînements tarabiscotés de mélodies pourtant si évidentes, ces refrains en canons (…), tout ça fait un tube de l'été (83) !
Bopper en larmes, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, extrait
Le thème est en MI majeur avec les deux mêmes accords qui se répètent : DO# (VI hors tonalité, devrait être mineur) et SI (V). Un changement de ton s’opère avec le pont qui porte une belle mélodie (Il bebop sa pein’ tout seul…), en LAb majeur : MIb (V), RÉb (IV), LAb (I), donc un I IV V qui se complique bientôt avec l’arrivée de deux accords hors tonalité : FA (VI, devrait être mineur), DO (III, devrait être mineur). Donc, tout cela n’est pas si simple qu’il y parait à l’écoute et pourtant, comme le constate Marco Stivell, ça fonctionne et ça fonctionne même bien. Pour plus de facilités à la guitare et le même résultat au final, on peut mettre un capo à la première case et jouer les renversements suivants : DO, SIb puis pour le pont RÉ, DO, SOL, MI, SI…
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Mayenne, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1983, tonalité RÉb majeur

Plutôt qu’une chanson, Mayenne est plutôt un morceau de transition, avec 4 ou 5 paroles énigmatiques d’Alain Souchon : « Rivière Mayenne Quatre radeaux lourds Emmènent emmènent Mon amour… » et quelques notes de musique de Laurent Voulzy : LAm, SOL, DO, FA, SOL… (capo 1). Paroles énigmatiques, pas tant que ça, si bien sûr l’un des auteurs se confie à Ouest-France (12 08 2023) : « J’étais en couple avec une femme que j’aimais beaucoup, mais un jour, on s’est brouillé. Elle m’a quitté. J’ai su par la suite qu’elle s’était installée en Mayenne. Cette rupture m’a rendu très malheureux. Alain Souchon m’a soutenu pendant ce chagrin d’amour et ensemble, nous avons écrit Mayenne. » Laurent Voulzy dit avoir découvert par la suite la campagne mayennaise à laquelle il a trouvé beaucoup de charme. Mais alors pourquoi avoir glissé, en fin de chanson et à la Pink Floyd, ces vents qui soufflent fort et ces claquements de fenêtre façon « manoir hanté » ? Ils véhiculent une image injuste et certainement très excessive de nos climats de l’Ouest !
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Black poule, Laurent Voulzy, Alain Souchon 1983, tonalité MI majeur

Débuter un commentaire sur ce titre n’est pas évident car les paroles, il faut bien l’avouer, sont quelque peu hermétiques. Black poule, une poule noire utilisée dans les cercles ésotériques ? Black poule, une fille noire avec qui l’on aurait eu des déboires amoureux (« poule » aurait alors une connotation plutôt péjorative) ? Avec ce genre de texte, seul un petit groupe d’initiés peut avoir accès à la signification du message et Alain Souchon en fait partie. Ici, il ne semble pas s’être acquitté totalement de sa charge de parolier et la succession des mots distille une sorte de mystère, et reste énigmatique. L’hermétisme, en chanson, peut avoir des causes diverses. La principale est que l’auteur s’adresse à lui-même et ne cherche donc pas forcément à dévoiler le fond de ses pensées. Son discours, très personnel, poétique, reste donc suggestif, voire impénétrable. Laurent Voulzy confesse lui-même avoir vécu l’époque de cet album sous le coup d’importantes déceptions sentimentales, ce qui pourrait être une première explication. Une autre raison de ce « mutisme en paroles » est due aux habitudes-mêmes prises dans la pop. Les interprètes, avant tout musiciens, construisent leurs airs sur des mots sans signification, choisis juste pour porter les mélodies : c’est le « yaourt », essentiellement en anglais, qu’on fredonne en gratouillant sa guitare ou en caressant le clavier de son piano. Alors, l’ami Souchon n’aurait-il pas réussi, malgré une technique à toute épreuve et force tours de poignet, à faire prendre la mayonnaise pour transformer ce yaourt en gâteau plus appétissant ?
Black poule, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, extrait
Nous laisserons la question en suspens pour conclure avec ce qu’il y a d’excellent dans ce titre. À coup sûr, ce sont bien sa mélodie, son chant principal et ses merveilleux chœurs. Quand Laurent Voulzy attaque dans l’aigu : « dans la musique Rhodésienne », comment ne pas craquer ? Quand les chœurs répondent au lead vocal : « Atlanta, Pretoria, Birmingham, Alabama… …Levallois, Bagnolet, Charenton-le-Pont », comment ne pas succomber ? Ces voix féminines si particulières sont vraiment pleines de charme ; elles sont devenues une « marque de fabrique » de l’artiste dont on aurait bien du mal à se passer aujourd’hui.
Le morceau est en MI majeur mais, pour l’effet de surprise, commence par un DO# (hors tonalité, VI qui devrait être mineur). La suite n’est pas très compliquée donc vous n’aurez pas de mal à retrouver l’enchaînement des accords en 4/4 : LA (IV), SOL#m7 (IIIm7) puis SI (V), MI (I) et de nouveau DO#.
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Meu samba, pra voce, (Laurent Voulzy, David McNeil)
L’Océane, Laurent Voulzy, 1983, tonalité SI majeur (et DO majeur)

« Meu samba, pra voce » est à nouveau un interlude très court, 1 min 30 et beaucoup de vagues qui annoncent la chanson suivante, « l’Océane ». « Ma samba pour vous », juste une guitare une batterie, des paroles de David McNeil mais tout en brésilien, est un peu « perdue » dans ce grand album pop. Elle traduit néanmoins l’attirance que Laurent Voulzy a toujours eu pour la musique brésilienne, comme le révèle la chanson « Timides », une petite bossa écrite vers 1965 et reprise dans l’album « Belem » en 2017. Cet opus dédié à ces rythmes venus d’Amérique latine (avec le fameux medley « Spirit of samba ») se conclut d’ailleurs par « Quand le soleil se couche », autre bossa où l’on retrouve David McNeil. Entre temps, Laurent Voulzy a persévéré dans le genre avec « Le soleil donne », « Slow down », « Le rêve du pecheur », « La baie des Fourmis » qui font partie de ses « grandes » chansons…
L’Océane, L. Voulzy, 1983, extrait
L’Océane, par le rythme soutenu, par l’harmonie essentiellement articulée sur deux accords (FA#, SI) et par le placage de grands accords aériens suit une « gestion » à la Police. Pour des motifs similaires et par le débit des paroles, il rappelle également « Grimaud » sorti 4 ans plus tôt (Le cœur Grenadine, 1979) : « J’mets les gaz, 300 ch’vaux… ». Ici c’est « Deux cent born’ que ça pleut des cord’… » mais cette fois ce n’est pas l’histoire d’une séparation mais l’inverse, celle de retrouvailles espérées. L’auteur roule vers Paris pour rejoindre une petite copine qui pourrait le trahir… Mais il y a une question qu’on peut se poser après avoir écouté ce titre qui parle essentiellement de trajet, de radar, de station-service, de route, de déviation, d’autoroute, d’accident de la route : où est donc la mer dans cet « océan » de goudron ?
Le morceau est en SI majeur avec : FA# (V), SI (I), MI (IV), SI (I), c’est donc un classique I IV V, avec modulation en DO à la mi-morceau : SOL (V), DO (I), FA (IV)… Pour simplifier, vous pouvez aussi mettre un capo à la case 2 et jouer : MI (V), LA (I), RÉ (IV)… …FA (V), SIb (I), MI (IV). Bonne route !
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Ricken, Laurent Voulzy, A. Souchon, 1983, tonalité SIb majeur

Ce morceau, en matière de texte, est à l’opposé de « Black poule ». Il montre que lorsqu’on dispose des codes, l’hermétisme éventuel des paroles est rapidement cassé. Tout est clair, limpide et les jeux de mots d’Alain Souchon prennent ici toute leur valeur, et ils sont nombreux. L’auteur peut donc se permettre de démarrer par « T’es où p’tit’ sœur… », pour bien faire sentir la marque d’affection car il sait que le secret va bientôt être dévoilé : « Au flic qui sonn’ Faut retrouver ma Ricken… ». Et l’initié, qui l’est donc rapidement, comprend vite que cette affection n’est pas celle d’un frère, mais celle d’un musicien qui la voue à sa… …guitare volée : une Rickenbacker… Vous me direz, faut-il encore savoir que Ricken (…backer) c’est une marque de guitare électrique. Là, c’est vrai, les deux compères ont peut-être un peu présumé de la culture musicale de leur auditoire en ne parlant que d’une Ricken ! Mais quand on est au parfum, tout s’éclaire soudain ! La guitare a été volée aux States et l’on comprend mieux : « Y’a l’eau y’a l’heur’ qui nous sépar’ maint’nant p’tit’ sœur » ; « Est-c’que c’est l’blues des champs d’coton » ; « Autant de voleurs dans le Bronx Que de bactéries dans l’Hudson ». Et l’auteur, affectueux comme un frère, s’interroge sur la nouvelle vie de son cher instrument : « T’es où p’tit’ sœur Dans quel Brooklyn Chez quel fumeur… » ; « Cet homm’ qui t’touch’ Est-c’que c’est l’petit costard Est-c’que tu couch’ Chez la superstar ». Et Alain Souchon, s’imaginant les voleurs, ne peut pas s’empêcher cette allitération en ik et ak : « Avec des freaks bizarr’ piqueurs Tout est dans l’sac Et floc le fric en vrac Moi j’ai un jack, un souvenir de ma p’tit’ sœur… ». Voilà des paroles comme on les aime et qui hissent la chanson en haut du mât et du pays de cocagne !
Ricken, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, extrait
La musique n’est pas en reste et s’accorde parfaitement avec les paroles. Son swing léger rappelle un peu « Coktail chez mademoiselle » (Le cœur Grenadine, 1979) en SIb majeur également, qui avait aussi de longues plages instrumentales. Ici, la construction du morceau est plus simple, avec juste l’alternance de 4 mesures de MIb7M ( IV7M) avec 4 mesures de SIb7M (I7M) ; pour les instrumentaux, on module un demi-ton plus bas en LA majeur: 4 mesures de RÉ7M (IV7M) et 4 mesures de LA7M (I7M).
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Cadillac Cruise, L. Voulzy, Elaine Rowan, 1983
Liebe, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, tonalité de LA majeur
Nous sommes à nouveau dans les interludes (1mn 30) car Laurent Voulzy aime bien « jouer et s’amuser entre » deux morceaux plus consistants. Ici, « Cadillac Cruise » est un hommage non masqué aux « Gars de la plage » : ça sonne, ça groove comme les Beach Boys, même les paroles sont tout en anglais, écrites par Elaine Rowan, membre d’un groupe français des années 80 resté peu connu, the Dice.
Avec « Liebe », nous ne sommes plus dans la frivolité, c’est du lourd, du comaque, d’abord avec un titre allemand (die liebe = l’amour), ensuite avec une musique très solennelle, aux velléités presque orchestrales… C’est Richard Voulzy, le frère de Laurent, avec une formation de pianiste à la base, qui prend en main les synthés (comme dans d’autres chansons de l’album) et apporte avec leurs imposantes vagues le côté monumental, presque cérémonieux, bref très allemand du titre… À vrai dire, cette introduction de l’électronique et des programmations dans la pop de Voulzy a principalement commencé deux ans plus tôt avec « Idéal Simplifié » (1981). Bref, Laurent Voulzy n’a peur de rien, il essaie tout (l’album a un côté expérimental indéniable), il s’adonne donc ici au romantisme, il tente le lied, comme l’ont fait avant lui Wagner, Schubert, Brahms…, normal puisque « Liebe » est un chant à consonance planétaire. Ce cadre imposant sert d’écrin à un petit bijou : le texte d’Alain Souchon semble si simple et si fragile enveloppé par la musique grandiose qu’on oublierait presque de l’écouter, et on aurait bien tort car il permet à l’auteur d’asséner quelques vérités universelles, toujours avec cet air de ne pas y toucher. Cette dentelle, ce véritable hymne à la paix commence par :
« Coeur de verr’ On peut tout m’voir à travers Que j’suis naïf et qu’j’espèr’ Des baisers bleu pour l’univers Ris rieur C’est ma chanson mon lieder C’est ma blédin’ d’enfant d’chœur Paix sur la guerr’ paix dans les cœurs ». Puis, très rapidement, vient le « mais », le « à quoi ça sert », la désillusion, l’amertume :
« Comm’ rien fair’ Comm’ dans l’eau tu jett’ un’ pierr’
Comm’ y’a un’ rein’ d’Angleterr’ Rien n’sert à rien dans l’univers ».

Liebe, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, extrait
Et c’est là qu’intervient tout le savoir-faire de Laurent Voulzy. Sortant de la lourde gangue musicale, presque militaire, arrive avec le pont une sorte d’éclair déclamatoire, un coup de tonnerre chanté-crié par l’interprète pour accompagner le fin mot de l’histoire teinté d’autodérision et de la profonde amertume d’Alain Souchon : « Comm’ ell’ est conn’ cett’ prièr’ ch’wing gum Quell’ idée pomm’ Chanter l’amour des Homm’ Paix sur la terr’ C’est râpé C’est du gruyèr’ Du gruyèr’ ».
Et pour finir en apothéose d’ironie, on entend arriver des fifres très napoléoniens qui rappellent qu’il n’y a pas que les teutons pour envahir les autres et que, c’est reparti comme en…, les troupes à pied regagnent le combat…
Le morceau peut donc se jouer comme une marche (militaire…), 4/4 à un battement par noire, comme un vrai métronome ! Laurent Voulzy y égrène tous les accords de la gamme de LA majeur : FA#m7 (VIm7), SIm7 (IIm7), MI 7 (V7), RÉ7M (IV7M), SIm7 (IIm7), MI7 (V7), DO#7 (III hors tonalité, il devrait être mineur et joue ici un rôle de résolution pour ramener au FA#m7 de début ; le LA7M (I7M) arrive dans le refrain et, une fois encore, il n’y a pas de place pour le SOL#m7/5b (VIIm7/5b) qui décidément, du fait de sa quinte bémol, reste un paria dans nombre musiques occidentales !
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Plus d’un milliard de filles (Laurent Voulzy, Ann Calvert)
Flirt (Laurent Voulzy)

Intermède, intermède… Celui-là (1 min 19), un peu funky-disco, annonce le goût de Laurent Voulzy pour la musique des autres, pour les reprises, goût que l’on a déjà trouvé dans « Rockollection » (1977) et que l’on retrouvera ensuite dans La septième vague (2006), Recollection (2008), « Spirit of samba » (2017).
« Flirt », malgré ses 4 min 12, pourrait également mériter le statut d’interlude. Il s’inscrit dans la même dynamique que le titre précédant, dévoile un Laurent Voulzy à l’écoute de son époque, ici avec une sorte de funk-rock influencé par des groupes comme Steely Dan… Quant aux paroles, elles ne peuvent guère se résumer à plus que : « Merd’ encor’ un slow qui pass’ ».
Jalousie, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 1983, tonalité FA majeur

Voilà un morceau d’un tout autre gabarit. Plus encore, il ne lui manque pas grand-chose pour atteindre des sommets, ceux par exemple d’un « Karin Redinger » écrit 4 ans plus tôt. Mais ici, cette fois, ce n’est pas tant par la musique que le bât blesse, bien au contraire. Voyons voir… Si les paroles sont sympas, la thématique choisie, peut-être un peu réductrice et désuète, semble avoir restreint la liberté d’action du parolier Souchon. Construire une chanson sur un jeu de mots, ou la double signification d’un mot, ça peut être très porteur ; mais cela peut également devenir un piège. Ici, la maison avec jalousie (fenêtre à persiennes) ou sans jalousie (sentiment), était-ce bien suffisant ? D’autres s’y sont essayés, comme le romancier Alain Robbe-Grillet, mais qui, dans le public jeune, sait encore ce qu’est une Jalousie ? Qui, dans le public jeune, connaît encore des Marinette, des Ginette et des Léon ? Qui dans le public jeune, croit encore à « Des amours bien heureus’ qui dur’ tout’ un’ vie » ? Bref le sujet semble moins porteur qu’il n’y paraît et il y a même derrière les mots un petit côté moraliste qui pourrait avoir du mal à passer chez certains. Et puis, cette musique joyeuse, sautillante, convient-elle vraiment au parolier Souchon, plus à l’aise, semble-t-il, sur des modes en demi-teinte qui portent mieux son inquiétude naturelle ? Quoi qu’il en soit, l’harmonie recherchée et la jolie mélodie auraient pu porter, semble-t-il, un discours plus « convainquant », mais lequel, toute la question est là ? Bien entendu, cela n’empêche pas notre humoriste de faire quelques bonnes « sorties » sur le thème de la durée de l’amour : « Tourne tourn’ un’ pag’ encor’ V’là les noc’ d’or » ; ou encore : « Est-c’que l’année prochaîn’ les bisous qu’on s’fait tout l’temps dans l’cou Encor’ dans l’coup » ; et aussi : « Méfiez-vous d’la météo matrimoniale On prévoit un soleil heureux et il pleut » ; et enfin : « Nous on s’balanc’ des trucs à la figur’ Et le bonheur à deux pour qu’ça dur’ C’est dur ».
Donc encore beaucoup de bons mots mais qui semblent rater leur cible ! Ou alors…, ou alors on peut aussi se demander : si cette musique mériterait d’autres mots, est-ce que ces mots-là ne mériteraient pas une autre musique pour faire un tabac ? Donc, pour conclure, « il suffirait de presque rien… » pour que Jalousie rejoigne les tubes de Voulzy et Souchon.

Jalousie, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, extrait
Jalousie, vous avez dit jalousie ? Une autre chanson a bien pu rendre Laurent Voulzy un peu jaloux… Comme le fait remarquer Marco Stivell, Jalousie a un petit air de When I’m Sixty four (Yellow submarine, 1967) de son idole Paul McCartney. On vous met un petit extrait pour vous faire une idée.
When I’m Sixty four, Beatles, 1967, extrait
Mais on ne va sûrement pas reprocher à Laurent Voulzy de rendre un hommage aux Beatles, d’autant qu’un petit air ne veut pas dire faire du copier-coller, bien au contraire. C’est de la bonne influence, du bon travail « à la manière de », bref, un petit bonjour au passage… Jalousie n’est pas un morceau « évident », c’est de la fine construction et c’est en cela qu’il rappelle Karin. En ton de Fa majeur, on trouve bien un FA (I), un SOLm7 (IIm7), un DO 9 (V9), ça débute bien…, mais aussi toute une palanquée d’accords hors tonalité. Alors, plutôt que de s’épandre en longues conjectures très théoriques, nous préférons glisser la grille du morceau à ceux qui voudraient l’interpréter.

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En pas oublié ou (Laurent Voulzy)

En pas oublié ou, L. Voulzy, 1983, extrait
Avec « En pas oublié ou », c’est le retour des séquenceurs en pilote automatique, des guitares martelées en accords « éclaboussants », des riffs à la Police, des changements de ton en pagaille, d’un rythme obsédant marqué par un tabla sur une oreille, sur l’autre de cocottes répétitives à la guitare, voilà un bon titre, bien dansant et qui pourrait même passer en boîte de nuit ! Notre métis national expérimente, se lâche : 6 min 39, c’est le plus long morceau de l’opus. Dans cette chanson interprétée principalement en créole par Laurent Voulzy et dans laquelle, forcément, on ne comprend pas grand-chose sinon « que le vent (l’a) poussé loin » et qu’il n’a « pas oublié », Alain Souchon apporte son petit grain de sel subversif et chante en fin de titre et en français dans le texte « Petit’ fill’ des Antill’ pourquoi pas révolution (avec l’accent cubain révolutionn’) Depuis Schoelcher (député de la Martinique au XIXème connu pour ses prises de position en faveur de l’abolition définitive de l’esclavage en France) qu’est c’qu’on t’donn’ post telegramm téléphon’ ».
Aut’chose, L. Voulzy, A. Souchon,1983
Aut’chose, L. Voulzy, A. Souchon, 1983, extrait
« Aut’ chose » c’est le dernier interlude, le plus court de l’album cette fois, 0 min 40, pour conclure en douceur, en fraîcheur, en toute sérénité. En effet, c’est « Aut’ chose », ces « sourir’ sur la bouch’ des gens », ces belles guitares arpégées, cette jolie mélodie qui nous entraîne dans « le bleu de la mer dans l’matin des collin’ et des sapins »…
Alors, en définitive, Bopper en larmes, meilleur album de Laurent Voulzy ? Nous, grand amoureux de l’unplugged (de l’acoustique), nous étions parti un peu réticent, voire suspicieux, mais au terme de notre exercice d’analyse et malgré quelques petits « écarts de route » constatés, sûrement causés par l’ivresse de la création, il faut bien reconnaître que l’album se place en bonne position pour arriver dans le peloton de tête !
