Belem, Laurent Voulzy 2017
Publié le 24 novembre 2023, par Charles-Erik Labadille
Belém...
L’album Belem

Belém par le Guide du routard
À ce jour (20 novembre 2023), Belem est le huitième et dernier album studio (Columbia Records) enregistré par Laurent Voulzy. Comme nous l’avons dit dans l’article précédent consacré à « Spirit of samba », c’est un bel album qui plaira en particulier aux amoureux des musiques tropicales que sont la samba et surtout la bossa-nova, musique plus introspective mâtinée d’influences nord-américaines. En effet, la bossa est un costume qui convient à un Laurent Voulzy plutôt rêveur, méditatif, voire timide comme l’annonce le premier titre de l’album.
Timide. Timides, Laurent Voulzy, 1965, 2017, tonalité LA majeur

Voilà la première chanson du CD mais également la première chanson écrite par Laurent Voulzy ! C’est du moins ce que l’auteur confesse : il l’aurait composée vers 1965 et, jusqu’à ce jour, elle n’aurait pas été publiée. Jamais publiée ne veut pas dire jamais jouée, car c’est avec Timides que le jeune Nogentais (Nogent-sur-Marne) remporte en 1967 un radio-crochet organisé à Saint-Brévin-les-Pins par les pneus Dunlop et l’huile Lesieur ! Grâce à ce tournant pourtant bien incertain et glissant (l’huile bien sûr…), notre auteur-compositeur est sur les rails et ne raccrochera plus la guitare… L’album commence donc par une naissance, et s’achève avec le soleil qui se couche…
Timides, Laurent Voulzy, 2017, extrait
« Timides » « colle » bien à la garde-robe brésilienne de l’artiste. La chanson peut s’afficher sans honte auprès de titres plutôt « bossa » qui ont fait la renommée du compositeur comme : « Le soleil donne » (1988), « Le rêve du pecheur » (1992), « Slow down » (2001) ou encore « La baie des fourmis » (2014)… En novembre 2023, pour la Dépêche, Laurent Voulzy confie que « Les paroles sont inspirées par une fille que je trouvais à mon goût mais que je n’osais pas aborder. Quant à la musique, elle était vraiment influencée par le Brésil et il était logique de l’intégrer à l’album ». Quatre jolis vers de l’auteur de 17 ans résument bien la situation qui ne peut se terminer qu’en chanson et par des regrets :
Elle ne parle jamais mais moi Je ne dis plus rien quand elle est là C’est ainsi que tout finira Par des lalali des lalala
Et le pluriel du titre « Timides » montre qu’il ne faut rien attendre non plus de la belle, également bien trop réservée…
Pour la musique, Timides est bien une bossa, mais une gentille bossa, plutôt cool pour les accords, ce qui peut permettre aux débutants de s’initier au style. Globalement, le morceau est construit sur 3 accords de la tonalité de LA : LA et LA7M (I et I7M), SIm (IIm) et MI7 (V7). Le RÉ (IV) est uniquement joué dans l’intro. Ce qui va « faire » bossa, c’est l’accord 7ème majeur (LA7M) avec sa dissonance (sol# / la joués ensemble) : LA (I), SIm7 (IIm7), LA7M (I7M), LA7M ; c’est aussi, en seconde partie de morceau, cette petite descente chromatique (que Laurent Voulzy réutilisera souvent) sur le SIm (si), puis SIm7M (sib) et SIm7 (la) : SIm (IIm), SIm7M, SIm7, MI9 (V9), LA7M (I7M). Ajoutez un petit rythme bossa : « noire noire croche-croche demi-soupir-croche » et la soupe est prête ! Pour l’intro, utilisez une autre « ficelle » du métier : jouez l’accord de LA à vide, et sans barré décalez-le à la 4ème case : les deux cordes jouées à vide donneront ce SI4 basse la ; à la 7ème case ce RÉ2 basse la ; à la 10ème case ce FA7M basse la utilisés dans la chanson ! En fait ce décalage progressif de l’accord de LA vers le haut du manche de la guitare amène de belles dissonances.
Timides, guitare démo par Salvéda 2023

Bélem, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2017, Tonalité SOl majeur

Bellême ?

Chêne de l’Ecole. Forêt de Bellême, par CE Labadille
Belem, Laurent Voulzy / Alain Souchon, 2017, extrait
« Bélem » qui donne son nom à l’album, c’est bien sûr la ville du nord du Brésil Belém. Si ce nom évoquait également pour Laurent Voulzy le célèbre trois-mâts construit pour la flotte des Antillais, son complice chargé des paroles, Alain Souchon, n’a pas eu beaucoup de mal, en cherchant un peu, à trouver d’autres liens : la Tour de Belém à Lisbonne, la forêt et la ville de Bellême dans l’Orne où Laurent Voulzy aurait quelques habitudes et, comme le disent le même Souchon et Wikipedia, « Belém est aussi le nom en portugais de Bethléem, ville de Cisjordanie où serait né Jésus de Nazareth » ! On retrouve bien dans les paroles de la chanson certaines de ces directions annoncées :

« Peut-être dans la tour de Belém Dans la forêt autour de Bellêm’
Sur le voilier où que le vent mèn’ Vers Belém… »

Mais ensuite, le « décodage » de la chanson devient plus complexe : il s’agirait « d’un secret perdu », « d’un mystèr’ qui a disparu » comme cet « ancien amour » qui nous manquerait également…, et qu’on pourrait peut-être retrouver « dans la tour de Belém, dans la… ».
Et où enfin Alain Souchon a-t-il été chercher cette « Légende où des homm’ ailés aux homm’ s’étaient mêlés chassant les monstres de la cité… » ?
A priori, il ne s’agit pas d’Icare dont les ailes vont se détacher à l’approche du soleil. S’agirait-il alors d’anges, comme celui qu’on a retrouvé sur une mosaïque (2016) après les travaux de restauration de la basilique de la Nativité à Bethléem ? Ou encore de ces sylphes bienveillants, hommes ailés porteurs de messages entre les dieux et les hommes ? Nous ne nous avancerons pas plus loin mais, quoi qu’il en soit, nous poserons également les deux questions qui semblent former la clef de voûte d’une condition humaine assimilée, depuis des temps immémoriaux, à une certaine déchéance :
« Pourrons-nous retrouver un jour L’ancien amour… » et où : « Dans la tour de Belém » ?

Face à cette complexité presque métaphysique, la musique est, quant à elle, d’une simplicité désarmante. Et pourtant la chanson fonctionne, et fonctionne même bien. Dans un ton de SOl majeur, le morceau est essentiellement construit sur deux accords : SOl (I) et DO basse sol (IV) dont la répétition sert de signature au morceau. Le RÉ (V) apparaît dans le couplet où il alterne avec le DO. En plein cœur du titre, on voit juste arriver, mais pas pour longtemps et surtout pour le fun (surprise, surprise !), un petit FA2 qui, après un break, relance la « machine » implacable des SOL / DO basse sol…
Belem, démo guitare par Salvéda 2023

Tombée du jour sur la plage de Grumari (Laurent Voulzy)
Après ce détour par Belém, offrons-nous un petit air de guitare avec cette Tombée du jour... Il s’agit en effet d’un instrumental enregistré (comme trois autres titres) sur la plage-même de Grumari, située à une heure trente au sud de Rio de Janeiro : une grève déserte, le bruit du vent et des vagues, de quoi se payer une petite ballade romantique au crépuscule…

Minha song of you (Laurent Voulzy, Alain Souchon, Philippe de Aquino)
Minha song of you, Laurent Voulzy / Alain Souchon 2017, extrait
Cette promenade accompagnée par le ressac en musique de fond continue avec ce titre qui n’est autre que la version brésilienne de « My song of you » (1987). Une confidence : Laurent Voulzy aurait composé « My song of you » en hommage à Astrud Gilberto, la chanteuse qui fut un temps, celui de se faire connaître, l’épouse du fameux Joào Gilberto ! Le titre est adapté par Philippe Baden Powell (qui n’est autre que Philippe de Aquino) et enregistré un demi-ton plus bas que la version d’origine (RÉb majeur, accorder la guitare plus bas). Dans « Minha song of you », la chanteuse britannique mais d’origine brésilienne Nina Miranda donne la réplique à Laurent Voulzy.

Amor jujuba (Philippe Baden Powell)
Amor jujuba, Philippe Baden Powell, 2017, extrait
Vient ensuite un petit bijou brésilien composé et écrit par Philippe Baden Powell. Pas grand-chose à en dire (les paroles sont en portugais du Brésil…) sinon qu’on peut écouter avec recueillement car, comme pourrait le dire JJG (mais si, Jean-Jacques Goldman !), la chanson est vraiment bonne !

Rio (Laurent Voulzy, Dominique Burgaud)
Laurent Voulzy raconte cette première visite au Brésil où le compositeur, pourtant passionné depuis toujours par la bossa, ne s’était jamais rendu. Dans cette chanson, il troque la guitare contre un vieux piano un peu désaccordé, type piano bastringue utilisé fréquemment par les musiques afro-cubaines dans les années 50-60. Ce son « fatigué » est peut-être là, pourquoi pas, pour traduire une ambiance « hôtel borgne ou interlope », de la chambre duquel le chanteur est censé nous raconter son voyage ? Ce qui reste sûr, c’est que cette ambiance « locale » ajoute à la chanson un côté vécu, j’y étais et ça s’entend, et pas dans un grand studio brésilien, non, non, dans une petite chambre meublée… Pour « Rio », Laurent Voulzy a fait appel comme co-auteur à Pierre-Dominique Burgaud.
« Mon rêv’ enfin je vois Rio Je n’y crois pas mais c’est Rio
Au bout d’Ipanema que j’ai tant désiré Je regarde les vagu’ je vais chavirer »Ce vidéaste et parolier s’est déjà fait remarquer, entre autres, pour ses textes écrits pour l’album Le soldat rose (2006) de Louis Chédid. Face au succès rencontré (DVD, adaptation sur scène récompensée…), Francis Cabrel en compose la suite, Le soldat rose 2 (2013), toujours sur les paroles du même auteur. Et c’est en 2017 qu’Alain Souchon, Pierre Souchon et Ours ajoutent le dernier volet de cette trilogie : Le soldat rose à la fabrique de jouet, spectacle représenté en novembre à l’Olympia.

Spirit of samba (Laurent Voulzy, Alain Souchon) et projets du chanteur

Et puis ensuite, c’est le « clou » dont nous avons largement parlé dans le chapitre précédent.
Mais avant de conclure avec le soleil qui se couche sur Bélem qui, pour l’instant, est le dernier album de Laurent Voulzy, parlons un peu des projets de l’artiste.
À partir de 2019, Laurent Voulzy s’est produit dans les lieux de culte. Cette « tournée Église et Cathédrales », qui est notamment passée par le Mont-Saint-Michel (avec la sortie d’un double album live, Laurent Voulzy Mont-Saint-Michel 2019), l’église Saint-Sulpice de Paris…, devrait s’arrêter, après la Belgique et la Suisse, en décembre 2023 par l’église Saint-Eustache à Paris. Le démon de la scène emportera-t-il le chanteur plus loin ? Attendons la réponse dans quelques petits mois. Quant au dernier projet encore dans les cartons, il s’agirait d’une comédie musicale sur Jeanne d’Arc. Dans ce cadre, il se pourrait que ce pop opéra ait à se « frotter » à d’autres projets en cours sur le même thème…
Quand le soleil se couche, Laurent Voulzy, David McNeil, 2017 tonalité MI majeur et LAb majeur

Quand le soleil se couche...

Soleil couchant, Grandlieu par Guy Loirat
Quand le soleil se couche, Laurent Voulzy / David McNeil, 2017, extrait
« Quand le soleil se couche » est une belle chanson pour conclure son album, et même, comme nous l’avons évoqué, sa production musicale puisque depuis 2017… Le morceau se termine par une longue séquence de ressac, rêve et déferlements, au Brésil sur l’océan Atlantique…
Sauf que, mince alors ! Depuis, Laurent Voulzy a écrit une nouvelle chanson intitulée Loreley, Loreley (2020), incluse dans son double album « Florilège » qui rassemble ses meilleurs morceaux ! Certains diront : encore une compilation, et une seule nouveauté pour 35 reprises… Quelque part, on ne peut pas nier que les « recollections » et les « live » de Laurent Voulzy se multiplient depuis l’an 2000 : Saisons (2003), Gothique flamboyant pop dancing tour (2004), Recollection (2008), Lys and love tour (2013), Souchon – Voulzy le concert (2016), Mont Saint-Michel (2019), Florilège (2020). Mais l’artiste a peut-être également droit à une simili retraite construite sur la vente de ses succès indémodables !
Alors, sans vraiment prendre parti, nous n’irons pas fracasser notre frêle esquif sur ces grands rochers surplombant le Rhin où, curieusement, Alain Souchon avait déjà questionné cette belle inconnue de pierre dans sa chanson « La fille du brouillard » (1974) :
« Il y a des légend’ en Bavièr’ Sur des femmes dans les rivièr’
Sirèn’ ou rêves de plein jour Sorcières dont on meurt d’amour
Fou d’amour le cœur à l’envers J’attends au bord de la rivièr’
J’attends qu’ell’ revienne poser Ses lèvres sur ma peau mouillée »
Laurent voulzy, près de cinquante ans plus tard, lui demande cette fois « si elle voit venir des jours de paix et d’Amour. »
Alors, sans attendre la réponse, et même si la sirène Florilège est aussi jolie que sa consœur Lorelei, nous en resterons à notre « Quand le soleil se couche » qui sera donc l’avant-dernière chanson de Laurent Voulzy présentée dans cette chronique.
On retrouve ici David McNeil (déjà croisé dès 1988 auprès d’Alain Souchon), venu prêter main forte pour des paroles peu nombreuses mais touchantes par leur réalité et leur simplicité :
Quand le soleil se couche Que le sabl’ encor’ brûlant laiss’ trois grains sur ta bouch’ Et qu’en cueillant quelques mûr’ nos doigts se touch’ On rentre tout doucement par le chemin le plus long…

« Quand le soleil se couche » sur l’océan Atlantique, on entend donc les déferlements réguliers sur ce titre (et même longtemps après…) et sur la plage de Grumari où la chanson a été enregistrée. Mais l’on découvre surtout une splendide bossa, à l’harmonie beaucoup plus recherchée que celle de « Timides » et certainement plus difficile à accompagner à la guitare.
Le couplet (« Quand le soleil se couche… ») est en MI majeur : MI7M (I), DO#m7 (VIm), FA#m7 (IIm)…
Au refrain (« Par le chemin le plus long… »), on module en MIb majeur : DOm (VIm), SOL (ht), SOLm (IIIm), FA (hors tonalité), LAb (IV), SIb (V), MIb (I), LAb, LAbm (ht).
La fin du morceau (couplet 4) est jouée deux tons plus haut que le début du morceau, cette fois en LAb majeur : LAb7M (I), FAm (VIm), SIbm7 (IIm7)… Mais cette rapide analyse harmonique ne vous suffira pas pour jouer le morceau. Il va vous falloir en plus une grille ou une tablature…
Quand le soleil se couche, démo guitare par Salvéda 2023
Vous devrez également vous trouver la plage idoine où chanter et pas à n’importe quel moment, uniquement « quand le soleil se couche » ! Alors, avec la nuit qui tombe, il va falloir en plus et malgré des accords un peu plus « chauds », vous habituer à ne plus regarder votre main gauche, celle qui fait les accords maintenant complètement dans le noir ! C’est un pas de plus vers votre métier de guitariste, vers la maturité et vers la chronique que nous ferons certainement un jour sur vous !
