Avril (2),Laurent Voulzy 2001
Publié le 3 juillet 2023, par Charles-Erik Labadille
Danser dans ce bal...
Je suis venu pour elle, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2001, tonalité FA

Je suis venu pour elle, Laurent Voulzy / Alain Souchon 2001, extrait
L’amour transcende tout. C’est la leçon qui se dégage de nos vies mystérieuses, incompréhensibles, fugaces, inutiles, toujours inscrites entre joies et désillusions, sans savoir pourquoi. La seule certitude serait d’être là, d’être au monde pour elle, d’être venu pour des choses très simples, dormir ensemble, mais aussi très compliquées, voler avec les ailes de l’autre. C’est l’unique certitude, enfin peut-être…, car Alain Souchon ne peut pas s’empêcher d’ajouter : « Je suis là pour l’amour, il semble… ». Ce qui est sûr, en tout cas pour nous, c’est que « Je suis venu pour elle » est un très beau texte qui, en quelques mots, décrit le hasard, l’amertume mais aussi l’intérêt de la condition humaine qui nous fait aimer « danser dans ce bal sous les étoil’ ».
Texte philosophique s’il en est, « Je suis venu pour elle » repose la question essentielle et si souvent évoquée de la finalité de nos existences, tout en se risquant, cette fois, à apporter une réponse sur le sujet…
« Mystèr’ de nous passagers sur la terr’ On est venu pourquoi fair’ À quoi ça sert ? »…
« Que dir’ De naîtr’ et après de mourir De ne jamais rien pouvoir voir Jamais savoir »…
« Pourquoi on est là ? Mais moi je sais quoi…» « Je suis venu pour… ».

Les couplets sont principalement construits sur un I IV V mineur (ou si l’on préfère un VIm IIm IIIm, ce qui est la même chose) : RÉm7 (VIm), SOLm (IIm), LAm7(IIIm), auxquels s’ajoute DO7/6 (V) pour créer une boucle (résolution) vers le refrain (FA) ou le couplet (RÉm7, accord relatif de FA). Ainsi, pour les grandes questions métaphysiques des couplets, on est bien en mineur. Mais pour le refrain qui amène la réponse positive (Je suis venu pour ell’…), on passe en majeur : FA (I), LAm (IIIm), SOLm (IIm), DO7/6 (V)… et l’on termine par la petite descente de basse coutumière à Laurent Voulzy : SOL/si, SOLm/sib, DO7/la… On note, une fois encore, que le compositeur a utilisé 5 accords de la tonalité, c’est-à-dire FA majeur (ou RÉ mineur).
Je suis venu pour elle, Voulzy / Souchon. Démo guitare et tablature par Salvéda
Le morceau peut se jouer facilement un ton et demi plus bas : SIm7, MIm, FA#m7, LA7/6… Pour retrouver la tonalité d’origine, il suffit de faire ces renversements derrière un capo à la case 3.
La terre par actu-terre-aphelie


Danser dans ce bal, sous les étoiles...
Deux grands « barrés » pour mémoriser plus facilement les accords (renversements)

Avec les accords, il y a deux façons de procéder : soit on apprend toutes les positions par cœur (et il y a du boulot !) ; soit on procède avec un peu de logique et ça devient beaucoup plus simple. C’est cette seconde méthode que nous allons présenter.
Dans les 3 premières cases de la guitare, il a très peu de positions permettant de réaliser des accords majeurs se jouant au moins sur 5 cordes consécutives : les positions de DO, RÉ, MI, SOL et LA qu’on apprend par cœur dès qu’on débute l’instrument. Pour plus de facilité, nous les appellerons des « FORMES ».
Sur le manche de la guitare, les seules formes qui peuvent se décaler derrière un barré, avec un écartement des doigts de 3 cases (barré compris), sont les formes de MI et de LA. Les 3 autres (DO, RÉ, SOL) nécessitent de poser les doigts sur 4 cases et sont donc plus difficiles à réaliser ; vous les garderez pour plus tard…
Les grands barrés. Tuto audio et tablature de Salvéda


Avec juste un peu de déduction, vous voilà donc armés de 5 familles d’accords, 60 accords et 120 renversements (puisqu’il y a 2 « formes »). En poussant le procédé plus loin, on obtient facilement les accords sus4, mineurs 7ème majeure… Par la suite, un travail plus ou moins similaire peut-être conduit avec les « formes » de DO, RÉ et SOL mais attention, il faut écarter un peu plus les doigts…

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Amélie Colbert, Laurent Voulzy, 2001, tonalité SOL majeur

Panneau créole : » Levez le pied, il y a des enfants qui jouent ici » par Wikimedia commons
Amélie Colbert, Laurent Voulzy 2001, extrait
Amélie Colbert : nouveau personnage ordinaire et extraordinaire, héroïne de fiction qui va permettre de jeter une ancre dans les Antilles françaises (une petite encre aussi pour Laurent Voulzy qui, cette fois, s’est également chargé des paroles) : ça y est, on y est, les alizés, le gouverneur, les grands propriétaires, parler créole, la biguine, et cette Amélie Colbert (avec un nom qui ne s’invente pas et fleure bon les Îles…) qui mène la danse. Cette chanson permet à Laurent Voulzy de revenir sur ses origines lointaines. Lors d’une interview donnée à RFI Musique lors de la sortie d’Avril en 2001, il déclare : « J’avais des souvenirs de ce que me racontait ma mère. Moi, j’ai découvert la Guadeloupe très tard, à 35 ans. C’est un mélange de tout ça que j’avais envie de conter à travers l’histoire d’une vieille dame imaginaire qui a atteint une espèce de sagesse grâce à l’âge et aux aléas de la vie. (…) C’est aussi une évocation de ce que pouvaient être les Antilles autrefois, et encore maintenant je trouve. Je voulais retranscrire cette âme. »

Outre l’intéressant retour sur histoire, ce titre va permettre à Laurent Voulzy de reprendre le message lancé avec « Belle-Île-en-Mer » : « Amélie a un rêv’ aussi Ell’ dit que blancs et noirs C’est un’ chanc’ un espoir ».
Bon, même s’il n’est plus inédit, ce genre de message n’est pas non plus inutile car les extrémismes ne sont jamais loin… Néanmoins, le statut de cette bouteille jetée à la mer a bien évolué depuis les premiers plaidoyers pour l’émancipation des noirs, les Années Folles (années 20) et Joséphine Baker. Le métissage est même à la mode dans les années 80 : en 83, la Compagnie Créole lance « C’est bon pour le moral » ; en 85, Julien Clerc chante « Melissa » ; en 87, Philippe Lavil entonne « Kolé Séré »…, et « Amélie Colbert » (2001) s’inscrit donc naturellement comme une nouvelle pièce d’un puzzle qu’on pourrait appeler : la déferlante d’Outre-Mer.

Alors, partons danser avec « Amélie Colbert » sur les rythmes syncopés des « Zantiy franse » (des Antilles françaises). Le couplet est un « I IV V » basique : ici, en SOL majeur « SOL-DO-RÉ) où le SOL est parfois remplacé par son relatif mineur MIm (VIm).
Le pont instrumental répète en plus court, sur deux mesures, cette structure VIm / IV V7 (Mim / DO RÉ7) sur laquelle on pourrait presque chanter l’air de Ritchie Valens, la Bamba : Bamba la bamba la bamba…
Le refrain (Si ou enmé mwen…), quant à lui, est plus complexe harmoniquement, tant au niveau des successions d’accords que du nombre de notes composant ces derniers : accords à 4 sons (mineurs septièmes, septièmes majeurs…) et 5 sons (neuvièmes…) avec les dissonances qu’ils entraînent.

La séquence est cette fois un « IIm7 V9 I7M VIm7 » qui tourne sur 4 mesures, donc : LAm7 RÉ9 SOL7M MIm7, un enchaînement très utilisé en jazz. Présentons-le en deux étapes.
Le IIm7 V9 (ici LAm7 RÉ 9) est une structure incontournable du swing, une des plus utilisées pour l’improvisation conduite, bien entendu, avec la gamme construite sur le degré I donc ici SOL majeur. Les accords s’enchaînent merveilleusement bien car ils ont 3 notes communes : LAm7 : la do mi sol ; RÉ 9 : ré fa# la do mi. Allons plus loin : il suffirait de faire un LAm6 pour en avoir 4 : la do mi fa#, ce que ne vont pas manquer de faire les musiciens (voir l’encadré suivant sur Les petits barrés).
Voyons maintenant les 2 accords suivants qui, bien entendu, fonctionnent également sur la gamme de Sol. Il s’agit donc du I7M et du VIm7, donc ici SOL7M et MIm7. Le RÉ 9 (V9) du couple précédent, qui peut être simplifié en RÉ 7 (V7), joue ici un rôle de résolution : nous avons vu qu’il est « chargé » de ramener un accord situé à 2,5 tons de lui, donc ici le SOL7M (I7M). Nous sommes donc revenus au « début » de la boucle. Pour relancer le IIm7 V9, MIm7 (VIm7) succède à SOL7M. Le passage se fait en douceur car MIm7 est le relatif de SOL7M et les deux accords ont 3 notes en commun sur 4 : SOL7M : sol si ré fa ; MIm7 : mi sol sI ré. Pour accentuer le caractère dissonant de cet accord, comme cela se fait en jazz, Laurent Voulzy va parfois lui ajouter une seconde majeure, la note fa# (fa# – sol = dissonance). Mais il va également, comme cela se fait souvent en swing, parfois transformer la tierce mineure (sol) de cet accord de MI mineur en tierce majeure (sol#). Pourquoi ? Parce que l’accord de MIm7 devient alors MI7 et qu’il peut ainsi jouer lui aussi un rôle de résolution, c’est-à-dire ramener harmoniquement un accord situé 2,5 tons au-dessus de lui. Ici, c’est le LAm7 et la boucle peut donc recommencer…
Maintenant, pendant que les danseurs se lancent dans les rythmes endiablés de la biguine (Dansez les demoisell’ allons-y, A-Mé-Lie… A-Mé-Lie…), il est temps que les guitaristes qui n’ont vraiment pas de chance se mettent à « plancher » avec nous sur les petits barrés qui pourraient bien leur être utiles un de ces jours… Gentils messieurs, les jolies demoiselles ce sera pour plus tard !
Les petits barrés et les accords de neuvième

En plus des grands barrés de l’index (sur 6 cordes), il existe d’autres barrés réalisés sur un nombre de cordes plus limités : petits barrés de l’index ; barrés du pouce ; barrés de l’annulaire ; ces derniers sont souvent utilisés pour réaliser les accords de neuvième…
La tablature et l’audio devraient permettre de vous familiariser avec les sonorités :
- petit barré LA7, LA#7, SI7…
- barré du pouce sur RÉ, puis FA, puis FA7M
- barré de l’annulaire avec DO9, DO#9, RÉ9…, puis SOLm6, SOL#m6, LAm6,…
- séquence du I IV9 V9 blues
- séquence IIm7 V9
Les petits barrés et les accords de neuvième. Audio et tablature par Salvéda

La fille d’Avril, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2001, tonalités LA mineur et SIb majeur

« La fille d’Avril » ? d’Avril avec un A majuscule ? Alors, ce n’est pas le mois d’avril dont il s’agit, parce que, hormis en début de ligne, les noms de mois s’écrivent avec une minuscule. Et on sait qu’Alain Souchon est plutôt à cheval sur les principes littéraires et orthographiques ! Souvenez-vous « Du rêve du pecheur », écrit sans accent pour que l’on comprenne à la fois pêcheur, le gars qui pêche à la ligne, et pécheur, celui qui commet des péchés !
D’un autre côté, puisqu’on en est aux détails, nous avons toujours été troublés par les liaisons systématiquement évitées par les deux compères, vous savez, ces liaisons qu’on vous apprend à faire à l’école dès que vous êtes petits. De deux choses l’une : ou bien c’est involontaire chez Voulzy et Souchon, et c’est un peu moyen pour des gars aussi pointilleux ; ou bien c’est volontaire et ça se comprend parce qu’en chanson, les liaisons sont délicates à gérer. Prenons quelques exemples… « Je vais embêter les quill’ à la vanill’ » (« J’ai dix ans »), ferait un peu bizarre en « Je vais embêter les quill’ zà la vanill’ », non ? Et « Des micro-brac’lets zaux ch’vill’ » (« Bidon ») ? Ou encore « Fumer ses nuits zen lunett’ noir’ » (« Qui dit qui rit ») ? Bref, a priori, Alain Souchon, dès le début, a pris le parti de ne pas faire les liaisons zen chansons, principe auquel on peut adhérer facilement. Parfois, néanmoins, cela peut choquer un peu, comme « sépar’ les petits zenfants » (« Belle-Île-En-Mer »), chanté par Laurent Voulzy « sépar’ les petits tenfants », mais un principe est un principe ! À moins que ça ne soit « séparé petit enfant… », difficile de savoir sans avoir les paroles sous les yeux…
D’ailleurs, si nous étions rationnels, nous devrions choisir une règle similaire avec les « e », qui selon les cas sont prononcés où élidés dans les chansons. Prenons ce début de vers du « Rêve du pecheur » : « De l’eau fraîch’ vivre d’amour… ». Ne devrait-on pas écrire : « De l’eau fraîche vivre d’amour… », ou « De l’eau fraîch’ vivr’ d’amour… », mais que ne feraient pas les poètes pour avoir leur bon nombre de pieds !
Allez, continuons à ergoter et revenons-en, pour finir, à notre affaire d’Avril ! Connaissant donc le roublard Alain Souchon, il pourrait donc s’agir de la fille d’un type nommé Avril, donc de la fille du gars Avril ! Eh bien non, car tous les autres mois cités dans la chanson ont aussi une majuscule dans le livret qui accompagne le CD. Il ne s’agit donc pas d’une subtilité littéraire, d’une astuce habituelle à la Souchon, quelle déception !

L’ingéniosité est ailleurs : l’auteur a trouvé une nouvelle thématique, un nouveau rapprochement d’idées avec lequel il va pouvoir « jongler » et tester son inspiration littéraire. Utilisant le vieux principe de l’astrologie qui proclame que le caractère des natifs est influencé par leur signe zodiacal, il va conjuguer mois de l’année et tempéraments féminins. Pour pimenter l’affaire, son héros (Laurent Voulzy) va « tomber » sur une fille « difficile », une fille d’avril qui « ne veut pas découvrir d’un fil tout ce qu’elle a Ni son cœur ni son corps », le « C’est comme ça » final ouvrant aux notions de prédestination, de bonne et de mauvaise fortune, fatalitas, fatalitas Mister Souchon…
Et la parité dans tout ça ? Toutes ces chansons sur les filles faites par des hommes, c’est un peu lassant, non ?… Prenant modèle sur Diana Krall dont la version de « The girl from Ipanema » est devenue « The boy from Ipanema », nous pourrions proposer une reprise de La fille d’avril qui, évidemment, s’intitulerait « Le gars d’avril », juste retour des choses. Pour les paroles, cette « adaptation » serait assez facile à réaliser car il suffirait de transformer tous les féminins en masculins. Donc,
« Les fill’ de janvier on le dit, n’aiment pas garder leurs habits », deviendrait :
« Les gars de janvier on le dit, n’aiment pas garder leurs habits », etc…
Un seul vers poserait problème :
« Ell’ aim’ le vent les fill’ d’octobr’ C’est de l’air qui vient sous leurs rob’… ».
Mais, à cœur vaillant rien d’impossible et nous pourrions proposer :
« Ils’ aim’ le vent les gars d’octobr’ C’est de l’air qui vient sous leurs bobs… ».
Un peu tiré par les cheveux me direz-vous, mais les rimes en « ob », ça ne court pas les rues (ni les dictionnaires de rimes) !

Avec cette version masculine de « La fille d’avril », on peut se demander, sur le même principe, quel serait le tempérament de nos deux artistes. Prêtons-nous au jeu de la chanson et des signes zodiacaux :
- Pour Alain Souchon ce serait : « Voici le joli mois de mai Les manteaux on les met jamais ». Les Gémeaux et donc Alain Souchon sont inquiets et instables, mais aussi joueurs et intelligents. Très manuels, ils sont dotés d’une grande capacité intellectuelle mais peuvent faire preuve d’exagération. Les Gémeaux n’aiment pas la routine et sont en constante recherche de nouveauté.
- Et pour Laurent Voulzy: « Et passons Noël enlacés ». Les Sagittaires et donc Laurent Voulzy aiment la liberté et la sagesse. Ils sont optimistes, francs, généreux mais parfois impatients. Les sagittaires ont le contact social facile mais sont parfois orgueilleux. Ils font souvent preuve d’audace mais n’apprécient guère les critiques.
Alors, messieurs Souchon et Voulzy, vous reconnaissez-vous au travers de ces deux portraits ? Et vous, chers lecteurs, cela ressemble-t’il à l’idée que vous vous faites de vos deux héros ?
Cette approche astrologique est certes un peu facile, mais tentante … En revanche, sans avoir recours à des sources fiables, il est plus difficile de reconnaître la jeune fille qui pose sur la pochette d’Avril. Non, ce n’est pas la fille de Laurent Voulzy : il n’a eu que des gars ! C’est celle du célèbre photographe Jean-Baptiste Mondino qui a réalisé les clichés de l’album. Et la vieille guitare (avec seulement 4 cordes) que la jeune fille enlace, comme le fait le chanteur avec un sourire amusé sur la face arrière du CD, est, de source sûre, la première guitare offerte à Laurent Voulzy, en 1965… En effet, c’est la révélation qu’il a faite à RFI musique à la sortie de l’album. Si c’est pas de l’info, ça !

La fille d’Avril, Laurent Voulzy / Alain Souchon 2001, extrait
Question musique, « La Fille d’avril » est une balade plutôt lente (96 au métronome). Le morceau commence par son refrain qui est en DO majeur (ou LAm si vous préférez) : LAm (VIm), SOL (V), FA7M (IV7M), quoi de plus classique…
Ça se gâte avec le couplet introduit par la descente de basse sol (SOL), fa# (RÉ/f#), fa (SIb7M). Cet accord de SIb7M s’accorde bien avec le précédent, le RÉ/f#, car ils ont 2 notes en commun, le ré et le la, ce qui permet de glisser en douceur vers une nouvelle tonalité. Ce SIb7M, sur une longue séquence, va s’enchaîner en boucle avec un LAm7/5b. Nous avons bien changé de ton, nous sommes en Sib majeur, avec le SIb7M (I) et le LAm7/5b (VIIm7/5b). Cet accord construit sur le 7ème degré de la gamme, nostalgique s’il en est, a déjà fait l’objet d’une présentation dans « Banale song ». Précisons ici qu’il est peu commun de l’entendre utilisé aussi systématiquement que dans ce passage où s’inscrivent aussi un DOm7 (IIm7) et notre RÉ/f# du début, seul accord qui « sort » de la gamme de SIb majeur avec laquelle on peut improviser sur tout le reste. Mais bientôt, il faut retrouver le refrain et la tonalité d’origine, DO (ou LA mineur). Pour ce faire, Laurent Voulzy va se livrer à une gymnastique harmonique plus improbable, avec utilisation d’accord septième diminuée (FA#7dim) et changement de ton chromatique (moins 0,5 ton), avec passage de « SIm7 FA#4 » à « SIbm7 FA4 ».
Précisons enfin que pour amener encore plus de variété dans le morceau, Laurent Voulzy module en SI mineur (1 ton plus haut) pour les derniers refrains et la conclusion de la chanson.

Jésus, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2001, tonalité SIb majeur

Il n’est pas facile de parler de la misère, de la différence, du malheur de certains sans tomber dans la sensiblerie, voire la démagogie et sans utiliser des formules toutes faites qui vont faire pleurer Margot. Il n’est pas non plus facile de devenir porte-drapeau, chef de file ou de lutte, presque un symbole si engagé qu’il ne pourra plus bifurquer… C’est certainement ces difficultés qui sont à l’origine des longues hésitations de Laurent Voulzy avant qu’il se jette enfin à l’eau, une bonne dizaine d’années après sa rencontre avec le père Joseph Wresinski qui souhaitait lui passer commande d’une chanson sur le thème de l’extrême pauvreté. Laurent Voulzy confessera que ce n’est qu’en 1988, à la mort du fondateur d’ATD Quart Monde, qu’il commencera à réfléchir au projet, prendra contact avec le mouvement en allant aux réunions, sympathisera avec les gens… « Jésus » sera la première chanson qu’il va écrire avec Alain Souchon pour l’album Avril.

Jésus, Laurent Voulzy / Alain Souchon 2001, extrait
La grande subtilité des paroles, c’est qu’Alain Souchon ne porte pas de jugement, ne donne pas de leçons : pas de « Il faudrait faire quelque chose », « C’est triste », « Ça ne devrait pas exister ». Non, ça existe et avec sa grande habitude de « reporter sur la terre », il va se borner à observer, constater et dire, c’est-à-dire informer. Le bilan s’opère en deux temps. Au départ, les mêmes conditions semblent partagées par tous ; dans trois couplets, ce « même » est répété pas moins de 15 fois : « Mêm’, mêm’ sourir’ d’enfant Mêm’ air qu’on respir’ en mêm’ temps… ». En second lieu, dans deux autres couplets, le témoignage se fait amer : Et pourtant… « pourtant rien rien à fair’ certains À côté à côté du chemin… ».

En réponse à cette fatalité, à cette malchance, lorsque l’individu se sent dépassé, écrasé par des circonstances incomprises ou injustes, la tendance la plus courante est qu’il s’en remettre à Dieu. La seconde grande idée de Souchon est de questionner Dieu, mais un Dieu aussi dépassé, aussi impuissant et que les hommes :
« Jésus l’entends-tu ? Ces dam’ et ces messieurs pieds nus
Ne sont-ils pas assez gracieux ? Trop bas pour tes yeux délicats
Jésus, roi du vent Nos âmes vol’ pareillement Toi tu choisis comment ? »
Et s’il n’est pas aussi impuissant que les hommes, que fait-il en définitive pour que ça change ? C’est une habile façon de dire que la réponse au problème ne viendra pas du ciel (à nous de jouer…) et que le salut de l’homme ne passe pas par l’intermédiaire d’un Dieu quelconque. Malgré les apparences, « Jésus » est donc une complainte plutôt septique et irréligieuse… On peut d’ailleurs se demander jusqu’à quel point, cette chanson écrite par deux hommes aux croyances et aux caractères différents, correspond à un Laurent Voulzy qui certes, n’a pas de certitudes, mais poursuit néanmoins une longue quête pour savoir s’il y a autre chose que ce que l’on peut voir (« Caché derrière »…).

Bidon, bidon...

Bidonville par ATD Quart Monde
Jésus est enregistré en SIb majeur sur le CD. Gageons que ce soit plutôt en LA (une tonalité bien plus utilisée par les guitaristes, soit 0,5 ton en dessous) avec un capo placé à la 1ère case… Alors, voyons ce que cela donne en LA. Le morceau a été volontairement composé en majeur, peut-être pour éviter le côté larmoyant. Couplets et refrain sont de jolis I IV V très classiques, les couplets débutant par le I (LA), le refrain par le IV (RÉ).
Dans le couplet, il y a un bel enchaînement entre le LA (notes de l’accord : la, mi, la, do#, mi) et un MI basse la (la, mi, sol#, si, mi) : même basse, deux notes communes entre les deux accords et les deux autres qui créent une mélodie descendante (la do# > sol# si). On note également une modulation en RÉ majeur sur les deux derniers accords du couplet « RÉ (I) et SOL2 (IV) » pour créer une sorte d’envolée suspendue.
Dans le refrain, une mélodie chromatique descendante (ré > do#) est créée sur certains LA par le remplacement de la tierce majeure par la quarte « LAsus4 – LA ». On remarque également l’utilisation de quelques accords mineurs de la gamme de LA : SIm7 (IIm7), FA#m7 (VIm7), il faut bien provoquer une petite larme… Quant au DO#7 qui devrait être mineur (IIIm7), il est joué en majeur (III7) pour son rôle de résolution qui va ramener au FA#m7 qui suit (2,5 tons au-dessus).
Jésus, L. Voulzy / A. Souchon, reprise de Salvéda 2020

I want you, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2001, tonalité RÉ majeur
C’est un morceau, comme on dirait maintenant « trop » bizarre ! Trop bizarre déjà, parce qu’il n’a rien à voir avec le reste de l’album. C’est une sorte de…, comment dire, de « country psyché-prog » qui mêle mélodies répétitives et boucles rythmiques hypnotiques, longs instrumentaux truffés d’effets sonores plutôt planants, phasing, flanger… Trop bizarre, parce que, malgré ce contenu décalé, il dure 13 min 10, un véritable pavé dans la mare d’un album plutôt intimiste ! Trop bizarre parce que les paroles oscillent entre bouffonnerie légère et profonde philosophie :
« Sur mon ukulélé j’improvis’ un peu Tandis que Loulou lit sur mon canapé bleu
Arthur Rimbaud c’est très très beau Mais moi mon poèm’ se résum’ en ces mots : I want you »
« J’ai vu dans le ciel un rond et un cœur Et tout autour douz’ pétal’ de fleurs
Dans le ciel et dans mon cœur On dit qu’il y a d’autres demeur’ »
Trop bizarre enfin car les avis sont carrément partagés à son égard, soit totalement enthousiastes, soit mitigés voire pire. Commençons par les fervents amateurs, avec Marco Stivell (Forces parallèles, 25 août 2015) qui en dit : I want you est « une composition de grande qualité avec une progression limpide, un enchevêtrement de thèmes obsessionnels liés au titre choisi, souvent planants et latents, parfois nerveux dans un registre hard-rock, des chœurs mystiques, des synthés et sitars… En bref, la face cachée (derrière) de Voulzy ».
Pour notre part, nous serions plutôt dans la robinetterie, donc plutôt mitigés, et nous avons vu « I want you » plutôt comme un moment de détente, au départ peut-être une sorte de rigolade musicale d’un gars avec sa gratte (ou son ukulélé…) ou de deux potes qui s’amusent et qui, au bout d’un moment, se disent : « Tiens, ça pourrait peut-être faire quelque chose, faut qu’on creuse… ». Et ça creuse, ça creuse, un véritable tunnel, pas déplaisant comme tous les tunnels, il y a une ambiance cosy, des lumières qui défilent, une impression d’apesanteur, de « refuge amniotique », mais on aimerait tout de même bien en sortir un jour !


Tablature du motif rythmique par Salvéda, 2024
Le motif rythmique de I want you, démo par Salvéda 2024
À la base, il y a une trouvaille harmonique en deux mesures, assez voisine d’ailleurs de celle sur laquelle est construit « Le soleil donne » : c’est une alternance de SOL basse la (SOL2) et de LA. La subtilité consiste à jouer l’accord de SOL à vide et à obtenir le LA par hammer (effet « marteau », voir la tablature). Cet enchaînement est plutôt simple (quand nous disions un gars qui s’amuse…), toute la difficulté tient plutôt ici dans le rythme, avec notamment un SOL2 anticipé et beaucoup de coups de médiator étouffés ou, au contraire, accentués. Pour le « Le Soleil donne », c’était une rythmique bossa faite aux doigts sur les deux accords suivants : LA basse sol (LA7) et SOL2.
I want you, Laurent Voulzy, Alain Souchon, 2001, extrait
Dans le fond, tout cela est très malin car cette suite d’accords va permettre d’exprimer quelques originalités dans les contre-chants, les vocalises et les soli. En effet, SOL (IV) et LA (V) appartiennent à la gamme de RÉ majeur (I), et cette dernière (la, si, do#, ré, mi, fa#, sol, la, si) va amener une couleur originale sur les deux accords. Debussy, cité dans le morceau, a lui aussi, utilisé ces modes appelés lydien (sur le SOL) et mixolydien (sur le LA). Mais ce n’est pas tout car « l’ambiance » change en cours de morceau. Laurent Voulzy introduit régulièrement l’accord de DO, avec ou sur le SOL2 et le LA précédents, ce qui change la signification et la signature du morceau. On est cette fois en DO majeur (I), le SOL est cette fois sur le cinquième degré (V) et le LA dont la tierce n’était pas jouée devient un LA mineur (VIm). Les impros sur « I want you » sont alors dans le mode éolien (la, si, do, ré, mi, fa, sol), ou utilisent aussi la gamme pentatonique du blues en LA (la, do, ré, mi, sol). Tout cela ne manque donc pas d’idées, bien au contraire mais, au final, il y a tout de même ce long étirement d’un gimmick (SOL2 LA…) qui, pour notre part, finit par nous lasser… Allez, 6 min 35, ç’aurait été « trop » génial !
Peggy bye bye (reprise de 1976), Laurent Voulzy, tonalités SOL majeur et DO majeur

Peggy bye bye, Laurent Voulzy 2001, extrait
« Peggy bye bye » est la chanson « cachée » de l’album. Elle n’apparaît pas dans les titres mentionnés sur la pochette, arrive après le long « I want you » et un bon moment de vagues qui déferlent. Nous ne regrettons pas d’avoir attendu jusque-là car, surprise, c’est un petit bijou harmonique. Les paroles (de Laurent Voulzy) fonctionnent bien avec le titre mais sont plutôt énigmatiques pour qu’une interprétation de notre part ne soit pas risquée. Il s’agit certainement là de souvenirs personnels. Laissons donc à l’auteur sa boîte à secrets et contentons-nous d’un coup d’œil (et d’oreille) à la musique…

C’est une reprise de la version originale enregistrée en 1976, en SOL également, dans un style plutôt pop (folk-rock). Ici, l’ambiance est plus cool, l’arpège un peu plus lent, presque « bossa » et convient mieux, à notre sens, aux paroles assez mélancoliques (départ, séparation, temps qui passe…). Nous vous proposons ici de l’examiner dans une tonalité de MI (1,5 ton plus bas), pratique à la guitare et permettant aux voix moins « perchées » de s’exprimer. Mais pour les filles et les gars qui « grimpent » haut, vous pourrez toujours mettre un capo à la 3ème case pour l’interpréter dans la tonalité d’origine…

succèdent dans leur ordre chronologique : MI (I), FA#m7 (IIm7), SOL#m7 (IIIm7), LA (IV), SI (V), avec juste une petite descente mélodique après le SOL#m7 due à l’insertion d’un SOL#m7/5b (ré# > ré) avant le LA qui suit.
Les 10 dernières mesures de ce couplet sont constituées d’un enchaînement de résolutions type « V7 > I » (I majeur ou mineur) qui nous emmène au refrain : DO#7 / FA#m7 ; SI7 / MI ; SOL#7 / DO#m7 ; SI7 / MI ; RÉ#7 / SOL#m7 ; DO#7 / FA#m7 et (FA#7) / SI7 qui boucle la boucle par le MI et le début du refrain !
Le refrain pourrait paraître plus simple : MI (I), LA (IV), FA#m7 (IIm7), DO#m7 (VIm7), SIm7 (V ?). Mais non, ce SI qui devrait être majeur (comme dans le couplet) nous indique que Laurent Voulzy a changé de tonalité et que nous sommes maintenant en LA majeur : MI7 (V7, résolution qui amène le LA qui suit), LA (I), FA#m7 (VIm7), DO#m7 (IIIm7), SIm7 (IIm7). Si vous avez un contre-chant ou un solo à faire sur le refrain, c’est donc en LA majeur (et non en MI) qu’il faut jouer… Pour finir, en toute fin du refrain, vous pouvez noter quelques passages d’accord un peu forcé : SIm7 – LA – SI7. Ce sont tout simplement quelques acrobaties harmoniques que Laurent Voulzy a trouvées pour retomber sur ses pieds et revenir à la tonalité d’origine, MI, et au début du couplet suivant.
Peggy bye bye, L. Voulzy. Démo audio guitare et tablature par Salvéda
Sable par Futura science


