Alain Souchon & Laurent Voulzy 2014. Le concert 2016
Publié le 11 octobre 2023, par Charles-Erik LabadilleLe double album Souchon Voulzy Le Concert 2016

Après 40 années à écrire des chansons ensemble mais en se produisant séparément, Alain Souchon et Laurent Voulzy franchissent le pas et décident de sortir en 2014 le premier album publié sous leurs deux noms : « Alain Souchon & Laurent Voulzy ». Il sera suivi d’une tournée commune, menée d’avril 2015 à septembre 2016 et gravée sous forme d’un double CD intitulé : « Souchon Voulzy Le Concert ».
Même si c’est un peu anachronique (le contraire du sens de cette chronique !), laissons-nous d’abord séduire par l’album en public car il l’a bien mérité ! En effet, il résume parfaitement l’esprit de deux carrières et, de ce fait, nous paraît devoir être traité en priorité ; d’autant qu’il reprend la meilleure moitié des enregistrements de 2014, alors quitte à faire des économies en n’achetant qu’un CD… Commençons donc par ce double album de 2016, « Souchon Voulzy Le Concert », qui est un album de reprises où les deux auteurs-compositeurs interprètent en public pas moins de trente de leurs meilleures créations, de « J’ai dix ans » aux 6 titres de 2014. Parmi ces derniers, trois tout particulièrement vont rejoindre le panthéon des deux auteurs-compositeurs : « Derrière les mots », une chanson sur ce que nous disent entre leurs lignes nos couplets et nos refrains ; « Souffrir de se souvenir », sur le passé, avec la nostalgie et la mélancolie qu’il peut distiller chez bon nombre d’entre nous ; et enfin « La Baie des Fourmis », sur la contemplation en général et la mer en particulier. Trois grands piliers de l’œuvre commune de Souchon et Voulzy. Si l’on cherche la quatrième « colonne », sans laquelle tout édifice est un peu bancal, on pense bien entendu à l’amour. Pourtant, nos chanteurs se sont toujours défendus d’écrire des chansons d’amour. La suite de cet enregistrement live de 2016 pourrait bien leur prouver que non, avec les reprises de « La fille d’avril », « Somerset Maugham », « Bidon », « La ballade de Jim », « Le cœur grenadine », « Jeanne »… Accordons néanmoins aux deux créateurs siamois que ces chansons sentent plus le vécu, le sang, la sueur et les larmes que l’eau de rose ! Car voilà encore une autre marque de fabrique de ces « deux frères de chanson » : s’ancrer dans l’ordinaire, le quotidien parfois gais (« Rockollection », « Amélie Colbert »), parfois plus tristes (« Bad boys »). Mais l’auditeur va également trouver dans ce double opus bien d’autres colonnades qui soutiennent le fronton d’un édifice plus complexe qu’il n’y paraît avec : l’humour et l’autodérision (« J’ai dix ans », « Allô maman bobo », « Bidon », « Bubble star »), l’idéalisme, l’engagement et la défense des minorités (« Le pouvoir des fleurs », « Belle-Île-en-Mer-Marie-Galante », « Le soleil donne », « C’est déjà ça »), l’irrévérence et la critique (« Jamais content », « Et si en plus y’a personne », « Poulaillers’ song », « Oiseau malin », « Foule sentimentale »), l’introspection (« Caché derrière »), le regret et l’amertume (« On était beau », « le rêve du pecheur », « Le Bagad de Lann-Bihoué », « Il roule »), thèmes particulièrement séduisants dans le domaine de l’écriture et de la musique qui font que, au final, nous avons choisi ces deux auteurs-compositeurs et que nous nous sommes lancé dans ce travail de chroniqueurs-fourmis…



Pour le recueil de toutes ces thématiques et pour l’enregistrement d’une excellente qualité, SOUCHON VOULZY LE CONCERT est une réussite que nous conseillons d’écouter à tous ceux qui veulent se faire une meilleure idée des deux chanteurs. Ces concerts permettent également de rencontrer un public enthousiaste (Zénith de Paris, Carhaix) et de retrouver des musiciens de grande qualité, le pianiste Michel Amsellem, le guitariste Michel-Yves Kochmann et également Elsa Fourlon (chant, harpe…), Éric Lafont (batterie), Olivier Brossard (basse). Ces représentations publiques peuvent également offrir des versions plus acoustiques que les enregistrements originaux de certains titres, versions plus épurées qui laisseront aux musiciens, et en particulier aux guitaristes, l’opportunité de mieux découvrir les « parties » de leur instrument de prédilection : on pense, entre autres, à « J’ai dix ans », « Et si en plus y’a personne », « La baie des Fourmis », « La fille d’avril », « Le rêve du pecheur », « Somerset Maugham », « Cœur grenadine »… Terminons par une note plus personnelle sur la sélection des trente chansons : pour notre part, nous aurions bien vu « Oiseau malin », « Poulailler song » et « Il roule » remplacés par « Y’a d’la rumba dans l’air », « Song of you », « Slow down » et « À cause d’elle »… Mais bien sûr, ce choix n’engage que nous et prouve qu’en plus, nous ne sommes pas très doué en mathématiques !
L’album Alain Souchon & Laurent Voulzy » 2014

Trois années plus tôt, on retrouve nos deux « Vocal Heroes » qui enregistrent leur premier album sous leurs deux noms. Cet « Alain Souchon & Laurent Voulzy » 2014 va nous offrir, comme nous l’avons déjà dit, 3 chansons très réussies : « Derrière les mots » ; « Souffrir de se souvenir » ; « La baie des Fourmis ». D’autres, à la portée peut-être moins « universelle » n’en sont pas moins épatantes : « Idylle anglo-normande » ; « En Île-de-France » ; « Consuelo » ; « Il roule » ; « Bad boys » ; « Oui mais » et « Oiseau malin ». Sachant que sur douze chansons les deux dernières sont des petits fragments a capella (« Ils étaient deux garçons », « On était beau »), cela fait donc du 10 sur 10, messieurs les auteurs-compositeurs, et c’est avec plaisir qu’on vous rend votre brillante copie ! Bien entendu, l’opus n’a pas toute la classe de la compil de 2016 qui rassemble les « tubes » de 40 années de carrière, mais il tient tout de même très bien la route : maritime avec « Idylle anglo-normande » et « La baie des Fourmis » ; aérienne avec « Oiseau malin » et « Consuelo » ; et gravillonnée avec bien sûr « Il roule » et aussi « En Île de France » (avec une auto bleue)… Il roule aussi les mécaniques avec « Bad Boys », mais ça c’est autre histoire, plus « provoc » ! Allez, il est temps d’en venir aux détails…
Idylle anglo-normande, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, Tonalité FA majeur

Nous, on aime bien car on connaît le terrain ! Ça se passe sur un ferry de Portsmouth à Ouistreham, et Ouistreham, c’est à 10 km de chez nous ! La chanson raconte la rencontre « éclair » entre une belle fille fleurant bon Chanel N° 5 et un marin aux fragrances plutôt « huile de vidange ». Par sa destination géographique, la chanson en rappelle une autre plus ancienne : « J’aimais mieux quand c’était toi » (La vie Théodore, 2005), mais cette fois, gardez vos bouées de sauvetage, on reste sur le bateau…
« Le bateau pencha ell’ tomba sur le matelas Le matelot aima cela
Chanel numéro cinq le gasoil et le cambouis Ils en sont restés tout éblouis »
Au passage, notez ce « matelas matelot », du pur Souchon ! Bien entendu, la moralité des amants d’une traversée est sauve car cette passade n’est pas de leur fait :
« En mer au larg’ le vent est malhonnêt’
Roulis tangag’ Il fait perdre la têt’ »
Idylle anglo-normande, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, extrait
Mais paradoxalement, alors que les amoureux sont heureux, « éblouis » par leur rencontre, la musique, en RÉ mineur amène une dimension particulièrement morose, mélancolique à la chanson : RÉm (VIm), SIb (IV), SOLm (IIm), FA7M (I7M), LA7 (hors tonalité, résolution vers le premier accord). C’est que la seule chose qui importe à l’auteur, c’est la durée éphémère de ce plaisir…
Le refrain « En mer au larg’… » continue dans la même veine morose, même s’il compte un peu plus d’accords majeurs : RÉ7M (hors tonalité), SOLm (IIm), SOLm/f, DO (V), DO7, FA7M (I7M), LA7. Une fois encore, on comprend bien ici comment une musique peut influer fortement sur le sens des paroles qu’elle accompagne.
En Île-de-France, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, tonalité MI majeur

En Île-de-France, L. Voulzy / A. Souchon, 2014 extrait
Prenez maintenant ce « En Île-de-France », même histoire, deux qui s’aiment dans nos belles campagnes cette fois, mais collez leur sur le museau une belle tonalité majeure, MI, un rythme soutenu : 2 pompes (2 noires) par accord et une mélodie construite sur un I IV V (3 accords majeurs) amélioré qui dès l’intro annonce tous les accords du morceau : MI (I), FA#m (IIm), SI (V), MI, LA (IV), SI, DO#m (VIm), MI, LA, SI… et ça y est, nous sommes au paradis, sans mélange !
« Les avions qui vol’ ne vont pas si haut Y’a pas de voyag’ aussi beau
On ne peut pas êtr’ aussi heureux Que dans leur auto nos amoureux… »
Bref, ça fait plaisir de ne pas voir Alain Souchon grognon ! On ne sait pas trop pourquoi, mais « En Île-de-France » nous rappelle « À bicyclette » (Francis Lai, Pierre Barouh), peut-être par le côté guilleret, printanier de la musique et la touche bucolique des paroles ? Peut-être aussi par cette intro au xylophone qui souligne le ton « sautillant » du morceau et que l’on retrouve également dans la version « à pédales » chantée par Yves Montand ? Quoi qu’il en soit, l’auto bleue remplace le vélo et devient ici le moteur d’une idylle cette fois plutôt parisienne.
Consuelo, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, tonalité SIb majeur

C’est un hommage à la femme, artiste peintre et sculptrice, d’un certain Antoine de Saint-Exupéry qui, lorsqu’il ne travaille pas sur son fameux Petit Prince, s’échine à l’aéropostale et exerce le dangereux métier d’aviateur. Consuelo de Saint-Exupéry est donc une chanson sur l’absence, l’attente, l’inquiétude. Est-ce aussi un hommage à peine masqué au dévouement des épouses de ces chanteurs, de ces acteurs, de ces chanteurs-acteurs eux aussi des messagers toujours partis par monts et par vaux ?
Avec ce titre, nous abordons la question délicate de la « simplicité » en chanson. « Consuelo » est-elle une chanson simple ou simpliste ? En effet, l’essentiel du morceau est composé sur une suite de trois accords : SIb (I), FA (V) et SOLm (VIm) ; la même courte mélodie s’établit, elle aussi, sur un couple de mesures qui se répète.
Alors, « Consuelo », chanson épurée ou sommaire ? Chanson qui magnifie l’évidence ou construite sur la facilité ? Nous avons déjà évoqué ce problème avec les « boucles » musicales. La réponse n’est pas simple et les avis sont souvent partagés : pour la même œuvre, les uns parlent de génie, les autres crient au scandale ou à la foutaise. Alors, que penser ? Eh bien il semble déjà que lorsque la chanson est portée par un bon texte, par une histoire qui donne sens, la question se pose beaucoup moins et c’est le cas pour « Consuelo ».
Car il ne faut pas l’oublier, il y a la musique mais aussi les paroles ! D’ailleurs ne serait-il pas temps d’élever la chanson au rang de 13ème art (après les comics, les jeux-vidéos, l’horlogerie), plutôt que de la laisser assise le cul entre le 4ème et le 5ème (la musique et la poésie) ? Pour militer pour cette intronisation méritée, laissez-nous vous présenter une petite expérimentation que nous avons menée.
Consuelo étant un titre quelque peu mystérieux, hermétique (il faut être très cultivés comme Souchon et Voulzy pour savoir que Consuelo est la femme de Saint-Ex !), nous avons pris deux sujets, entendez par là deux humains… À l’auditeur A, nous avons expliqué au préalable le sens caché derrière ce prénom (pour le moins cocasse puisqu’il désigne une femme). L’autre, l’auditeur B a écouté sans bénéficier de la moindre assistance de notre part. Au final, le résultat a été sans appel. Le cobaye A qui comprenait la chanson l’a trouvé plaisante et bien « proportionnée », le second, moins. Pour éviter les commentaires de mauvais esprits et valider nos travaux, le protocole a bien entendu été mené dix fois avec les mêmes conclusions, qui nous permettent d’élever nos résultats au rang de loi, certainement la première de ce tout nouveau 13ème art.
Consuelo, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, extrait
Mais nos deux auteurs sont certainement trop malins pour laisser la décision n’être emportée que par le hasard, la culture, ou le simple bon goût de leurs auditeurs. Pour « casser » in extremis une éventuelle monotonie, ils ont donc proposé à deux reprises un refrain très original ; il n’y a plus véritablement de tonalité, juste un chromatisme descendant et montant et une voix qui s’envole : DOm, SOL, SIm, SOLb, DOm, SOL, SIm, RÉ, DO.
« Consuelo doucement ell’ pleur’
À caus’ d’un amoureux ailé en latécoér’* lourd
Qui transporte des baisers des lettres d’amour » * latécoère : type d’avion des débuts de l’aviation, du nom de son inventeur.
À ce moment, on peut d’ailleurs se demander si la longue attente du couplet n’est pas volontairement faite pour valoriser ces refrains qui nous arrivent comme des événements marquants à retenir ; ou si, au contraire, ces refrains n’ont pas simplement pour mission de nous faire oublier les couplets…
Pour finir, Alain Souchon qui n’a peur de rien et croit certainement aussi en la simplicité géniale des mots, va même jusqu’à conclure la chanson par la répétition du même vers :
« Consuelo doucement ell’ pleur’ » et des deux mots : « ell’ pleur’ », réponse modeste et résignée face au malheur…
Il roule, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, tonalité RÉ majeur

La thématique de Il roule est plus délicate à cerner et certainement, seuls les auteurs pourraient nous éclairer plus précisément sur le sujet. Ce qui est sûr, c’est que le gars roule, de nuit, il part, peut-être par amour, ou par ennui. Il part et il laisse là, « dans la sall’, sur le sol, éparpillées les fleurs du bal ». Est-ce un amoureux défait ? Ou alors un musicien ? Un musicien de bal qui quitte la salle du même nom au petit matin, tous les danseurs étant partis eux aussi ? En tout cas, cela donne à Alain Souchon l’occasion d’un fameux jeu de mots dont Baudelaire n’aurait peut-être pas été mécontent : « les fleurs du bal », allégorie qui semble signifier que l’amour ou la fête passés, il n’en reste plus que quelques vestiges dispersés à terre… « Il roule » est une belle chanson sur les thèmes de l’inquiétude, de la déception, de la mélancolie. Pour appuyer cet ennui, cette lassitude, cette amertume, seules la vitesse et « Les guitar’ qui jouent fort… …lui sont d’un réconfort amniotiqu’ »
Il roule, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, extrait
La musique de Laurent Voulzy est, comme dans « Consuelo », simple : l’essentiel de la chanson est construit sur une suite de 4 accords de la tonalité de RÉ majeur joués sur deux mesures : MIm (IIm) / SIm (VIm) RÉ (I) / LA (V). Comme dans « Consuelo », il y a un court refrain bien « tranché » (hors tonalité) : 4 mesures de SI majeur et, par résolution, on retrouve le MIm de la boucle initiale qui redémarre. Ce principe de répétition, certainement choisi, permet de renforcer l’esprit de vacuité, de lassitude, de monotonie, de désillusion qui ressort des mots d’Alain Souchon :
« Partir dans la nuit Partir comm’ ça
Cett’ envie Tout l’mond’ l’a »,
mais qui la met en pratique, pourrait-on rajouter ?…
Bad Boys, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, tonalité FA majeur (et DO)
Comme son nom ne l’indique pas, c’est l’histoire d’une fille ! D’une fille rebelle, d’une fille indocile, d’une fille certainement paumée qui, pour montrer sa colère, veut se faire remarquer, d’une façon ou d’une autre ; et l’une d’entre elles consiste à ne fréquenter que des gars de la rue, bref, des « mauvais gars », des insoumis, des « qui font peur ». Était-ce si différent dans les années 50-60, à l’époque des blousons noirs, puis de Dick, d’Eddy et de Johnny…
La chanson n’est pas là pour jeter la pierre, c’est un constat, certains sont comme ça, il doit y avoir des raisons. À côté d’une sorte d’impuissance avouée devant cet état « décalé », sombre (« Quell’ pein’ au fond d’ell’ quell’ rag’… »), on note également une certaine part d’affection d’Alain Souchon pour cette « bad girl » assez proche d’un certain dandysme :
« Au lycée ell’ ne fait rien Ell’ répond ell’ exaspèr’
Le professeur de français la craint Ell’ dit Rimbaud ell’ dit Baudelair’ »

Bad Boys, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, extrait
Côté musique, encore une fois, rien de plus simple. Mais il y a de la subtilité dans l’air, ce qui fait que la chanson irait plutôt, comme les deux précédentes, rejoindre le club des « épurées ». Allez, allons-y avec notre rengaine habituelle. Il y a uniquement deux accords sur les couplets et les refrains : RÉm, DO ; et deux accords sur un pont très court : LAm, SOL, donc pas de quoi fouetter son chat (ou sa guitare…) ! Alors, quel est le nouveau « truc à Voulzy » ? En fait, il y en a deux qui font qu’on marche à fond (petit patapon…) dans ces petits ronds (boucles).
Tout d’abord, c’est la structure rythmique qui est cette fois originale, qu’on soit en RÉm ou sur le pont. Le premier accord ne dure qu’une demi-mesure (2 temps), le second une mesure et demie (6 temps), ce qui n’est déjà pas ordinaire. Pour que ce phrasé devienne un gimmick mémorisable, Laurent Voulzy a ajouté sur le 2ème temps du RÉm (juste avant de passer au DO) un hammer (« marteau » liant deux notes) à la guitare qui crée la suite « mi-fa mi » bien repérable à l’oreille et qu’on va réentendre régulièrement (toutes les 2 mesures donc). Pour le pont, c’est le même principe sur le LAm : « si-do si ».
Quant au deuxième point intéressant, il est mélodique cette fois. Par habitude, on s’attendrait à entendre sur l’accord de DO ce chant-là : la la la la la la do si la (Ell’ port’ un sweat à capuch’ gri-is’…). En réalité, Alain Souchon chante : la la la la la la do sib la, ce qui donne un côté bluesy à la chanson, car le DO devient un DO7. Le morceau aurait pu être en DO majeur : RÉm (IIm), DO (I), LAm (VIm), SOL (V), cas le plus « classique » mais, subtilité, il est en FA majeur pour l’essentiel : RÉm (VIm), DO (V7), LAm (IIIm), SOL (HT, sorte de résolution vers le (RÉm-) DO). On peut aussi jouer couplets-refrains en FA et les courts ponts en DO, ce qui d’ailleurs a été choisi sur le CD
Oui mais, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, tonalité DO majeur
Oui mais, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, extrait
C’est une jolie chanson, d’ailleurs peut-être un peu trop gentille pour du Souchon… Les paroles sont charmantes d’espoir « Ho hé ho si on se rencontrait », en gros, quoi de mieux que d’avoir des amis :
« Dans tous ces passants je sens Comm des sentiments dedans
Des compagnons des âm’-sœurs Qui conviendraient à mon cœur »
Certains apprécieront la franchise et la spontanéité, d’autres moins. Néanmoins, la « patte » habituelle de notre auteur va finir par venir érafler toute cette plaisante peinture, cette belle gentillesse car : « des âm’ amies oui mais, on n’les connaîtra jamais… ». En fait, derrière tous ces sentiments altruistes, derrière toutes ces bonnes résolutions, restent l’immobilisme, l’incommunicabilité et un constat d’échec : difficile de faire bouger les choses, de faire bouger les gens et de se bouger soi-même pour faire un pas vers les autres…
La musique, ravissante elle aussi, douze cordes et très folk, colle bien aux paroles. Ce n’est peut-être pas non plus très original, mais c’est bien fait : juste ce qu’il faut d’accord mineur pour faire ballade et les autres accords majeurs de la gamme de DO pour assurer une ambiance bienveillante, bon enfant : LAm (VIm), SOL (V), DO (I), FA (IV), DO, SOL… (« Sur la terr’ tant de visag’… »). Le refrain (Ho, hé, ho…) lui aussi est sensible et chaleureux, avec une sorte de I IV V cordial : FA (IV), SOL (V), DO (I), qui s’achève par une des « signatures » de Laurent Voulzy, ce RÉ hors tonalité qui individualise, personnalise la mélodie
Oiseau malin, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014

« Oh prenez gard’ à ceux qui n’ont rien qu’on a laissés au bord du chemin
Rêveurs rêvant le monde meilleur ils voient la colèr’ monter dans leurs cœurs… »,
chante un petit Souchon malin : la chanson pourrait se résumer à ces vers qui annoncent l’esprit militant, contestataire du titre. À cet égard, le message véhiculé par les paroles peut paraître un peu naïf, pour un vieux briscard de la chanson qui d’ordinaire manie si bien le second degré ! On aurait pu s’attendre à des subtilités plus littéraires, à de beaux artifices de langage… Mais les sujets qui fâchent méritent peut-être d’être traités sans détours, sans poésie, question de point de vue. Car cet oiseau malin ressemble plus à un drone inquisiteur (qui « regarde et voit ») qu’à celui, plus poétique, d’une vieille chanson d’Antoine Renard et Jean-Baptiste Clément. Néanmoins, si la formule :
« Le monde de demain Il est dans leurs mains
Les mains de ceux qui n’ont rien Dans leurs mains »
est tout à l’honneur de son auteur, elle pose néanmoins la question de son intérêt dans le cadre d’une chanson dont il ne faudrait pas non plus exagérer la portée véritable : faire peur (« Oh prenez garde… »), il ne faut pas rêver… ; dénoncer (« Les financiers dans leurs mystèr’ Qui jouent sur les écrans plasma L’argent que tant de gens espèr’ »), peut-être déjà plus ; représenter (« ceux qui n’ont rien »), mais avec quelle légitimité ? En définitive, ce n’est pas si simple que ça, de faire de la chanson engagée…, et il existe d’autres méthodes que l’engagement frontal.
Il existe un autre oiseau malin dans notre chanson française. Il a pointé son bec plus discrètement, sans tapage, presque incognito, ce qui ne l’a pourtant pas empêché d’être associé à la Commune de Paris (1871). C’est le merle moqueur du Temps des cerises (Renard, Clément)
« Quand nous chanterons le temps des ceris’ Sifflera bien mieux le merle moqueur ».
Beaucoup n’ont vu là que l’allusion poétique : les fleurs, les fruits, les p’tits oiseaux…, mais le merle a d’autres talents : même si c’est en moins bien que le geai ou le mainate, il est tout de même capable d’imiter d’autres oiseaux, mais aussi des chats, des humains… Un ami bon ornithologue nous avait raconté qu’en faisant un inventaire « à l’oreille » (c’est-à-dire au chant) en forêt, il avait à coup sûr entendu un geai imiter… …une mobylette ! Il faut dire que nous ne sommes pas très évolués dans le département de l’Orne… Cette référence de « moqueur » fait donc allusion à cette capacité qu’a l’oiseau de contrefaire, de railler, de moquer…, tout comme le font les frondeurs, les contestataires, les esprits polémiques. Donc, cet oiseau-là, il est plus dans la délicatesse, l’élégance. Il faut dire qu’au XIXème, mieux valait être nuancé dans ses propos car on risquait plus gros qu’aujourd’hui à écrire des chansonnettes subversives, d’où également ces « Cerises d’amour » qui tombent néanmoins « en gouttes de sang » ! Comment faire plus délicatement pour parler de la violence, des affrontements et de la mort ? Au final, il est fort probable qu’Alain Souchon se soit référé à ce « merle moqueur ». Mais, à notre avis, il aurait gagné à lui faire prendre quelques leçons auprès de notre oiseau taquin.

Ils étaient deux garçons (Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014)
On était beau (Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014)
Il s’agit de deux courts intermèdes, respectivement de 33 et de 39 secondes. Cet habit-là va bien à Alain Souchon et Laurent Voulzy, celui de deux poètes chenus qui chantent a capella, avec retour en arrière et hommage à leurs pères disparus. Ils rejoignent dans cette ambiance ancienne mais hors du temps, des Brassens, Ferré, Ferrat qui ont également pratiqué l’exercice en chantant Rutebeuf, Villon, Baudelaire, Verlaine, Richepin, Rimbaud, Fort, Aragon, Trenet… Réverbération d’église, voix presque monacales, c’est le Voulzy de la tournée des cathédrales… On croirait également entendre un certain David Crosby (de Crosby-Still-Nash) chanter dans les années 70 Orléans (Beaugency…).
On était beau, A. Voulzy / A. Souchon 2014, extrait
David Crosby Orléans, 1970, extrait
Après ce premier tour d’horizon, on voit que l’album Alain Souchon & Laurent Voulzy n’est pas aussi léger qu’il pourrait paraître à première écoute : à côté de quelques sourires et plaisirs passagers bien présents, il est aussi empli d’absences, d’attentes, d’inquiétudes, de désillusions, d’amertumes, de regrets et de mélancolies, bref des interrogations posées par deux hommes qui regardent autant en eux qu’autour d’eux. Ces mêmes doutes vont habiller les trois derniers titres de cet album et leur donner une dimension plus symbolique.

Derrière les mots...
Derrière les mots, Alain Souchon / Laurent Voulzy 2014, tonalité SOL majeur
La chorale ParisGospel
Derrière les mots, A. Souchon / L. Voulzy, 2014, extrait
« Là derrière nos voix Est-ce que l’on voit nos cœurs et les tourments à l’intérieur où seul’ment La la la… ». Voilà, sans en avoir l’air et en condensé comme d’habitude avec Alain Souchon, une belle défense de nos chansons dites « à texte » ou plutôt « à idées » car l’expression est peut-être moins péjorative. Que pourrait-il donc y avoir derrière les mots ? « Les sentiments, les pleurs, les envies », l’amour qui fait voir mais rend aussi aveugle, « la révolt’ et la colèr’ parfois », la construction d’un nouveau monde, « le rêv’ aussi de partir » ou sinon, « La la la… », la rengaine avec des mots à la sauce « yaourt » anglaise ou américaine, des mots à la crème française, des mots au sirop… Pas besoin de paraphraser plus longtemps, tout est dit en un clin d’œil, un clin d’œil de chanson, mais on peut aussi penser que derrière les mots, derrière les voix, on trouve également des écrivains, des cinéastes, des peintres…
La musique de Laurent Voulzy est en SOL, à deux temps (en gros, on change d’accord tous les deux temps) et, comme à son habitude, le compositeur a utilisé presque l’intégralité des accords possibles dans cette tonalité : SOL (I), LAm7 (IIm7), SIm7 (IIIm7), DO et DO7M (IV et IV7M), RÉ7 (V7), MIm (VIm). Seul absent : le FA#m7/5b (VIIm7/5b) ; seul intrus : un LA7 qui arrive à la toute fin et retrouve vite son rôle de IIm7 en étant suivi par son homologue mineur (LAm7). Autant dire que les contre-chants ou les solos peuvent être intégralement construits sur la gamme de SOL : sol la si do ré mi fa# et sol ; faut-il encore l’utiliser en construisant des mélodies sympas avec ces notes mélangées avec discernement, goût mais aussi enthousiasme. C’est certainement le chemin qu’a dû suivre Laurent Voulzy car, une fois encore, il nous laisse, Derrière les notes, la griffe d’un fin mélodiste.
Derrière les mots, A. Souchon / L. Voulzy, 2014, reprise de Salvéda, extrait
Les gammes pentatoniques majeure et mineure.

Pour improviser (ou créer des contrechants) sur un morceau, on peut utiliser la gamme heptatonique (Do, ré, mi, fa sol, la si…, voir les rubriques précédentes ou « La guitare à Charlie ») et ses sept doigtés, ou alors la gamme pentatonique (à 5 notes). L’intérêt, c’est que sa mélodie est moins connue (donc plus facile à utiliser au début sans donner l’impression de « monter et descendre des gammes »), et que vous en connaissez maintenant les 5 doigtés, puisque ce sont les mêmes que ceux de la pentatonique du blues ! (voir L’Île du dédain, La vie Théodore 2005). Voyons ça d’un peu plus près. La gamme pentatonique peut s’utiliser en mode mineur et en mode majeur…
La pentatonique mineure et la pentatonique majeure, démo par Salvéda

Souffrir de se souvenir, Alain Souchon, Laurent Voulzy, 2014, tonalité FA majeur (et SIb majeur)
Là aussi, pour commencer, une petite citation qui dit tout : « Souffrir de se souvenir voilà le délic’ Et je chant’ la douleur exquis’ du temps du temps qui gliss’ ». Et comme le rappelle une célèbre marque de café : une fois encore, « Pas la pein’ d’en rajouter » ! Le paradoxe est lancé et nous retrouvons donc notre auteur dans l’un de ses grands refuges, avec l’un de nos questionnements majeurs, la nostalgie et les incertitudes de cette plongée dans le temps : « Souvent de fermer les yeux de partir autrefois Ça me rend malheureux et heureux à la fois Comprenez ça ». Car derrière la mémoire, les souvenirs, il y a bien sûr le temps qui passe…

La ballade (tempo lent, 81) a été choisie pour évoquer les regrets, une certaine mélancolie, et le mode est mineur (RÉm) dès le premier accord de cette superbe mélopée. Mélopée ? Peut-être pas tant que ça, car si le morceau affiche bien une certaine langueur, son harmonie n’est pas monotone et présente même une belle variété avec pas moins de 7 accords, les majeurs dominant même en nombre. La plupart des degrés de la gamme de FA majeur (ou RÉ mineur si l’on préfère) sont occupés et s’égrènent tout au long du couplet : RÉm (VIm), DO (V), FA (I), SIb (IV), SOLm (IIm) et LA (hors tonalité, utilisé en majeur comme résolution pour ramener au RÉm). Avec le pont (« Souffrir de se souvenir… »), on module pour 8 mesures dans le ton voisin de SIb majeur : MIb (IV) / SIb (I), FA (V) / DO… (hors tonalité). Puis on revient au couplet et au refrain également en FA.
Avant de passer au dernier titre, profitons de ce magnifique refrain en cœur et en canon de « Souffrir de se souvenir », et de ses paroles idoines : « Goodbye goodbye goodbye-ye goodbye… ».
Souffrir de se souvenir, A. Souchon, L. Voulzy, 2014, extrait
Si vous avez des difficultés avec ces tonalités de FA et de SIb et les accords qu’elles impliquent, essayez de jouer la chanson, une fois n’est pas coutume, un ton plus haut, donc en SOL et DO où les renversements sont plus faciles : MIm, RÉ, SOL, DO, LAm… Seule l’intro est un peu moins facile, avec deux accords par mesure. C’est une descente plus ou moins chromatique qu’il faut jouer en barrés : SIm / SIb, LAm / LAm7, DO / SI-SI7 (un temps sur les deux derniers accords).

La baie des Fourmis, Alain Souchon / Laurent Voulzy 2014, tonalité RÉ majeur

Sur Google, nous avons lu des commentaires d’internautes disant qu’ils n’appréciaient vraiment pas cette chanson, toujours pareille, répétitive, interminable et avec des paroles sans grand intérêt. Voilà encore la preuve que les goûts peuvent être différents car, pour notre part, nous trouvons cette « Baie des Fourmis » magnifique ! Bon… peut-être aurions-nous préféré qu’elle s’appelle La baie d’Écalgrain (dans le Cotentin), ou à la limite La baie des Trépassés pour plaire à nos copains bretons. Car la Côte d’Azur, sans vouloir vexer les gens du Midi, ça fait un peu loin et ce n’est pas donné à tout le monde ! En attendant, nous n’allons pas faire la fine bouche et nous allons prendre ce qu’on nous donne. Donc, la Baie des Fourmis… : « Regarder la mer rester la journée entière ici… Regarder la mer Ne pas avoir d’autre envie que Regarder la mer ». Cette fois, c’est donc une chanson qui magnifie la contemplation, les éléments naturels, les paysages et, ce qui est encore plus rare, le prendre son temps : « Laisser laisser Le temps s’en aller là », même s’il passe…
La Baie des Fourmis, A. Souchon / L. Voulzy, 2014, extrait
L’originalité du morceau, écrit en RÉ majeur, c’est que le refrain qui le démarre commence par son IVème degré et l’accord de SOL. Ce choix apporte une véritable couleur « flottante », irrésolue, conjuguée sur un cycle de trois accords :
SOL donc (IV), LA (V), RÉ7M (I7M).
Laurent Voulzy en ajoute des variantes à 2, 3 ou 4 accords :
SOL (IV), LA (V), FA#m7 (IIIm7, relatif du LA) ;
SOL (IV), LA (V), FA#m7, SIm7 (VIm7, relatif du RÉ7M) ;
SOL (IV), SOL (IV), RÉ7M (I7M). Cette légèreté harmonique convient parfaitement à l’évocation d’une mer dont on suit les mouvements répétés et sans fin.
Le couplet est harmoniquement plus « riche ». Il commence sans surprise par le SIm (VIm, relatif du RÉ) et le RÉ (I) auxquels s’associent, pour élargir l’harmonie, le FA# (IIImineur et majeur), le SOL (IV), le LA (V), le SI (VImineur et majeur). Le rythme amène également la nouveauté, avec un phrasé plus insistant, appuyé sur le 1er et 3ème temps, avec des airs déclamatoires presque a capella, presque monacaux.
On aime tellement La Baie des Fourmis, avec le balancement « samba » caractéristique de sa bass drum : « Toum Tou-Toum Tou-toum », qu’on a repris ce titre dans un medley rassemblant des morceaux de bossa nova très connus, en gros à la manière du « Spirit of samba » de Laurent Voulzy. Voici donc, enregistré à la fin d’« Esprit bossa », la reprise de La Baie des Fourmis, avec, bien entendu, un peu de cette mer pour finir…
Extrait de Esprit bossa, CE Labadille et Salvéda, reprise de La Baie des Fourmis, A. Souchon / L. Voulzy 2014

